chapitre 7

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Sur le chemin du retour, à l’arrière du Van, côte à côte, nous restions silencieux. Nos bras se touchaient, chaleur contre chaleur. Nos esprits vagabondaient. Je me demandais dans quelle mesure nos réflexions se rejoignaient. Ce qu’il me plaisait de penser.

- Non mais vraiment, les Kilman, dit Bertrand au volant, le Spi ? Sérieux !?

Yann haussa les épaules dans le rétroviseur en souriant comme un enfant pris en faute. Je le trouvais craquant quand il faisait ça.

- Ben quoi ?

- Vous auriez pu attendre d’être sortis du port au moins ! reprit-il en se moquant.

- Vous auriez pu vous prendre les pylônes de la jetée en plus, ajouta Loïc sérieusement.

- Qu’est-ce que vous voulez, le style Kilmann, c’est tout un art, répondit mon frère en posant sa main sur mon genou, comme pour appuyer ce qu’il venait de dire.

-N’empêche, continua Bertrand avec un grand sourire, Maintenant… à nous les gages pourris ! Vous préférez quoi ? Vaisselle ? Humiliation publique ? Truc chelou qui fait peur la nuit ?

- Pitié… dit mon frère en regardant par la fenêtre, sa main se retirant doucement de mon genou.

Comme si cela n’était pas naturel de l’y laisser.

Est-ce que ça l’était ? Est-ce qu’on le faisait, avant ?

Mais Yann cala sa jambe contre la mienne. Échange pour échange.

Tout mon corps, contre le sien, était chaud à nouveau.

C’était étrange. Notre bulle perdurait, malgré le changement dans notre relation. Elle était vibrante, puissante. Réelle. Et pourtant, c’était comme si elle nous faisait peur à présent. Comme si… il fallait faire attention.

Tous nos gestes, habituels, seraient-ils ainsi, désormais ? Empreints de doute et de précaution ?

Je jetai un coup d’œil vers la vitre, moi aussi. Dehors, les alignements de menhirs défilaient, la mer d’azur dans le fond.

J’avais la gorge serrée. Est-ce que j’avais eu tort ?

Je sentais le regard de Yann sur mon visage fermé. Est-ce que lui aussi, se posait la même question ?

-Laissez-moi réfléchir un moment, je vous ferai savoir mon verdict dans la journée, annonça Bertrand, grand prince.

Yann rit.

- Sa majesté pourra penser aux pires bassesses, on fera front ensemble ! dit-il en m’attrapant par le cou pour me rapprocher de lui.

Je restai là, à profiter de son odeur. De sa chaleur. De lui, en fermant les yeux.

Il me garda dans ses bras, à l’arrière de la voiture, tout au long du chemin du retour.

Aucun de nous n’ajouta un mot, profitant l’un de l’autre, sourds aux conversations des autres dans l’habitacle.

Nous étions bien.

Nous étions deux.

Et nous étions ensemble.

* * *

Arrivés à la maison, les cousins ne s’arrêtèrent pas là, et racontèrent à qui voulait l’entendre notre « accident », à peine sortis du port.

Ma mère, sa queue de cheval blonde au vent et une bassine de haricots verts à éplucher dans les mains, s’arrêta net. S’approchant de moi le front crispé, elle demanda :

- Raconte-moi.

- C’est rien, Béatrice, dit Yann en se plantant derrière moi.

- J’ai demandé à Niels, coupa-t-elle plus sèchement que d’habitude.

Je lisais une inquiétude, une crainte pour moi que je n’avais pas vue depuis longtemps. Je fus instantanément replongé en arrière, alors que je suppliais pour pouvoir aller jouer dehors, quand nous habitions la grande Tour.

Elle avait peur de tout. Des autres. De ce qu’il pourrait m’arriver. Que je disparaisse. Que je me blesse. Qu’on me fasse du mal. Que je souffre.

La brutalité avec laquelle le lien entre elle et moi était revenu bloqua les mots dans ma gorge.

Je tentai d’expliquer.

- On a dessalé… Je suis tombé à l’eau. Yann m’a repêché et tout va bien.

