Chapitre Zéro
« Dans le gouffre la noirceur est telle qu’il nous est impossible d’y voir sans une lampe », dit-on. Bien sûr, ce n’est pas le cas. Le gouffre est un puits qui ne montre la noirceur qu’aux âmes qui ne l’ont jamais foulé. Moi, Gunta Oldwein, explorateur depuis ma plus tendre enfance, je le vois sous son véritable jour ; d’abords déroutant d’incompréhension, il m’a montré des splendeurs que tout homme se devrait d’admirer au moins une fois dans sa vie.
Il est gigantesque et d’une profondeur abyssal, de l’extérieur il ne ressemble pas à grand-chose d’autre qu’un trou. Pourtant, si vous dépassez la chape de ténèbres : vous y découvrirez ses merveilles.
Cette fois-là, j’étais assis sur une touffe d’herbes luminescentes aux embouts ronds et souples imprégnées de leur propre conscience ; certaines tâtonnaient fébrilement ma lampe à huile posé à côté de moi, attirées par la flamme qui y brûlait doucement. Face à moi se dressait une vaste cavité dont le plafond de pierres précieuses s’illuminait des lumières bleues des lacs, des ruisseaux, du vert et du rouge des champs et de l’arc-en-ciel des forêts de roches luisantes.
Dans cette myriade de couleurs se propageaient des gros paquets d’ombres opaques, comme autant de bulles de savon inquiétantes ; rampants sur le sol ou voltant hasardeusement. Ce n’étaient pas une réelle menace. Il fallait seulement s’en méfier lors de l’escalade ou des longues marches sur la rocaille : elles pouvaient cacher des crevasses ou simplement vous aveugler le temps de leur passage.
Je sortis de mon sac un rouleau de bois dans lequel j’entreposai mes feuilles vierges, en tirai une, rangeai les autres, sorti une plume, un encrier et une pierre à encre ; je la grattai au-dessus du récipient et y versa quelques gouttes d’eaux recueillies à une source non loin, et couchai sur le papier de qualité un rapport détaillé de toutes mes découvertes de ce mois.
Je travaillai au compte d’une guilde scientifique qui tentait de percer les mystères du gouffre. Il y avait énormément de choses que nous ignorions, tant sur l’écosystème surnaturel qui l’habitait que sur sa profondeur exacte. La cavité où j’étais fut la troisième découverte dans le premier anneau. Celui-ci en comptait six autres de semblables, et un puits en son centre amenait au niveau inférieur, et ainsi de suite. Il s’agissait d’un réseau de cavernes et de couloirs très complexe.
L’écriture de mon rapport terminée, je laissai mes yeux parcourir les flétrissures de mes mains tremblantes et amaigries. Elles ressemblaient sans s’y méprendre à celles d’un vieillard. La cause de cela n’était autre que l’atmosphère du gouffre, et non mon âge. Il aspirait ma vie comme une sangsue le faisait du sang. Mais, je ne m’inquiétai pas. Plutôt, je sortis une fiole au contenu bleu d’une sacoche à ma ceinture, en retira le bouchon et en avala la mixture. Une chaleur m’envahit, traversa mon corps et se regroupa au bout de mes orteils et de mes doigts avant de disparaître dans un flash bleuté. Ma chair se raffermit ; les rides disparurent dans une sensation désagréable.
« Dégueulasse… » grimaçai-je face au goût ignoble présent dans ma bouche.
Mus par une énergie nouvelle, j’écartai les herbes curieuses penchées sur mes cuisses et me relevait d’un bond. Maintenant, il me fallait tout remonter pour regagner la ville où je vendrai à mes employeurs les échantillons de la faune, de la flore et des minéraux contenus dans mon sac.
J’eus une bonne pêche, cette fois-là. Ils me paieront bien, en fus-je convaincu. Suffisamment pour m’acheter un meilleur équipement. Je désirai pénétrer les profondeurs inexplorées, mais pour cela, j’aurai besoin d’argent. De beaucoup d’argents !
Je m’en allai en suivant un chemin surélevé à flanc de falaise, une chute et c’était le décès, mais ce genre d’erreur ne m’arrivait pas. Jamais.
Alors, pourquoi tombai-je cette fois-là ?
Tout se précipita, un affaissement, une chute, un trou dans la paroi rocheuse de la caverne ; je ne tombai pas uniquement de la falaise, mais de l’anneau, encore et encore. Interminablement. Jusqu’à ce que les ténèbres m’engouffrent.
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