Chapitre 8
— Ce n’était pas sympa de l’accuser de mentir, Soen, fit remarquer Nanoki.
Ce dernier se redressa et posa sa main sur sa poitrine, comme s’il était outré par une telle accusation.
— Je ne l’ai pas accusé de mentir, il a menti, se défendit-il.
— C’est toi qui ment ici, cracha Daphné.
Il éclata de rire et approuva, non sans relever à quel point la tête énervée de la rêveuse le faisait rire.
Daphné grogna mais tenta de l'ignorer en lui tournant le dos.
Soen assumait sa capacité et en était fier. Mais cela aussi, était-ce un mensonge ? Maintenant que Nanoki connaissait la capacité de Soen, elle allait douter à chacune de ses paroles. Elle, ne pouvait pas déceler la vérité du mensonge, alors comment savoir ce qu’il pensait vraiment ?
Comment savoir s’il ment quand il se proclamera innocent lors d’un procès ?
À cette idée, ses battements de cœur accélèrent et ses yeux tremblants devisagèrent Soen comme si ce dernier était coupable d'une centaine de meurtres.
Ces pensées s'accrochaient à elle sans lui laisser la moindre chance de répit.
Elle ne connaissait personne ici. Pas moyen de savoir si certaines personnes ici dissimulaient des antécédents criminels. Ils pouvaient sans problème feindre de jouer les innocents pour que jamais ils ne fussent suspectés.
Nanoki déglutit. L'horaire de nuit ne tardait plus, ce n'était qu'une question de minutes. Alors elle irait dans sa chambre, seule avec ses pensées macabres pour lui offrir de doux cauchemars. Et le lendemain, elle collaborerait avec les autres comme s'ils se faisaient tous confiance.
Sauf que ce n'était pas le cas. Et ce peu importe à quel point ils tentaient d'y croire. Tant qu'ils étaient ici, seule la méfiance règnerait.
D’une façon ironique, elle ne voulait pas aller dans sa chambre. La nuit précédente, elle était épuisée après avoir tant marché, donc elle ne se souciait pas de se retrouver seule dans une chambre qui paraissait-il, était la sienne, dans un lieu inconnu ou elle pouvait se réveiller avec un cadavre devant sa porte.
Elle se sentait plus rassurée au milieu des autres. Son cauchemar était irrationnel ; le coupable ne devait pas se faire remarquer, donc c’était improbable que toutes les victimes de ce jeu morbide tentent de la tuer en même temps.
Il était vrai qu’enfermé dans sa chambre, sa vie n’était en théorie pas en jeu. Mais elle était seule. Avec ses pensées. Avec ses peurs. Avec ses appréhensions.
La solitude, autrefois sa meilleure amie, formait ici ses pires angoisses.
Alors quand l’annonce de l’horaire de nuit s’apprêtait à retentir, elle se leva, au même rythme que les dernières personnes qui restaient dans la pièce et quitta le réfectoire, d’un pas lent.
Jessica partit devant, courant aussi vite que ses jambes frêles le lui permettaient. Le simple bruit de ses pas suffit à Timéo pour se réfugier dans les bras de sa soeur qui le serrait comme si sa vie en dépendait.
Ces deux là se connaissaient, plus que cela, leur relation fraternelle leur offrait une grande complicité. Ils pouvaient se faire confiance.
— On dors ensemble, hein ? gémit Timéo.
— Evidemment, répondit sa sœur.
Nanoki ne pouvait pas s’empêcher de les envier. Ils ne ressentiraient pas la solitude. Ils se soutiendraient. C’était une telle chance, en de tels lieux.
Nanoki était fille unique, alors elle ne pouvait pas savoir ce que cela faisait d’avoir un frère ou une sœur. Comment se sentirait-elle si sa meilleure amie figurait parmi eux ? Non, ce n’était pas une bonne idée. Elle serait tiraillée par la peur que sa meilleure amie fût tuée. Et elle ne supporterait pas qu’il lui arrivât quoi que ce fût.
Sa meilleure amie aimait lui dire qu’elle la voyait comme une grande sœur protectrice. Peut-être pouvait-on, envers une amie, ressentir la même chose que si cette dernière était notre sœur ?
