Chapitre III : "Auxiliaire de police" privé Ernesto Delaseine

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Un petit homme rondouillard en costume blanc attendait l'inspecteur en triturant un panama. On aurait cru à un démarcheur en cigares venu tout droit de la Havane... mais non ! monsieur Delaseine était tout ce qu'il y a de plus parisien, un parisien des Halles même, ou presque ! Escroc à ses heures perdues et Dieu sait qu'il en avait ! il savait se faire pardonner auprès de la police en leur balançant quelques bonnes affaires ; les policiers disaient de lui un « cafard », Delaseine lui préférait « auxiliaire de police privé ».

« Bonjour cher Inspecteur Leroux ! fit-il d'une voix joviale. Du lourd ! C'est du lourd, ce que je vous amène !

– Il vaut mieux ! Car je crois que tu as encore des démêlés avec la justice, tu ne continues tout de même pas à vendre la tour Eiffel ! Ecoute, je suis très occupé alors vas-y franco ! Etonne-moi !

– Oui je sais ! C'est pourquoi je suis là et que je vous apporte les assassins de la dame en vert sur un plateau... »

Leroux resta muet, les yeux grand ouverts.

Delaseine semblait sérieux. Un léger sourire d'auto-satisfaction apparaissait tout de même sur son visage, un peu comme quand il faisait une bonne affaire ! C'était du lourd !

« Répète !

– Les assassins de la dame en vert sur un plateau ! »

Leroux le fit entrer dans son bureau et appela le commissaire Simon qui était justement en train de saluer le père Ronchonnat.

« Commissaire ! Venez ! Je crois que Delaseine a des renseignements intéressants. Il semble savoir qui sont les meurtriers de la veuve Le Braz !

– Rien que ça ! Il a intérêt à ne pas nous mener en bateau, celui-là, sinon c'est lui qui va avoir le droit à une croisière en aller simple sur la Martinière.

La Martinière ? fit légèrement dépité l’« auxiliaire de police privé », késako ?

– Ah ! Mais c’est vrai, tu n’es pas encore au courant... c’est tout récent ! C’est le bateau qui remplace Le Loire !

– Non, non ! Ne vous inquiétez pas, mon tuyau c’est du solide ! Pas besoin d’embêter cette brave Martinière !

– On est tout ouïe, » s’exclama, encore tout guilleret, le commissaire.


-oOo-


Mais laissons la parole à monsieur Delaseine escroc et « auxiliaire de police privé » :

«JJ'étais tranquillement attablé, ce midi, au « Tambour » – c'est comme qui dirait... mon bureau ! – donc j’étais en train de siroter un mêlé-casse. Ah ! ça... l'apéro, c'est l'apéro ! Lorsqu'une dame, vêtue tout de noir avec un bibi à voilette, aussi sombre que le reste, s'approche de ma table et me dit d'un ton résolu :

« – Vous êtes monsieur Ernesto Delaseine !

« – Pour vous servir !

« – Et vous êtes indic !

« Là, je commence à me fâcher ! Venir à l'heure de l'apéro et juste avant de passer à table pour m'insulter, il y a de quoi !

« – Calmez-vous, monsieur Delaseine, continua la dame en noir, mon temps est compté ; alors répondez-moi : vous êtes indic pour la police...

« Si moi je perdais mon calme, elle, elle ne le perdait pas !

« – Disons plutôt que je suis, à mes heures perdues, « auxiliaire de police privé » et effectivement il m'arrive d'aider la police sur des affaires difficiles... et vous, qui êtes-vous ? Vous avez oublié de vous présenter.

« La dame en noir a relevé sa voilette. Le choc ! Je ne m'attendais guère à un tel spectacle. Mon mêlé-casse était gâché pour de bon ! Mon dieu ! Ce visage... j'ai peur d'en faire des cauchemars cette nuit.

« – Vous ne me reconnaissez pas ?

« – J'avoue que non ! Et si je vous connaissais, sauf votre respect, je ne pourrais pas vous oublier !

« – C'est compréhensible, monsieur Delaseine... et pourtant, nous nous sommes déjà rencontrés... je suis madame de Castellano ou si vous préférez Emma... mais si ! L'actrice !

« – Madame de Castellano ! Mon Dieu ! Est-ce possible.

