Chapitre 1 Un pas dans l’ombre.
Je crois que tout a commencé lorsque nous avons emménagé, ma compagne et moi, au 14 rue de la Treille à Clermont-Ferrand. Nous sommes tous deux originaire de cette ville et ma compagne a grandi à quelques centaines de mètres de sa cathédrale. Aussi, ce ne fut pas par hasard si nous décidâmes de nous installer sur le plateau central, non loin de là où elle avait vécu dans sa jeunesse. Nous aimions tous les deux le caractère historique de ce lieu, ainsi que l’agitation tranquille qui y régnait. Les lieux anciens ont un charme à mes yeux que le neuf ne pourra jamais égaler, et je fus immédiatement subjugué par ces immeubles plusieurs fois centenaires en pierres volcaniques sombres et ces ruelles étroites et sinueuses. L’appartement que nous trouvâmes nous plut au premier coup d’œil. Il se trouvait dans un petit immeuble, situé sur l’une des rues perpendiculaires à la place de la Victoire, centre historique de la ville depuis sa fondation. Bien qu’il soit petit, il était très chaleureux avec son parquet et sa cheminée ancienne, et surtout, c’était chez nous. Il comportait également de nombreux rangements ainsi qu’un grenier et aussi une cave.
À son sujet, l’ancienne propriétaire, une petite femme d’un certain âge forte loquace, nous avait expliqué lors de la visite :
« Vous verrez que les caves sont très anciennes. Il parait qu’elles étaient déjà utilisées au Moyen-âge pour le vin et le fromage. Tous les propriétaires en ont un bout au premier niveau, pour ranger ce qu’ils veulent. Et on a fait beaucoup de rangement ces dernières années. Avant c’était le bazar complet. Vous comprenez, les gens partaient et jetaient là tous leurs détritus. La vôtre c’est la petite à droite en descendant. Vous verrez que la cave continue ensuite sur d’autres niveaux. Il parait même que les caves se relient entre elles toujours plus profondément, et qu’elles s’étendraient sur plusieurs kilomètres. J’avais entendu dire qu’elles rejoindraient même Chamalières et Royat. Mais ici, on a décidé de la faire boucher un peu plus bas, il y a quelques années de ça. Les gens s’étaient plaints, surtout ceux du rez-de-chaussée. Certaines nuits, ils leurs arrivaient d’entendre des grattements et des chuchotements en provenance des caves. C’était fréquent d’entendre de drôle de choses quand on rentrait tard la nuit. C’était surement des jeunes, il y en a plein qui s’amusent à explorer les caves pour se donner des sensations fortes. Ou alors des squatteurs, venu dormir ou voler quelques affaires. Alors nous, on a tout bouché, c’était plus sûr comme ça. »
Elle avait ensuite ouvert une porte en bois, à droite dans le hall d’entrée, et nous avait invité à descendre la quinzaine de marches qui menaient au première étage de la cave. L’escalier en colimaçon se finissait en un couloir étroit faiblement éclairé, et dont le sol en pierres volcaniques humide était percé par endroit. Ces trous servant d’aération aux niveaux inférieur, étaient si sombre et semblaient si profond, que je ne pus m’empêcher de frissonner en pensant à ce qui pouvait bien se trouver sous mes pieds. Après un coude, le couloir se prolongeait avant de descendre à nouveau de quelques marches et aboutir dans une grande salle principale. Elle devait faire une dizaine de mètres et avait été creusés dans une roche volcanique friable et poreuse. Le plafond était en pierres voûtées typique des caves moyenâgeuses, mais certains murs avaient dû être récemment renforcé par endroit. Le sol humide descendait légèrement sur quelques mètres et se terminait en un escalier qui se jetait dans les ténèbres. Nous étions peu profond sous terre, d’ailleurs la rue au-dessus était visible à travers les lucarnes, et pourtant nous fûmes tout de suite frappés par la fraicheur des lieux. Enfin, de nombreux détritus jonchés le sol malgré les rangements privatifs bien présent sur les côtés. D’anciens propriétaires peu scrupuleux avaient eu la brillante idée d’abandonner leurs déchets trop encombrants en partant, si bien qu’il y avait plusieurs appareils électroménagers et de gros cartons posés çà et là.
