Julie
- A lundi prochain, Mademoiselle !
Julie salua la secrétaire et sortit derrière sa mère, Carine Lanterre, silencieuse comme à son habitude.
Ce ne fut que lorsqu'elles furent en voiture qu'elle prit la parole :
- Julie... Est-ce que tu as réellement... saisi tous les enjeux de cette décision ? Je sais que c'est déjà mûr pour toi, mais c'est tellement...
- Maman, c'est tout ce que je veux. Et je ne pourrai jamais changer d'avis là-dessus, rétorqua sa fille d'un ton catégorique.
- Bien sûr, bien sûr, mais... Ce sera définitif, irréversible... et... les répercussions que cela pourrait...
- Ecoute Maman, j'ai passé des nuits et des nuits à réfléchir à tout ça pendant des années, à imaginer combien d'amis je pourrais perdre, combien de personnes me regarderaient de travers... Alors je sais à peu près à quoi m'attendre.
Julie savait que sa mère n'était pas dupe : elle percevait bien son trouble et s'en inquiétait. La jeune fille préféra la rassurer en feigant d'être sûre d'elle :
- Je te promets que tout se passera bien pour moi. Je ne doute pas de ça.
- C'est juste que... Je ne voudrais pas que tu te retrouves seule, ma puce.
Julie tiqua et secoua la tête.
- Arrête de m'appeler comme ça, s'il te plait. Pas "ma puce". Trouve autre chose, Maman.
Aux mots de sa fille, Carine fondit en larmes et se gara sur le bas-côté.
Julie avait bien remarqué que depuis des mois, sa mère retenait ses larmes. L'entretien qu'elles venaient d'achever avait rajouté un poids supplémentaire sur les épaules déjà voûtées de sa pauvre mère.
- Maman, ça va aller. Ne t'inquiète pas, ça va aller. Pour l'instant, rien n'est fait. Mais ça ira. Ne t'en fais pas, ça va aller, ça va aller, ma Maman chérie...
Carine Lanterre était à présent secouée de sanglots incontrôlables, la tête enfouie dans ses mains. Sa fille devina qu'elle s'en voulait d'avoir cédé devant elle, de ne pas avoir pu contenir ses émotions. Cela faisait des années que Julie ne l'avait pas vu pleurer. La dernière fois, c'était à l'enterrement de son oncle. Carine avait versé quelques larmes, mais jamais depuis.
- Je suis tellement désolée, Julie...
- Maman, tu n'as pas à être désolée. Tu n'as rien à te reprocher, enfin...
- Excuse-moi d'avoir perdu mes moyens. C'est que...
- Maman. On ne va pas rentrer tout de suite, d'accord ? On va se poser, acheter un truc dans une pâtisserie, le manger sur un banc. Ou goûter dans un salon de thé...
Carine releva la tête, les yeux rougis. Elle acquiesça et redémarra. Julie ôta la main qu'elle avait posé sur l'épaule de sa mère et regarda par la fenêtre. Elle aussi avait envie de pleurer. Elle ne se sentait pas d'affronter l'épreuve qui l'attendait, seule. Avec sa mère elle serait plus courageuse, mais si ça la détruisait, Julie ne voulait pas la précipiter dans un gouffre sans fond.
- J'ai croisé Nathalie, hier. Elle m'a demandé de tes nouvelles, c'est vrai que ça fait longtemps que vous ne vous êtes pas vues... Son mari a fini par trouver un travail, finalement. Je crois qu'il bosse pour une marque de voiture, dit Julie, les yeux rivés sur ses pieds.
Sa mère hocha légèrement de la tête, mais ne répondit pas.
Elles s'arrêtèrent dans un salon de thé, discutèrent brièvement en grignotant sans appétit des pâtisseries trop sèches.
Julie aurait souhaité que sa mère s'ouvre plus à elle, mais apparement Carine souhaitait la protéger en ne s'exposant que partiellement. Elle ne lui délivrait que les petites angoisses qu'elle nourrissait et gardait pour elle ses vrais ressentis.
A l'issue de leur goûter, la mère et la fille repartirent, le coeur toujours aussi lourd.
L'opération de Julie serait une étape dans sa vie, mais elle se sentait prête. Elle savait que sa mère ne l'était pas, malgré ce qu'elle prétendait, mais c'était à elle qu'elle devait avant tout penser. Elle avait pris une décision, que rien ne viendrait ébranler. Pas même les remarques désobligeantes qu'elle devrait supporter de la part de son père, pas même la perte de certains amis proches.
Il voulait vivre tel qu'il en avait envie, il voulait se sentir lui.
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