elle
Je la vois depuis le lac. La femme de mon frère.
Elle court. Bientôt, elle tombera. Ses jambes ne lui ont jamais si désespérément servi. Elle court à les rompre. Qu'elles servent, maintenant, puis jamais plus. Si elles la portent assez vite, assez loin, sans hésitation, au plus loin, après cela elle voudra bien tomber et ne jamais se relever. Tomber et ne plus jamais marcher. Si elle s'échappe, elle le veut.
Courrez, jambes. À vous rompre.
Elle n'ignore pas la douleur : elle la découvre et l'embrasse. Ses mollets que lacèrent les ronces, que grattent les orties, la griffure sous son œil d'un sapin revêche, l'incendie dans sa poitrine et sa gorge qui suffoque.
Elle ne sait plus où elle va, elle ne voit pas où elle court. Jusqu'aux falaises, peut-être, et ensuite se jeter ?
Elle y pense mais elle tombe, soudain, elle tombe. Trop tôt, pas assez loin. Face contre terre. Sa cheville s'est tordue. Ses doigts s'enfoncent. Son nez dans la boue froide. L'odeur est puissante.
Elle va se relever maintenant, elle est bien obligée. La douleur, elle n'en veut plus. L'humidité tachée de sa robe, les accrocs, les déchirures, la souillure, ses cheveux défaits, son bijou perdu. Tout cela elle n'en veut plus. Sa volonté s'est rompue avant ses jambes.
Je la vois comme elle est, comme elle revient des bois boiteuse, je la vois. Pour cela, elle me hait.
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