Nanoki sentit son coeur se serrer. Sa meilleure amie lui manquait.
N’y pense pas trop Nanoki, sinon tu vas faire une bêtise…
Elle prit une grande inspiration avant de se redresser, se forçant à se calmer, elle et les battements de son cœur. Elle se stoppa net en constatant qu’elle se trouvait déjà devant la rangée de maisonnettes. Elle avait pourtant le souvenir que la distance depuis le réfectoire était plus grande. Combien de temps avait-elle passé dans sa tête ?
Nanoki jeta un coup d'œil autour d’elle ; les autres rentraient dans leur chambre, sauf Daphné qui lui jetait un regard interrogateur. La karatéka lui répondit d’un sourire, ce qui fit froncer les sourcils de la rêveuse qui haussa les épaules avant de pénétrer dans sa chambre.
Il ne restait donc plus que Nanoki qui n’avait effectué aucun mouvement pour ouvrir la porte. Mais lorsqu’une entité inconnue toucha sa nuque, elle s’empressa de s’engouffrer dans sa chambre, de saisir sa clé afin de verrouiller la porte de sa main tremblante.
Une fois fait, elle posa son front contre la porte, la respiration saccadée et le cœur battant la chamade. Son corps glissa contre la porte jusqu’à finir à genoux, sans que Nanoki n’opposât aucune résistance.
Une feuille tomba entre ses jambes.
Espèce d’idiote…
Un rire nerveux sortit des tréfonds de sa gorge, au point qu’elle en eut mal au ventre. Si un jour on lui avait dit qu’elle aurait peur d’une feuille…
Après un moment, elle se leva pour se traîner à son lit. Elle s’assit au bord de celui-ci. Enfin, à ce niveau-là, ses fesses ne faisaient que frôler la couverture parfaitement lisse. Parfaitement lisse ?
Elle se leva à nouveau afin d’observer le lit. Le matin même, lorsqu’elle avait quitté la chambre, la couverture pendait avec pleins de plis et un des oreillers était tombé par terre. Pourtant, tout était si propre, comme si jamais personne n’avait dormi ici.
Une pression dans l’air se forma derrière elle. Elle se figea. Nul besoin de se retourner pour savoir qu’il s’agissait soit de Kuro, soit de Shiro.
Elle fit son possible pour calmer sa respiration ; elle ne devait pas leur montrer qu’elle avait peur. C’était ce qu’ils souhaitaient, mais elle ne leur offrirait pas. Non, elle serait forte et saurait se contenir.
— Bonjour ?
Nanoki hurla en se retournant. Elle tenta de faire un pas en arrière, mais cela ne la fit que tomber le dos sur le lit. Elle recouvra son visage, dans l’attente de quelque chose, bien qu’elle ne savait pas quoi.
Idiote, idiote, idiote, idiote, idiote !
Elle se maudissait pour sa réaction. Elle n’avait pas tenu deux secondes sans paniquer.
— Hé ! Calme-toi ! Je ne vais pas te faire de mal ! s’enquit Kuro.
Sans pour autant être en confiance, Nanoki décala peu à peu les mains de son visage pour lever les yeux vers le robot humanoïde.
— Désolée, je ne voulais pas te faire peur. J’ai vu que tu te posais des question vis à vis de ton lit fait, alors je suis venue t’expliquer.
Nanoki ne pipa mot, mais l’incita du regard à continuer.
— C’est moi qui l’ai fait quand tu es partie. Je fais les lit de tout le monde et je m’assure que votre chambre soit en ordre. Je suppose que ce n’est pas votre première préoccupation, toutefois, je me suis dit que vous vous sentiriez mieux dans une chambre propre.
— Vous… vous pouvez rentrer dans nos chambres ?
— Oui, mais ne t’en fait pas ! Nous aussi on doit respecter le règlement, on ne vous fera rien sauf si vous le respectez. Même si mon frère peut laisser penser le contraire, il ne tirera aucune satisfaction s’il vous tuait sans raison.