« Je ne savais quoi dire devant cette femme qui avait été la plus belle femme au monde, autrefois ! Je lui rappelais néanmoins que la justice serait assez heureuse de mettre la main sur elle, rapport à une certaine affaire.

« Madame de Castellano restait maître de ses émotions :

« – Monsieur Delaseine ! Coupons court, je vous ai dit que mon temps était pressé et le vôtre va le devenir !

« – Soit ! Mais prenez place madame !

« Tellement surpris et choqué par cette rencontre, j'en avais oublié toutes les règles élémentaires de la politesse !

« – Les assassins de la dame en vert... je suis sûre que cela vous intéresse !

« – Oui... éventuellement. Mais vous savez, je n'ai pas encore été contacté par mes... collègues...

« Madame de Castellano esquissa un léger sourire ironique.

« – Pas de ça entre nous, nous nous connaissons suffisamment pour savoir où sont nos intérêts ! Vous protégez vos arrières afin de continuer vos petites combines...

« – Et vous, madame ?

« – Moi ? Je me venge de mon ancien amant.

« – Et qui est le malheureux élu qui ne sait pas encore qu'il va être balancé ?

« – Belzébuth !

« – Quoi ? Vous voulez parlez de Belzébuth... Belzébuth ?

« – Le diable en personne et ses complices qui sont l'Aristo et l'Elégant...

« Vous pensez bien que je fus surpris... Bon Belzébuth, ça ne m'étonnait pas trop, d’après la légende : avec lui, on ne sait jamais sur quel pied danser ! L'Aristo... à la rigueur, c'est un sanguin mais l'Elégant... non ! ce n'était pas un chourineur ! Plutôt du genre à laisser les autres mouiller leur chemise pour lui... et puis il rate tout ce qu'il entreprend !

« – Vous êtes certaine de ce que vous avancez, madame ?

« – C'est comme vous l'entendez ! Je vous ai donné les noms des assassins de la dame en vert. Si cela ne vous intéresse pas, tant pis... mais je sais que vous avez pris bonne note, mon cher Delaseine ! Une pareille occase... on ne passe pas à côté !

« – Et où crèchent-ils, si ce n'est pas trop vous demander ?

« La dame en noir s'est mise à rire. Malgré son horrible visage, son rire est encore coquet.

« – Vous voyez que cela vous intéresse ! Ils ont une planque à Draveil, un petit coin charmant et calme, à l'Ermitage. Vous connaissez, je crois...

« – Oui, dans la forêt de Sénart.

« – Voilà, Monsieur Delaseine, je vous ai dit tout ce que vous et vos... collègues deviez savoir.

« Madame Castellano s'est levée et m'a tendu une main qu'elle avait gantée.

« – une dernière chose...

« – oui ?

« – Dépêchez-vous ! Ce soir, les oiseaux ne seront plus au nid ! Si vous ne les cueillez pas le plus tôt possible, vous ne les retrouverez pas ! A part peut-être l'Elégant... dans un caniveau, parce que je doute que ce cher Belzébuth et l'Aristo soient vraiment prêts à faire part à trois ! Alors un conseil : Prévenez d'urgence ce brave commissaire Simon ou un autre !

« – Bien madame ! Mes hommages et sûrement adieu ?

« – Que non, mon cher ! Que non ! Nous nous reverrons plus vite que vous ne le pensez ! Ce n'est qu'un au-revoir ! »


« Voilà, messieurs comment cela s'est passé ! Il faudrait même vous grouiller parce que les trois gus, ils ne vont pas vous attendre sagement en faisant une partie de boules ! Et faites attention, Belzébuth et l'Aristo sont des coriaces ! Des vrais caïds ! Non seulement ce sont des têtes mais aussi des mains, et quelles mains ! Ils défourailleront à la première occasion ; ce ne serait pas la première fois ! »

Les deux policiers se regardèrent estomaqués puis fixèrent Delaseine. L'homme était serein. Il ne mentait jamais à la police.

– Toi, tu restes bien sagement ici et gare à toi si tu nous as dupé ! Tu pourras vendre ton âme à Cayenne ! C'est là que je m'arrangerai pour que la justice t'expédie ! s'exclama le commissaire Simon en menaçant l'indic de l'index. On n'a pas fini tous les deux !

Le commissaire et l'inspecteur sortirent précipitamment du bureau. Un planton vint les remplacer afin de s'assurer que le sieur Delaseine resterait tranquillement dans les locaux.

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