Epilogue des Mémoires
Kami et Salem s'étaient engouffrés dans une grande forêt du Massif central. Nous avions roulé longtemps, très longtemps, jusqu'à arriver dans cet endroit reculé, totalement abandonné aux volontés de la nature. Salem s'endormirait pour des années, peut-être pour l'éternité.
Il n'était plus capable de continuer, il était tellement las et déçu. Personne ne pouvait plus le retenir ici, le garder en vie. Il s'allongerait sur le sol, et la planète le prendrait en son sein. Elle le protégerait et le préserverait. Il allait trouver le repos, enfin.
Je m'étais installée sur une pierre, une très grosse pierre, et admirais le paysage. Le ciel s'était éclairci. Devant moi, les vallées et les collines s'enchaînaient comme dans un tableau de maître. Jamais on ne voyait ce genre de spectacle. C'était comme être transporté par une poésie, par des vagues de beauté et d'éternité. Il n'y avait pas de mot pour l'expliquer, c'était une vision magnifique.
Je respirai à pleins poumons. L'air était tiède et charriait les milliers d'odeurs forestières, des senteurs que j'adorais déjà et qui me faisaient retrouver l'espoir.
Une bourrasque souleva mes cheveux. Puis une autre. Bientôt, le vent se leva plus fort et tourbillonna autour de moi, de plus en plus vite, jusqu'à ce que je sois obligée de fermer les yeux. Quand il s'arrêta, une forme transparente était apparue à mes côtés. On reconnaissait vaguement une silhouette humaine, mais il n'y avait aucun détail ni aucune matière.
— Tu crois que fuir pourra te sauver ?
C'était la même voix, c'était la présence qui m'avait prévenue de l'attaque de Sovana.
— Qu'est-ce que tu ?
Je passai ma main à travers son semblant d'image. Aucun contact n'était possible, c'était comme un courant d'air glacial.
— Peu importe Syrine, je ne suis pas là pour ça. On ne peut échapper à son destin, partir n'y changera rien, au contraire. Chaque pas nouveau te rapprochera de la fin.
— Tu veux parler de Sovana ?
— Entre autres, oui. Elle tiendra sa promesse, elle te poursuivra sans cesse, elle ne te laissera pas t'enfuir.
— Et l'évènement se passera, la Levée du Voile ?
— C'est inévitable, nous le savons depuis l'existence du genre humain.
— Dis-moi ce que c'est, je dois comprendre.
— Crois-moi, tu l'apprendras bien assez tôt. En attendant, n'oublie jamais que je serai toujours là, à te surveiller. Et si je le peux, Sovana le pourra aussi. Prends garde, l'on ne peut faire confiance qu'à soi.
— Laisse-moi tranquille.
Je pleurai. Cette apparition me rappelait le manque de foi dont avait fait preuve Kami à mon égard, et tout ce que nous nous apprêtions à abandonner derrière nous.
— Oui, je te quitte… pour cette fois. Mais ton voyage va être long et douloureux. Tu seras bientôt heureuse de me voir venir. Tout ne fait que commencer… » Son image s'effaça soudainement et sa voix résonna à mes oreilles, comme l’aurait fait celle d'un mauvais esprit.
Kami sortit de la forêt et s'assit exactement à l'endroit où la présence s'était trouvée quelques secondes avant. Nous regardions le soleil se lever et embraser le ciel et les montagnes.
— Il se lève encore.
Il avait le regard fixé sur l'horizon.
— Encore une nouvelle journée, oui.
La tristesse avait brisé ma voix. Nous y étions, nous prenions notre départ.
— Certains ne sauront jamais que le soleil s'est levé ce matin.
Je pensai à Amarante, Salem et Malia, loin maintenant de nos peurs et de nos appréhensions. Et Adam ? Le reverrais-je un jour ? Il avait disparu, me promettant de revenir. Mais, s’il tenait sa promesse, qui pouvait dire où je me trouverais alors ? L’avenir n’était fait que d’incertitudes. Ce n'était pas vraiment important. Seul l'instant présent avait encore une signification. Kami tourna la tête vers moi.
— Syrine… demain, je partirai peut-être…
Il fredonna doucement cet air que je connaissais si bien.
Si tu viens avec moi…
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