A cette nouvelle, Nanoki ne sut quoi penser. Elle doutait de la pseudo gentillesse de Kuro. A la voir ainsi, elle semblait presque de leur côté. Pourquoi le ou la responsable voudrait faire cela ? Pourquoi avoir créé ainsi ce personnage ?
— Tu… euh… tu as dit que tu m’avais vu. Vous avez installé des caméras ?
— On peut dire ça… C’est nécessaire de pouvoir voir ce qui se passe pour connaître l’identité du coupable en cas de meurtres. Mais pas dans toutes les pièces ! Les vestiaires et les salles de bains sont équipés de détecteur de cadavre et trâce automatiquement le coupable. D’ailleurs, si vous vous dénudez dans votre chambre, la caméra s’éteint pour devenir détecteur. Notre but n’est pas de vous espionner dans des moments intimes ou quoi, jamais !
Nanoki dévisagea Kuro. Elle n’avait réellement aucun moyen de déceler la vérité dans ce que le robot venait de lui dire. Peut-être tout était vrai. Peut-être tout était faux. Peut-être un mélange des deux.
Néanmoins, la karatéka décida de la croire. Sûrement pour se rassurer, à tort même. Kuro pouvait lui mentir pour dissimuler la perversion des deux robots. En vérité, Nanoki ne voulait pas y penser. Rester dans le déni pouvait paraître stupide, seulement, c’était rassurant.
Rassurant de se dire qu’elle ne serait pas tuée si elle respectait leur règles. Rassurant de se dire qu’elle pouvait se doucher sans être espionnée. Rassurant de se dire que leurs bourreaux devaient eux aussi respecter les règles les concernant.
Rassurant mais pas suffisant.
Elle les regarderait avec la même méfiance. Elle ne serait jamais rassuré en leur présence. Elle appréhenderait toujours le moment de retourner dans sa chambre. Elle ferait toujours des cauchemars irrationnels qui la hanteront même en plein jour.
Elle aurait toujours peur de mourir.
— Encore désolée pour la frayeur, je vais te laisser dormir maintenant. Si jamais tu as une question, tu peux appeler.
Sur ses mots, Kuro disparût. Nanoki était à nouveau seule et cette fois-ci, elle se demandait si ce n’était pas plus mal.
Elle se redressa enfin. Ses yeux se posèrent sur la bibliothéque murale juste à côté de son lit. Avant, elle avait pour habitude avant de dormir, de prendre un livre qui lui faisait envie afin de le lire, bien installé sous les couvertures. Souvent, le livre était si fascinant qu’elle le finissait en une nuit, ce qui la faisait se coucher très tard, ou très tôt le matin.
Elle prit un titre qu’elle connaissait avant de s’installer. Ses moments perdaient de leur saveur avec ce contexte. Seulement, cela la rattachait à sa vie d’avant, ainsi elle gardait quelques repères. Aussi infime fussent-ils.
La lumière jaune ne l’aidait pas à se concentrer. D’habitude, quand elle tournait la tête vers la droite, la lune se montrait, placée pile devant sa fenêtre comme un rendez-vous quotidien.
Sa meilleure amie faisait la même chose, car elle souffrait d’insomnie. Et cette dernière redoutait la nuit. L'obscurité, la difficulté de voir à cause de sa lampe défaillante, les films d’horreurs qui ne l’aidait pas ; persuadée qu’une créature difforme vivait sous son lit et attendait le bon moment pour la manger vivante. Alors elle se cachait sous les couvertures comme s’il s’agissait d’un bouclier impénétrable.
Nanoki, elle, aimait la nuit. Être seule dans sa chambre et passer sa nuit à lire sans que personne ne vînt la déranger. C’était un pur bonheur ; elle savourait ce moment qu’elle attendait depuis son réveil.
Cependant, ici, pour la première fois de sa vie, elle attendait le lever du soleil. Elle voudrait dormir pour accélérer le temps, mais le cauchemar de la veille la décourageait.
Les créatures de la nuit qu’elle s’amusait à imiter quand elle était petite venait la hanter, s’accrochant à son esprit, tournant, riant, la chatouillant.
La nuit est une créature que l’humain ne peut dompter, peu importe à quel point on y croit. Moi, je pensais y être parvenu.
Mais la réalité vint la rattraper.
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