Chapitre I : La dame en vert
Fatigué et énervé, Maxence s'installa à son bureau. Devait-il approfondir cette sordide affaire ?
Le commissaire Simon risquait de virer au rouge : « Il n'y a rien d'autre à faire ? Vous croyez que l'assassin du brocanteur viendra se livrer tout seul ? Que les vols vont cesser pour vos beaux yeux ? ». C'est certain, le père Simon n'hésiterait pas à lui remonter les bretelles.
Et pourtant... s'il ne faisait rien, c'est lui-même qui serait en colère et les journalistes seraient capables de trouver quelque nouvelle piste et de s'en enorgueillir tout en ventant l'incapacité de la police... « a été trop vite... a oublié des détails... a négligé des témoignages et passé à côté de l'affaire du siècle ! »
Sur son bureau trônait encore le dossier sur lequel était inscrit : « Affaire Le Braz », dossier qui attendait je ne sais quoi pour aller dormir aux archives : peut-être une conclusion hâtivement jetée sur un bout de feuille : « deux têtes ! » à l'encre rouge sang.
L'inspecteur soupira. D'un côté, la vieille Le Braz était vengée ; alors pourquoi continuer à tout remuer ? De l'autre, ce Belzébuth demeurait une énigme ; et les énigmes pour un policier, ça ne pouvait pas rester sans réponse !
Et puis... le commissaire Simon était à Lyon ; il ne rentrerait que dans une semaine ; peut-être arriverait-il à conclure le meurtre du broc et démasquer Belzébuth, voire le coincer, avant le retour de son supérieur ? On a le droit de rêver !
Et puis... il n'y avait pas eu vraiment d'enquête : les meurtriers avaient été dénoncés par un « mouton ».
-oOo-
Leroux se rappelait ce triste jour où il fut appelé à se rendre au domicile d'une dénommée Euphrasie Le Braz, sûrement une brave Bretonne montée à la capitale comme tant d'autres. C'était un mardi et il pleuvait. Un voisin avait averti la police ; en entendant hurler la concierge, il était descendu. Les cris venaient du premier étage : L'époux de la bignolle était enfermé dans l'appartement de ladite Mme Le Braz... avec le cadavre de cette dernière !
Deux agents étaient déjà présents ainsi qu'un collègue à Leroux, l'inspecteur Chambard ; le serrurier appelé jouait déjà du rossignol afin de libérer le pauvre concierge qui hurlait à tue-tête « A l'assassin ! A l'assassin ! Verdun ! ». Le pauvre homme perdait l'esprit.
On ne s'entendait plus dans la cage d'escalier entre les « Ce n'est pas fini, ce boucan ! », les « Que se passe-t-il ? », la concierge qui criait plus fort que son homme : « Ronchonnat ! C'est pas la guerre ! Calme-toi ! » et bien sûr les « A l'assassin ! A l'assassin ! Verdun ! » du père Ronchonnat !
L'inspecteur Leroux s’époumona :
« Silence ! »
Et c’est dans un silence quasi-religieux que la porte d'entrée de l'appartement de Mme Le Braz s'ouvrit. Le spectacle aurait pu prêter à rire si une personne n'était morte : le père Ronchonnat avait sûrement dû recevoir la porte en pleine face et, ayant perdu son équilibre, était assis par terre, gémissant : « A l'assassin ! A l'assassin ! Verdun ! Les Fritz... Ils sont revenus ! »
« Barbier ! Ramenez le concierge dans sa loge, nous l'interrogerons quand il aura retrouvé ses esprits !
– A vos ordres, inspecteur ! Après un coup de gnôle, il ira mieux ! »
Leroux ne releva pas la réflexion stupide de l'hirondelle et pénétra, suivi de l'inspecteur Chambart, dans le petit appartement de la veuve le Braz. Tout semblait normal, aucun acte de vandalisme dans la pièce sur laquelle donnait la porte d'entrée. C'était la salle de séjour. Normal... enfin... à part cette énorme caisse en bois ! Les deux inspecteurs la longèrent et découvrirent une autre pièce et là... l'horreur, un véritable champ de bataille.
Tous les meubles étaient éventrés, les bibelots brisés et parsemés sur le sol et sur le lit dont le matelas avait été lacéré gisait un cadavre atrocement mutilé, vraisemblablement la locataire.
Chambart dont le teint avait viré au blanc dit :
« Je vais interroger la pipelette et voir si son homme a retrouvé ses esprits.
– Nom de Dieu, quel massacre fit Leroux aussi pâle que son collègue ; ce n'est pas possible ! »
Comment pouvait-on s'acharner aussi violemment sur une personne ? Un vol crapuleux n'expliquait pas la chose.
Afin de reprendre des couleurs, Leroux continua la visite du logement.
« Bon Dieu ! Mais c'est quoi cette caisse ? »
En faisant le tour de celle-ci, il découvrit une troisième pièce, plus petite, dont la porte était ouverte et qui s'avérait être une seconde chambre. Celle-ci était intacte et vide d'occupant bien qu'à première vue, elle semblait habitée ; quelques vêtements féminins par ci par là, du papier à lettre, de l'encre et un porte-plume sur un petit bureau. Pas de doute pour l'inspecteur, une autre femme vivait dans cet appartement.
