Au crépuscule

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Il referme son livre, le pose sur le bureau et ouvre la fenêtre. La rue est déserte, la ville glisse vers la nuit, il s'accoude, perd son regard du côté de la chapelle Saint-Georges, tout comme de Nerval, il a lui aussi ses chimères. Elles courent dans sa vie comme elles courent dans la ville, légères, mystérieuses, inquiétantes, envoûtantes se nommant indifféremment, amour, désir, solitude, joie, abattement mais n'ayant qu'un seul visage, celui de Claire. Une jeune collègue à laquelle il porte une attention toute tendre mais qu'il n'ose exposer au grand jour. Les autres auraient tôt fait de le railler et par ailleurs, il ne souhaite pas que cette jeune femme se retrouve le sujet de conversations de jeunes gens effrontés qui ne prêtent à l'amour, qu'une place secondaire dans leur volage existence; Claire mérite mieux, c'est évident. Elle est son jardin secret, cette part de lui-même qu'il garde dans l'ombre, qui ne s'éclaire que lorsque la nuit tombe, quand les fenêtres s'illuminent les unes après les autres. Il rêve alors qu'il l'emmène à l'opéra, que la beauté de la musique lui tire quelques larmes qu'il s'empresse d'interrompre par un pressement de mains, une sourire affectueux, un regard compréhensif.

Il respire fortement la ville, ses odeurs, la bise fraîche qui agite doucement les branches des tilleuls et des marronniers. Saint-Georges est à présent tout en lumière, quelques mouettes virevoltent au-dessus de son dôme formant une étrange farandole au milieu de laquelle, la folie semble s'inviter. Les volets de Claire doivent être clos et la rue Barthélémy, à l'instar de la cité, s'endormir paisible, indifférente. Il en connaît par cœur chaque façade, chaque numéro, il lui suffit de fermer les yeux pour se la représenter exactement. Un soir, tandis qu'il attendait le bus, il a vu Claire remonter seule le cours Gambetta et disparaître à l'angle de la rue des Augustins. L'envie de la suivre le prit soudainement et, abandonnant son arrêt de bus, il remonta prestement le cours Gambetta, se retrouvant à une distance raisonnable derrière sa jeune collègue. Ce soir-là, il resta longtemps devant le 24 de la rue Barthélémy à s'imaginer l'intimité de la jeune femme, les amis qui partageaient sa vie, ses lectures et toutes ces choses qui rendent un quotidien bien agréable.

Il se retourne, observe sa chambre qui respire l'ennui, le célibat, et trahit un vide immense. Il réfléchit, analyse, mais il voit bien qu'il ne peut offrir cette désolation à Claire, elle, si radieuse, si vivante. Bien mal à l'aise dans ses sentiments, perdu dans ses réflexions mystiques, il marche aveugle, les bruits de la foule ne l'atteignent que faiblement. Mille et une mains se tendent vers Claire, mille et un visages lui sourient, il voudrait les surpasser mais il reste en arrière, pendant que Claire s'évapore, emportée par un autre.

La nuit est maintenant intense, aussi, comme chaque soir, méthodiquement, il range son bureau, enfile son imperméable, éteint la lampe et sort. Habitués à cet exercice maintes fois répété, ses pas s'engagent sur le boulevard Macé, empruntent les rues Gaillard et Fontange, passent devant les halles, pour terminer à l'entrée de la rue Barthélémy. Bien évidemment, comme tous les autres soirs, il ne sonnera pas au 24. Comme tous les autres soirs, il restera sous la lumière du réverbère, fixera les fenêtres du deuxième étage, et quand son âme et son corps fatigués de cette attente inutile lui intimeront de partir, il rentrera par la ville déserte en se disant - Demain, j'oserai demain.

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