La vieille dame nous avait indiqué notre rangement, puis elle avait pointé du doigt l’escalier sombre au fond de la pièce.
« Là-bas, c’est là-bas que la cave se continue ensuite sur plusieurs niveaux, avait-elle dit. Si vous y descendez, vous verrez qu’on l’a fait boucher ».
Cet antique escalier de pierres plongeant dans les ténèbres réveilla immédiatement en moi d’anciens souvenirs de gosse. Je me voyais déjà arpenter ces caves moyenâgeuses à la recherche de mystères et de trésors cachés, découvrir des passages oubliés de tous traversant la ville, comme lorsque je partais explorer les chemins autour de chez moi. Je comprenais à présent que cet endroit ait pu attirer nombre de gens, pratiquant l’urbex ou en quête de sensations fortes. Néanmoins, je n’étais pas courageux au point de vouloir pratiquer cette exploration seul, et étant aussi un peu claustrophobe, il me fallait trouver un compagnon d’aventure.
Mon ami d’enfance, Jordan Glace, m’apparut comme le candidat idéal pour cette expédition. Ensemble, nous avions déjà visité plusieurs ruines et lieux interdits dans notre jeunesse. Nous partagions également nombres de passions communes, comme l’histoire ou encore l’ésotérisme. Aussi, je ne doutais pas que la perspective d’aller explorer ces vieilles caves réveillerait en lui les mêmes souvenirs d’aventures qui s’étaient réveillés en moi.
Jordan fut tout de suite emballé par cette aventure, car il faut dire que j’avais plutôt bien su la lui vendre, et nous décidâmes d’effectuer la première reconnaissance des lieux la semaine suivante. Le jour J, il arriva vingt minutes en retard, comme à son habitude, et je trépignais d’impatience. Il était dans la trentaine mais paraissait facilement cinq ans de moins, avec son visage doux et ses long cheveux blonds bouclés. Il avait su profiter d’une vie simple et d’un travail peu fatiguant. Après lui avoir fait visiter notre nouvel appartement et échanger quelques banalités, nous descendions à la hâte dans la cave. Cette journée était capitale pour nos rêves d’expéditions, car selon ce que nous trouverions, nous saurions si l’on pourrait espérer aller plus loin ou non. En effet, si la cave était trop solidement bouchée, l’exploration devrait s’arrêter là. Mais j’avais bon espoir.
Nous descendîmes l’escalier en colimaçon et je lui fis découvrir le premier étage de la cave avec la confiance de quelqu’un qui y aurait toujours vécu. Je n’y étais retourné pourtant que peu de fois, mais je me devais d’être convaincant ! Ce fût chose faite car Jordan trouva tout de suite les lieux impressionnants et empreint de mystères, et lui aussi voulu absolument en découvrir plus. Alors, après avoir allumé les lumières de nos smartphones, nous descendîmes dans les profondeurs.
Se déplacer dans l’obscurité des caves à la seule lueur de nos smartphones nous combla de joie et l’espace d’un instant nous étions redevenu des enfants jouant au Indiana Jones. Pourtant, je ne pus m’empêcher de frissonner. Au-delà de nos faibles faisceaux lumineux se trouvait que la noirceur absolue et je ne pouvais m’empêcher d’imaginer quelques horreurs tapis dans l’ombre prêtent à se jeter sur nous. Un simple coup d’œil à Jordan me convainquit que les mêmes horribles pensées avaient dû lui traverser l’esprit, car ses yeux bondissaient d’un endroit à l’autre à toute vitesse à la recherche d’un éventuel danger. Cependant, aucune créature repoussante ne se jeta sur nous, même après que l’on eut traversé une première salle vide, et on atteignit le bout de l’escalier sain et sauf. Il donnait sur une deuxième salle, en apparence aussi vide que la première, et l’on avait dû descendre facilement d’une dizaine de mètres de profondeur car la température avait significativement diminué.