Je voyais le sillon entre ses sourcils se creuser à mesure que les images volaient dans sa tête. Je voyais son angoisse. Sa peine. Ses yeux, pleins de reproche se poser derrière moi. Sur mon frère.

Elle le tenait pour responsable.

- Non ! Il n’y est pour rien je te jure ! m’écriai-je à l’idée qu’elle puisse penser cela.

Cela aurait pu être le cas, au vu des blagues tordues qu’il avait l’habitude de faire. Mais il m’était douloureux, insupportable qu’elle puisse aussi rapidement créer un fossé entre elle et lui… pour moi.

Car, je le voyais à présent, aux yeux de ma mère, il existerait toujours deux catégories de gens. Elle et moi d’un côté, et puis les autres. Même si ces autres étaient aussi proches d’elle que pouvait l’être son beau-fils.

Je repris en lui attrapant les épaules :

- Maman. Je te jure que c’était une mauvaise vague. Au mauvais moment, au mauvais endroit. Timing pourri. Yann m’a aidé à remonter. Regarde, dis-je en montrant mon bras où la marque des doigts de Yann prenait une magnifique couleur violette.

Ses yeux tombèrent sur l’énorme bleu qui dépassait de mon t-shirt, mais elle ne sembla pas se calmer.

Est-ce qu’elle y lisait à quel point il avait été désespéré de me sortir de là ? À quel point j’avais sombré, si proche de la noyade qu’il avait dû puiser au plus profond de lui pour me ramener?

Ses yeux étaient des tombeaux. Elle tremblait.

- C’était un accident, Béatrice, reprit Yann, désolé. Cela n’arrivera plus, je serai plus prudent la prochaine fois.

- La prochaine fois ? demanda-t-elle d’une petite voix.

- Maman… s’il te plaît. Tout. va. Bien.

Elle sembla se reprendre, et son regard se reposa sur son beau-fils, plein de remords.

- Oui, bien sûr, bredouilla-t-elle. Je suis désolée Yann, excuse-moi… Je sais bien que tu n’aurais jamais voulu lui faire du mal. Rentrez prendre une douche et vous changer, les garçons. Vous êtes pâles et sans doute encore sous le choc.

- Non, non, maman, ça va je t’assure...

- Niels. À la douche, ne discute pas.

Je rentrai à l’intérieur, Yann sur les talons.

Mais alors que j’étais sous l’eau chaude, je me rendis compte à quel point j’étais encore gelé. Ce ne fut que lorsque les cousins tambourinèrent à la porte pour me déloger que j’abandonnai la salle de bain.

Les cheveux mouillés qui dégoulinaient dans le cou, je refermai la porte de ma chambre.

Yann était assis sur le lit, la tête dans les mains. Il la releva à mon arrivée. Ses yeux semblaient désolés.

- Ah non, pas toi aussi ? J’en ai assez… C’était un accident, ne va pas te mettre des idées dans la tête.

- C’est pas à ça que je pensais, dit-il en se laissant aller en arrière, s’allongeant sur le lit, les pieds toujours sur le sol et les yeux au plafond.

J’étais surpris. À quoi pouvait-il penser avec un air aussi compliqué ?

- Tu m’expliques ? demandai-je en m’installant sur le lit à ses côtés.

- La réaction de ta mère… m’a fait bizarre.

- J’avais oublié à quel point elle peut réagir vivement parfois. Elle est parfois un peu trop… protectrice.

- C’est comme si elle aurait préféré tout perdre plutôt que toi.

- C’est plutôt normal comme réaction, non ? dis-je en posant ma main sur son ventre.

- Je ne sais pas. Je n’ai pas de mère.

Je mis un moment avant de pouvoir répondre. La sienne était décédée en le mettant au monde.

- Et même si j’ai toujours considéré la tienne comme la mienne, j’ai senti qu’elle n’aurait pas eu la moindre peine à me laisser de côté si c’était pour toi. Et ça fait un peu mal, ajouta-t-il en forçant un sourire qui tordit son visage.

- Tu te trompes, répondis-je calmement. Elle vous aime, ton père et toi, comme si vous étiez son propre sang.

