Je suis une tueuse

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 Je suis une tueuse.

 C’est ce que je fais, c’est ce pour quoi je suis douée. Et il faut se l’avouer, c’est un gagne-pain qui paye bien.

 Cette mission n’est pas différente d’une autre. Je rentre, je tue, je repars. Simple, rapide, efficace.

 Cela fait deux semaines que je fais du repérage autour de la maison de la cible. Une belle baraque, un jardin immense, aucun voisin à portée. Ce type doit avoir une sacrée fortune. Rien que son portail fait la taille d’un immeuble de trois étages !

 Minuit.

 Il va être l’heure d’y aller. Toute la maisonnée est endormie, les domestiques sont couchés, seul la cible doit encore travailler à son bureau.

 J’ajuste ma combinaison. Resserre mon baudrier. Réarrange le masque qui cache presque l’entièreté de mon visage. Et, aussi silencieuse qu’un chat, je m’élance dans le vide.

 La corde de rappel se tend presque immédiatement et j’atterris en douceur dans une platebande parfaitement entretenue. Me voilà dans l’enceinte de la maison.

 Je traverse avec delicatesse le jardin endormi. Je connais déjà parfaitement les chemins de terre, plus silencieux que ceux en gravillons quelques mètres plus loin. J’ai révisé mon trajet.

 Les chiens gardent l’autre côté de la maison. Les alarmes possèdent des angles morts que j’exploite au maximum. Les caméras ne me détectent pas.

 Silencieuse. Rapide. Invisible.

 La façade de la maison ne me pose pas plus de problème que le jardin. J’ai étudié les prises. Je connais mon niveau d’escalade -excellent, il va sans dire-. Main droite, main gauche, pied droit, changement de pied. Main gauche. Jeté. Réception sur main droite. Pied gauche, pied droit. Et me voici sur le balcon souhaité.

 Comme prévu, le bureau est allumé dans la pièce juste à côté. La cible doit être face à une pile de dossiers pharamineuse en train de mâchouiller un stylo. Il mâchouille toujours un stylo quand il travaille après minuit.

 Voir les tics des gens m’amuse. Je ne fais pas exprès.

 Face à la vitre de la fenêtre voisine, je sors ma pointe de diamant. D’un mouvement ample, je découpe la baie vitrée. Me voici dans la baraque.

 La bibliothèque où je me situe déborde de luxe. Mais avec bon goût. Toutes ces reliures de cuirs. Toutes ces tranches recouvertes d’or. Je n’ai jamais vu autant de livres anciens regroupés dans une seule pièce. Mes doigts caressent presque involontairement les couvertures. J’aimerais tellement en feuilleter un pour plonger mon nez dedans.

 Mais la mission passe avant !

 Je repose à contrecœur le volume que j’avais attrapé. Je pourrais m’acheter tous les livres que je voudrais avec l’argent de cette mission. Peut-être même ceux-là si la famille mettait la maison aux enchères, ai-je ironisé avec un sourire cynique.

 Je suis devant la porte du bureau.

 Inspiration. Expiration. Concentration.

 Je suis prête.

 J’ouvre la porte avec précaution. Me glisse dans l’entrebâillement à pas feutrés.

 Je sais que j’avais été aussi silencieuse qu’une plume. J’arrivais dans l’angle mort de la cible.

 Propre. Net.

 Pourtant, la cible, un homme d’une cinquantaine d’années, athlétique, les cheveux poivre et sel, n’est pas penché sur son bureau comme prévu. Enfoncé dans son fauteuil, les mains croisées sur son ventre, les yeux mis-clôt, il attend quelque chose.

 Les papiers sont bien rangés sur le bureau. Aucun dossier ne traîne. Tout est en ordre.

 Lentement, il tourne la tête vers moi et ouvre les yeux. Son regard me détaille. De haut en bas.

 Je ne lis ni peur, ni incompréhension dans son expression. Il savait que je venais. Il m’attendait.

 C’était si surprenant, si improbable, que je me suis figée. Je n’avais pas planifié ça. Je ne l’avais pas calculé. Pas anticipé.

 -J’espère que vous serez heureuse, articule-t-il d’une voix grave et neutre, sous laquelle pointait un soupçon d’émotion.

 Je ne cherche pas à comprendre pourquoi il a dit ça. Ni s’il voulait continuer à parler. Mes réflexes reprennent le dessus.

 Dans un mouvement fluide, j’attrape un des couteaux de lancer qui pendait sur mon baudrier. Comme toujours la trajectoire de l’arme est parfaite.

 La gorge de l’homme se retrouve transpercée de part en part et j’entends la lame se ficher dans le dossier de son fauteuil avec un bruit sourd.

 A-t-elle tranché la carotide ? Sûrement. Mais déjà, une deuxième lame se plantait au milieu de sa cage thoracique. À l’emplacement exact du cœur.

 La troisième lame s’enfonce entre ses deux yeux, le transformant en une licorne grotesque. Mais c’était une précaution inutile. Il était déjà mort.

 Je récupère mes lames. Le contrat ne stipulait même pas que ça devait ressembler à un accident. C’est royal.

 Un flot de sang jaillit tandis que je retire les poignards. Il arrose le bureau, imbibe le fauteuil, gorge la moquette.

 Tandis que je passe un dernier regard sur la pièce, un détail attire mon attention. La porte de l’armoire est entrouverte.

 Personne ne laisse une armoire entrouverte comme ça. Surtout dans une maison aussi nette et bien rangée.

 J’ouvre le battant avec précaution, couteau à la main.

 Je m’attendais à beaucoup de choses. Mais certainement pas à me retrouver nez à nez avec une enfant.

 Ses yeux sont agrandis par la peur, son teint verdâtre tranche avec sa chemise de nuit rose. Elle va vomir. Ou s’évanouir. Ou les deux.

 Mais ce qui me préoccupe actuellement, c’est qu’elle a tout vu.

 Par réflexe, je passe la main sur mon masque. Mon visage est bien couvert. Je ne suis pas en danger.

 Je pourrais la tuer. Je pourrais effacer toute traces de mon passage. Je devrais le faire.

 Mais je pense à la mère de la petite. Cette femme, qui n’a rien demandé, qui vient de perdre son mari. Doit-elle en plus perdre son enfant ?

 J’esquisse un sourire. Cet enfant n’a probablement jamais été aussi proche de la mort. J’espère qu’elle en a conscience.

 Je tourne les talons. M’éloigne. Dans mon dos, retenti un bruit sourd. Évanouissement donc.

 Je connais le chemin du retour aussi bien que celui de l’aller.

 Rapide. Efficace.

 Mais pendant plusieurs jours, ces yeux me hanteront. Ce regard calme et posé de l’homme qui accepte la mort. L’expression de pure terreur d’un enfant pétrifié, impuissant.

 Et ces derniers mots : j’espère que vous serez heureuse. Parlait-il à moi ? À sa fille qu’il avait cachée ? À sa femme qui hantait ses dernières pensées ?

 Cela n’avait aucun sens. Cette mission n’avait pas de sens. Et à partir de cette nuit, l’idée que ma vie, non plus, n’avait aucun sens ne me quittait plus.

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