Chapitre 11

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On avait repris nos vélos. Ayant abandonné les adultes et les cousins sur la plage qui profitaient d’une sieste au soleil et de baignades, nous avions entrepris de regagner la maison en prenant notre temps.

À deux, au milieu de la lande rase et déserte qui luisait silencieusement, le temps s’arrêtait.

- J’ai bien envie de faire une pause un moment par ici, dit Yann en jetant un coup d’œil vers un champ de menhirs sauvages.

Je jetai mon vélo dans l’herbe, et lui sur mes talons, silencieux pour une fois, je m’avançai au milieu des pierres dressées et des genêts en fleur.

Il entoura mes épaules de ses bras, et glissa dans mon oreille :

- ça n’a pas l’air d’aller depuis tout à l’heure.

Je ne dis rien, pour commencer. Profitant simplement de son corps contre le mien. Je me rendis compte à quel point sa proximité m’avait manquée. Et que bizarrement, tout sembla à nouveau aller mieux.

- C’était juste… dur, de te savoir si près et de ne pas pouvoir l’être davantage. C’est comme si, à force de faire attention, je devais me forcer à mettre de la distance entre nous. Et ce n’est pas naturel du tout. Ça me fait mal.

Il resserra ses bras autour de moi, contre son cœur. Pour me rassurer. Me dire qu’il était là. Avec moi.

- Pareil, dit-il tout bas, la voix rauque. Quand je te vois, tout seul, enfin pas avec moi je veux dire, j’ai l’impression que tu vas disparaître. Moi aussi je me contrôle, mais tu le fais mieux que moi. C’est une torture.

- C’est comme si j’étais plus mûr que toi, ris-je en prenant ses bras dans les miens.

- Hum… fit-il en m’embrassant dans le cou, beaucoup seraient d’accord avec toi ! Mais je te prouverai que je suis plus adulte que toi.

- Et comment ? dis-je en me retournant pour lui faire face.

- Je serai raisonnable, commença-t-il en caressant mon visage de ses mains ouvertes. Ensuite, je ferai attention, continua-t-il en posant son front sur le mien.

Je sentais sa respiration sur mes lèvres. Je fermai les yeux, conscient de son corps contre le mien qui réclamait toute mon attention.

- Et enfin ? dis-je d’une voix basse que je ne me connaissais pas.

- Enfin… répondit-il de la même voix sourde qui semblait lui demander un effort de résistance, enfin… on fera exactement ce qu’on veut !

Et avant que je ne puisse répondre, avant même de pouvoir lui expliquer en quoi ça n’était pas du tout adulte comme attitude, il plaqua sa bouche sur la mienne.

Ses lèvres chaudes m’attirèrent à lui. Ses bras autour de moi me plaquaient, comme dans un besoin irrépressible de ne faire plus qu’un. Il était grand. Je l’étais tout autant. J’avais l’impression d’avoir la forme parfaite pour lui. Et qu’il ne supporterait jamais de tenir quelqu’un d’autre que moi contre lui.

Ses mains dans mon cou glissèrent dans mes cheveux, tenant ma tête avec une avidité farouche.

Nos respirations heurtées, sauvages. Nos bouches qui en voulaient davantage. Toujours. Nos mains qui électrisaient nos corps. Notre étreinte n’en finissait plus de nous rassasier.

Et sous le soleil de l’après midi, j’oubliai tout.

Toute raison. Toute question.

En roulant dans l’herbe tous les deux, nos t-shirts éparpillés et nos souffles hagards, j’eus l’impression de sentir mon cœur voler. Loin. Très haut dans le ciel.

J’étais un de ces albatros, finalement. Qui font de longs voyages, avec leurs ailes de géant. J’avais trouvé mon compagnon d’équipage. Nous ne ferions pas naufrage. Notre port d’attache serait toujours au fond de nous. Dans le cœur de l’autre.

J’aurais pu braver des tempêtes. J’aurai affronté les bourrasques et les mauvais jours.

Entre ses bras, peau contre peau, à mesure qu’il se pressait contre moi, je me sentis l’âme d’un explorateur.

Alors, sans hésiter, pour la première fois de ma vie, je découvris l’intensité de partager. De donner. Nos corps nus s’épanouissaient dans nos mains.

Nous n’étions pas visibles, couchés au milieu des ajoncs. Dans ce coin de lande désert, personne ne venait jamais. Et c’était tant mieux. Je le voulais pour moi tout seul, et à la manière dont il tenait ma jambe, haute sur sa hanche, il me voulait tout autant.

Seule mon inexpérience l’empêcha d’aller plus loin.

- On a tout notre temps, dit-il en caressant ma peau humide, faisant naître des décharges électriques au fond de mon ventre.

J’étais rassuré et en même temps frustré. Je lui posai une question, un peu hésitant, en reprenant ma respiration.

- as-tu déjà…

- … ?

- déjà été avec… quelqu’un ?

Il s’allongea dans l’herbe sur le dos, me tenant toujours contre lui. Il hésitait sur la manière de me répondre.

- On va dire oui, lâcha-t-il dans un demi sourire flou.

- Tu n’as pas l’air d’être sûr, dis-je en sentant la jalousie ramper brutalement en moi.

- On va dire que j’ai été de nombreuses fois, avec une seule et unique personne, mais que c’était surtout dans ma tête.

- Je ne comprends pas, répondis-je en tentant de m’asseoir pour m’éloigner, mais il m’en empêcha, me réinstallant sur lui, ses bras en carcan autour de ma taille.

- Je parle de toi, banane.

Je dus avoir l’air interloqué, à le regarder fixement la bouche ouverte. Il en profita pour m’embrasser encore. Au bout de longues minutes, il daigna me relâcher, hors d’haleine, satisfait de lui.

- Je suis dingue de toi depuis longtemps, admit-il en ayant l’air de s’excuser.

Je le regardai toujours, contemplant l’effet de son aveu sur son visage heureux. Une boule de bonheur intense s’empara de moi. Je le serrai contre moi, enfouissant ma tête dans son cou.

-Idiot. J’ai cru que mon cœur allait s’arrêter de battre.

- Je te rassure, il est bien vivant. Il bat même très fort, en ce moment. C’est bizarre, non ? rit-il en ébouriffant mes cheveux et embrassant ma nuque.

-Y’a rien de bizarre. T’es vraiment trop bête.

Il me caressa un moment sans rien dire, les yeux dans les nuages.

- C’est combien, longtemps, murmurai-je dans son cou, sans oser lever la tête.

Il raffermit ses bras autour de moi, et répondit doucement à mon oreille :

- Longtemps, c’est toujours.

* * *

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