- Je le croyais aussi. Ça fait… bizarre… de se sentir rejeté comme ça.

- Elle ne t’a pas rejeté.

- Elle aurait pu.

- Ma mère ne ferait jamais ça, dis-je d’un ton assuré.

Car je le pensais réellement. Elle m’aimait au-delà de tout. Mais elle chérissait plus que tout l’équilibre et les liens qu’elle avait formés depuis dix ans dans cette nouvelle famille.

Je l’avais vu, de mes yeux d’enfants, se transformer. S’épanouir. Et arrêter d’avoir peur. Prendre confiance en elle. Dans les autres. Prendre le risque de s’ouvrir, et de partager sans craindre les conséquences.

Cette famille était tout pour ma mère. Elle savait combien elle lui était chère. Et elle savait aussi tout ce qu’elle aurait fait pour ne jamais perdre sa propre bulle de bonheur.

Seule sa peur pour moi avait fait resurgir des angoisses profondément enfouies.

- On est ta famille, ajoutai-je en me lovant dans la chaleur de son cou. Et rien ne changera jamais ça. Je t’en fais la promesse.

Il ne dit rien pendant un moment, puis finit par sourire, changeant d’humeur.

- Tu es mouillé.

- Au moins je ne suis plus salé, répondis-je en le resserrant contre moi davantage.

Il tourna la tête et plongea dans mes pupilles apaisées.

L’électricité vibra à nouveau entre nous. Nos corps si proches ne voulaient faire plus qu’un. La tension des instants d’avant avait disparue, laissant place à une nouvelle. Plus piquante. Plus insistante.

Dans le couloir, le bruit de discussions autour du ballon d’eau chaude vide résonnait.

Est-ce que si quelqu’un ouvrait la porte, notre position paraîtrait normale ?

Est-ce qu’on pouvait encore faire comme avant, quand tout était si simple qu’il n’y avait rien à expliquer ?

Sa main glissa dans mes cheveux, et les plaça derrière mon oreille.

Il était si proche. Est-ce qu’il hésiterait, conscient que tout avait changé ?

Son souffle sur ma peau humide, ses doigts sur ma nuque, me rassuraient.

Le lien était là. Toujours. Puissant.

J’avais envie de me rapprocher encore, et de goûter ses lèvres entrouvertes. Qui m’invitaient.

J’ouvris les miennes.

Les bruits du couloir s’éloignèrent.

Ses mains autour de mes joues, les pouces sur ma bouche, m’invitèrent.

Je fermai les yeux.

Et mon cœur s’enflamma à son contact.

Sa bouche était brûlante et fraîche.

Il m’embrassa doucement, comme si j’étais fragile. Ou qu’il ne voulait pas me forcer. Du bout de ma langue, je goûtai ses lèvres admirables, qui semblaient faites pour moi.

Les caresses de sa langue rejoignirent les miennes.

Il me serra contre lui, mon torse sur le sien, mes jambes entre les siennes.

Je sentais son pouls au bout de ses doigts. Haletant. Éparpillé. Sa respiration s’accéléra, et sa main descendit dans mon dos, au bas de mes reins.

Nos bouches soudées n’entendaient plus rien que le bruit de nos cœurs qui cognaient l’un contre l’autre.

Mes mains traçaient les contours de son corps allongé, comme jamais auparavant. Il était si précieux. Mon oxygène, bien que j’en manque à cet instant précis.

Il était chaud. Il était doux.

Une porte claqua dans le couloir.

Nous sursautâmes. Instinctivement, nos bouches, nos corps se séparèrent d’un bond.

Je repris mes esprits en regardant autour de moi, et rit :

- Tu as les joues toutes rouges !

- Tu devrais te regarder… répondit-il en souriant, heureux de lui. Bon… ajouta-t-il en se passant la main dans les cheveux. Je suppose que…

Je lui jetai un coup d’œil interrogateur.

- Que nous allons devoir … faire attention.

Il se leva, et d’un clin d’œil me lança :

- Tu devrais attendre un moment avant de sortir. Histoire que ça se calme.

Et, devant mon air ahuri et mon caleçon déformé, il sortit de la chambre en refermant vite derrière lui.

* * *

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