L’espace d’un instant, le cœur de Sahila se mit à battre à tout rompre. La question qu’elle se posait précédemment, sans vraiment vouloir en connaitre la réponse prit soudainement une autre dimension ; et la bouteille de champagne lui donnait un air plus solennel.

Sahila était inquiète, très inquiète. Le temps de regagner le saule pleureur lui suffit largement pour se faire des nœuds au cerveau. Cette sensation ne lui manquait pas.

Finalement, elle ne savait pas grand-chose de son gentil voisin. Certes, au fil du temps, ils partageaient de plus en plus de moments. Ils allaient souvent faire les courses ensemble. Faire le marché était devenu leur rituel hebdomadaire. Ils jardinaient, bricolaient, cuisinaient, riaient de concert dans une sorte de douce harmonie. Mais cette soudaine impression de ne rien savoir de Marc angoissait Sahila. Avait-il été marié, voyait-il quelqu’un, avait-il des enfants ? Sahila n’avait jamais vu de femme rendre visite à Marc… à part elle. Et s’il avait quelqu’un ? Oh non, je ne pourrais plus partager tout ça avec lui ! C’est mort ! Aucune femme ne supporterait leur complicité. Je vais devoir m’effacer une fois de plus. Oh non, il va me manquer !!! Sahila interrompit son flot de pensées une demi seconde, et …

Mais oui, c’est ça, il est gay ! Mais oui, tous les beaux mecs sont gays de toute façon. Ca va pas Sahila, t’as craqué, c’est quoi ces préjugés ! Et il veut me demander si je veux bien rencontrer son mec. Ils vont se marier et il veut me demander d’être son témoin. Oui, là, c’est officiel, t’as craqué. Et même si c’est le cas, qu’est-ce que ça peut faire ?

Ca expliquerait pourquoi il passe autant de temps avec moi sans me regarder comme un bout de viande avec des yeux lubriques. Ca expliquerait aussi pourquoi il a autant de finesse et un sens aussi aiguisé de l’esthétique. Et pourquoi il sait aussi bien cuisiner. Oui, Sahila, c’est bien connu, tous les grands chefs cuisto sont homo ! Etchebest ne va pas tarder à faire son coming out d’ailleurs, c’est prévu dans le prochain top chef. Bon, c’est bon là, à quelle heure tu arrêtes tes conneries ? Ah, ben c’est now, vous êtes arrivés au pied du saule.

L’angoisse avait cédé la place à la panique et Sahila n’attendit pas que Marc ouvrit la bouche.

« Marc, tu sais, si tu veux me présenter ton petit copain, je serai ravie de faire sa connaissance. Je ne suis pas homophobe, tu sais. Je serai toujours là pour toi, je t’apprécie beaucoup, je peux même dire que je te considère comme un ami, enfin, je veux dire, tu es un peu plus qu’un voisin, enfin, tu vois ce que je veux dire ? » Elle était rouge pivoine, elle ne savait plus quoi dire, enfin, bafouiller, et elle se rendit vite compte à la tête de Marc qu’elle n’avait pas misé juste.

Marc, qui avait un court moment hésité à l’interrompre, la laissa terminer son envolée pour en déguster chaque phrase jusqu’au bout. Alors qu’elle le regardait d’un air timide et embarrassé, il éclata de rire. Il ne s’arrêtait plus, un rire franc, il en pleurait presque ! Il en avait même décroché son béret !

Sahila continuait de le regarder complètement interloquée. « Oh non, qu’est-ce que j’ai dit encore, mais ça va pas moi, ça y est j’ai tout gâché, maintenant il va croire que je le prends pour un PD ou que je suis amoureuse de lui » se dit-elle.

« Eh ben, la vie parisienne t’a laissé des séquelles on dirait ! Ah, ah, ah, mais c’était tellement drôle ! Tu en as encore beaucoup des déclarations comme ça à me faire ? » et histoire d’en rajouter une couche, Marc poursuivit en plongeant son regard ténébreux rempli de malice dans les beaux yeux de Sahila : « Alors comme ça, je suis un peu plus qu’un voisin ? » dit-il en attrapant deux verres et la bouteille de champagne.

Le cerveau de Sahila avait plongé dans le néant, elle était paralysée, par la honte, par la peur, par … elle ne savait même plus nommer ses émotions. Le désert.

« Tiens, ça va te réhydrater, tu en as besoin visiblement »

« Pardon Marc, je me sens ridicule, et s’il te plait, ne me demande pas comment j’ai pu en arriver à penser ça » Oui, ni à la vitesse à laquelle tu as pu arriver à cette conclusion, parce qu’il ne t’a fallu que quelques mètres, t’as peté Usain Bolt là.

« T’inquiète, tu me le diras bien un jour ou l’autre. Bon, tu es remise de tes émotions ? Sérieux, j’ai quelque chose à te demander. Si tu me considères comme un peu plus que ton voisin, est ce que tu pourrais envisager de te considérer comme mon associée ? »