Un examen plus minutieux de la pièce nous permit de découvrir enfin ce que l’on cherchait. C’était là, dans un angle, que se trouvait l’accès qui avait été bouché quelques années auparavant. Et le travail avait été fait à la va-vite. L’obstacle consistait en un cercle de briques cimentés d’environ un mètre cinquante de haut entourant l’accès, dans lequel on avait jeté tout un tas de détritus. « Mais regarde-moi ce bordel… me lâcha Jordan, en retirant une chaussure brulée de la pile de déchet, Ils ont vraiment foutu tout et n’importe quoi là-dedans… ». Et c’était vrai. La pile était essentiellement composée de planches de bois et de chaussures brulés. Pourquoi avaient-ils eu cette idée ? Nous ne le saurions jamais, mais c’était plutôt une bonne nouvelle ! L’obstacle serait facilement démontable et nous pourrions continuer notre expédition ! Cette découverte nous emplit d’une joie intense et d’une énergie nouvelle. C’était décidé, nous allions démonter ce mur de détritus pour pouvoir continuer explorer ces caves. Nous remontâmes à la hâte dans l’appartement chercher un peu de matériel, lampes de poches, pieds de biche, masses, et nous commençâmes notre tâche.
Détruire le mur de brique et vider le tas d’immondices s’avéra beaucoup plus long et fatiguant que prévu, et pourtant notre moral était au plus haut. Il nous fallut déjà faire attention à ne pas se blesser, certaines planches étaient garnies de clous, et détruire le mur de brique avec notre matériel n’était pas chose aisée. De plus, travailler dans l’obscurité, qui plus est sous terre, fut rapidement anxiogène pour nous qui n’étions pas habitué. Néanmoins, pouvoir jeter sans distinction les débris et saletés derrière nous fut quand même être un précieux gain de temps. Il était peu probable que qui que ce soit à pars nous ne mette les pieds dans cette salle. Nous nous échinâmes plus de quatre heures avant d’apercevoir, si l’on peut vraiment parler d’apercevoir dans le noir complet, l’ouverture du couloir. Enfaite, c’était plutôt l’odeur, un relent de puanteur propre aux endroits où l’air ne circule plus, qui nous indiqua que nous n’étions pas loin de toucher au but. Et quelques minutes plus tard, nous avions dégagé une surface suffisante pour passer la tête et les bras. Nous nous arrêtâmes. Puis, Jordan braqua le faisceau de sa lampe de poche dans l’ouverture. La faible lumière nous dévoila un long et étroit couloir qui semblait s’enfoncer dans les profondeurs de la terre.
Cette découverte marqua la fin de l’expédition pour la journée. S’afférer dans l’obscurité froide d’une cave pendant plusieurs heures avait déjà bien sapé nos forces et notre mental, et la perspective de s’engouffrer dans les ténèbres ne nous emballer plus du tout. Mais ce n’était que partie remise. Nous avions enfin dégagé l’entrée et nous étions fermement décidé à y retourner un autre jour, une fois mieux préparé et équipé. Nous remontâmes nous reposer et discuter un peu. Une fois la pression de la journée redescendu, Jordan rentra chez lui et j’alla me coucher heureux de l’avancement de notre projet.
Pourtant, cette nuit-là je dormis mal et mes rêves furent peuplés de cauchemars affreux. Je me voyais avancer à tâtons le long d’interminables corridors, dans un noir absolu, traqué par d’infames créatures aveugles. Et puis, les couloirs devenaient de plus en plus étroits, si bien qu’il me devenait presque impossible d’avancer et les choses difformes se rapprochaient lentement, en chuchotant. Et alors que j’atteignais enfin la sortie, celle-ci était bouchée, bloquée par une pile d’immondices. Je grattais fébrilement, m’abimant les doigts sur les restes de planches cloutés, mais c’était trop tard, les choses des profondeurs étaient déjà là… Je me réveillai trempé de sueurs, le cœur battant la chamade, et il me fallut bien dix bonnes minutes pour parvenir à me calmer.
Et cette nuit-là, j’aurai dû écouter mon inconscient et ne jamais remettre les pieds dans ces galeries…
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