Il revint à la grosse caisse qui l'intriguait. Son étonnement fut encore plus grand lorsqu'il constata qu'elle s'ouvrait de l'intérieur : un homme voire même deux auraient pu y loger.
Chambard était justement de retour.
« Tiens Chambard ! Voilà d'où sont sortis les assassins !
– Mais comment elle a atterri là cette caisse ?
– Tu ne l'as pas demandé à la pipelette ? Et le père Ronchonnat ? Qu'est-ce qu'il raconte ?
– Rien ! Il se croit toujours à Verdun ! Par contre la mère Ronchonnat m'a dit qu'une autre femme vivait là depuis un mois. La veuve le Braz l'aurait recueillie à la demande du père Gervais. Une pauvre fille défigurée dans un incendie. Marie qu'elle s'appelle.
– Je pensais bien qu'une autre femme habitait ici mais il n'y a personne. Mais Marie... Marie comment ? Des Marie, il y en a des tas ! Toutes les femmes s'appellent Marie !
– Marie ! La mère Ronchonnat n'en sait pas plus. Il faudra entendre le père Gervais qui était le confesseur de la veuve le Braz et qui est aussi le curé de la paroisse.
– Mon cher Chambart, il serait tant d'avoir des explications à propos de cette caisse et de son arrivée ici. »
Les deux inspecteurs descendirent l'escalier et se dirigèrent vers la loge des gardiens. Ils trouvèrent Madame Ronchonnat qui tournait dans tous les sens en se larmoyant sur la santé mentale de son mari pendant que l'agent Barbier réconfortait l'infortuné ancien poilu à grand coup de gnôle Le policier fut envoyé dans le couloir pour éviter les curieux d'entrer.
« Madame Ronchonnat, c'est quoi cette énorme caisse dans le salon ? interrogea Leroux d'une voix sèche.
– Ben ! Le piano !
– Quel piano ? firent en cœur les deux inspecteurs ?
– Ben ! Le piano de la pauvre Marie ! Figurez-vous qu'elle avait écrit à son père pour qu'il lui expédia le piano qui était chez lui. C'est ce qu'a fait le brave homme.
– Mais il est où le piano ?
– Ben ! Dans la caisse ! Figurez-vous, mon bon monsieur, que les voituriers qui l'ont livré hier après-midi avaient oublié la clé et comme ils voulaient l'ouvrir de force à coup de masse, la pauvre Marie leur a dit de revenir aujourd'hui avec la clé car c'était une si belle caisse bien costaude et ils n'auraient pas pu en arriver à bout et auraient risqué d'abîmer le piano ! »
Leroux se retourna vers l'ancien poilu mais de ce côté-là, on était toujours au chemin des dames.
« C'est clair que cette Marie n'est pas une sainte et elle est, au moins, complice du ou des assassins. Elle se fait livrer un soi-disant piano ; comme par hasard, les commissionnaires oublient les clés. Hop ! Les assassins sont dans la place et n'ont plus qu'à attendre que la veuve s'endorme. Ils ouvrent, car je suis persuadé qu'ils étaient plusieurs, vu la grandeur de la caisse, ils ouvrent de l'intérieur ; oui, il y a une serrure à l'intérieur et passent à l'acte.
– Si tu le dis ! Mais quel carnage, tout de même ! Quel carnage ! On dirait plus une vengeance qu'un crime crapuleux, répliqua Chambart d'un air songeur.
– Je vais interroger le curé. Chambart, fais le tour des voisins ! »
-oOo-
– La dame en vert ! C'est comme ça qu'elle est appelée dans le quartier ! Toujours vêtue de verts ! s'exclama Chambart.
– Ecoutez mon petit, l'interrompit le commissaire Simon, assis derrière son bureau, on ne vous paie pas pour une chronique de la mode !
– Désolé, commissaire ! La veuve Le Braz est arrivée dans le quartier, il y a environ six mois. Les commerçants sont tous d'accord pour ne dire que du bien : sans histoire, pratiquante, et le cœur sur la main ! Une exception, la marchande de fruits et légumes, une bien bonne grosse femme... Figurez-vous que...
– Aux faits, Chambart ! Aux faits !
La bonne humeur n'était guère la qualité principale du commissaire. Le portrait désopilant qu'allait effectuer l'inspecteur ne l'intéressait guère : les faits... rien que les faits !
– Une drôle de bonne femme, cette veuve Le Braz, selon la commerçante ; Elle est arrivée dans le quartier, il n'y a pas plus de six mois et a loué le petit appartement où on l'a retrouvée. La mère Lunel...
– Qui ?
– La mère Lunel, la vendeuse de légumes ! Elle est persuadée que c'est une sorcière et qu'elle a fait un pacte avec le diable !
– Ce serait un crime diabolique ? En voilà une sacrée affaire ! Continuez mon petit Chambart !
– Elle a fait doubler tous les volets en fer et quadrupler les serrures de la porte d'entrée.
– Bah ! Une vieille qui a peur pour ses économies ! Ça ne lui a pas réussi, la preuve !
– Quand elle s'absentait, le père Ronchonnat avait ordre de surveiller l'entrée. Elle fait de la fausse monnaie qu'elle m'a raconté la mère Lunel ! Une sacrée pipelette, celle-là !
– Et la mystérieuse Marie ? Et Leroux ? qu'est-ce qu'il fabrique cet ostrogoth ?
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