Le médium
A chaque fois qu'on lui demandait ce qu'il faisait dans la vie, Jerry était toujours un peu embarrassé. Toujours, il baissait les yeux, hésitait. De temps en temps, il mentait, s'il ne faisait pas trop confiance à la personne qui lui avait posé la question. Il disait qu'il était libraire, ou informaticien, ou caissier, ou professeur des écoles. Bref, quelque chose de suffisamment normal pour que les gens le trouvent suffisamment normal.
Mais lorsque qu'il faisait confiance à son interlocuteur, il répondait (timidement, tout de même) : "Je parle à des morts..." De manière assez générale, l'autre personne lui lançait un regard emprunt de curiosité et de je-ne-comprends-pas. On lui demandait souvent depuis quand il avait ce don ; même les plus sceptiques l'interrogeaient. Comme pour trouver une espèce de vérité pouvant les conduire loin de leur scepticisme. Alors Jerry racontait. Il ne s'arrêtait pas dans les détails, non, mais il disait qu'il avait ce "don" depuis son enfance, qu'il ne savait pas du tout comment ni pourquoi il l'avait. On lui demandait aussi s'il aimait bien avoir ce don surréaliste. La plupart du temps, il répondait que oui, bien entendu, après tout cela ne courait pas les rues. C'était chouette de parler aux morts. C'est généralement des gens sympas, disait-il presque toujours.
Il avait rarement envie d'extrapoler sur le fait que voir des fantômes et vivre avec à longueur de journées était tout bonnement éreintant. D'ailleurs, s'il n'était pas médium, il n'aurait jamais su qu'il vivait en collocation avec un spectre (sympathique, mais paresseux et un peu emmerdant sur les bords). Jimmy, qu'il s'appelait, le spectre. Jerry expliquait également rarement que comme il était médium, beaucoup de gens morts venaient visiter son appartement et lui demander conseil. Une fois, un fantôme un peu bourrin avait dit à Jerry que, si jamais sa famille venait le voir pour discuter avec lui au court d'une séance de spiritisme, qu'ils aillent bien se faire foutre, ces cons là, parce qu'ils n'avaient jamais été là pour lui, alors qu'on ne vienne surtout pas l'emmerder alors qu'il était mort, car autrement il n'hésiterait pas à les hanter chacun leur tour.
Mais en attendant, ses services n'étaient pas payants pour les morts. Uniquement pour les gens bien vivants. Certains fantômes étaient ravis de revoir leur famille, et de discuter un peu, même si c'était un peu limité. Surtout pour les familles qui demandaient la technique du "Un coup pour oui, deux coups pour non". Mais bon, ils étaient morts, ce n'était pas tellement comme si quelque chose de pire pouvait leur arriver.
Alors quand la fille du speed-dating avait demandé ce qu'il faisait dans la vie, Jerry avait paniqué. S'il mentait, elle s'en rendrait compte (après tout, il avait une agence de médium qui portait son nom) ; s'il disait la vérité, elle partirait en courant.
Ce qui le stressait encore plus, c'est que Jimmy était là, à côtés de lui, à lui donner des conseils. "Bon, tu vas lui dire ? Ou alors ça va être comme toutes les filles dont tu tombes amoureux ?..."
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