Escalade ou escaladera pas !
Nous sommes à un peu plus de la mi-octobre et cela fait presque un mois que nous sommes rentrés. J’ai retrouvé toutes mes petites habitudes et j’ai fini par me faire une raison sur mon comportement avec Noël. Je n’avais jamais agi de la sorte avec qui que ce soit et j’avoue que cela m’a travaillé durant un certain temps, mais aujourd’hui, j’ai fini par me faire une raison. Je ne peux pas revenir en arrière et puis de toute façon, je ne le reverrai jamais. Au pire, son égo en aura pris un coup, mais je crois que cela ne peut pas lui faire de mal.
Bien évidemment, je n’ai parlé à personne de cette dernière rencontre. Habituellement, je suis incapable de cacher quoi que ce soit à Raphaël, mais je crois que sur le coup, j’avais tout simplement honte de mon comportement. Mon ami n’est pas le genre de personne à juger les autres, mais j’ai tout de même préféré garder cela pour moi.
Mais pourquoi je repense à ça moi d’abord ?
Je m’étire avant de consulter l’heure sur mon radio réveil. Sept heures trente, je suis en repos aujourd’hui, mais impossible de me rendormir, alors autant aller courir ! Je sors du lit et enfile mon peignoir. Les températures ont considérablement chuté cette semaine, je crois qu’il est temps d’allumer le chauffage sinon un matin, on va se retrouver avec des stalactites au bout du nez. D’ailleurs, je suis étonné que Popo n’ait pas encore râler de la température intérieure.
Quand j’arrive dans la cuisine, je trouve Raphaël en train de faire le café. C’est bizarre, je le croyais de garde aujourd’hui ! Quant à Popo, vue l’heure, elle doit déjà être partie bosser. Nous nous croisons beaucoup ces derniers temps. Depuis que nous sommes rentrés de vacances, nous n’avons pas réussi à nous retrouver tous les trois pour une soirée complète. Moi, je suis pas mal occupé avec la saison de ski que je commence à préparer, Raph fait de nombreuses heures supplémentaires pour pallier au manque de personnel, quant à Apolline, elle est souvent absente le soir. Je me demande si elle n’aurait pas rencontrer quelqu’un sans rien nous dire.
— Salut, bien dormi ?
Raphaël me sort de mes pensées quand ses lèvres se posent sur ma joue.
— Ouais et toi ? D’ailleurs, tu n’es pas encore parti ?
— Non, on m’a donné ma journée, j’ai fait exploser le compteur d’heures supplémentaires ce mois-ci et comme le nouveau chef de brigade arrive la semaine prochaine, ils sont dans leur petit souliers.
Merde c’est vrai, j’avais complètement zappé que le Cédric nous quittés pour la Bretagne. Franchement, mais qui demande une mutation dans ce coin ? Il pleut tous les jours et je crois qu’ils ne voient presque jamais le soleil et si ça se trouve, ils ne savent même pas ce que c’est. Ce doit être vraiment déprimant !
— Ça va te faire du bien de te reposer un peu ! J’allais faire un jogging, tu m’accompagnes.
— Pour tout te dire, j’avais une autre idée en tête et je comptais bien t’emmener avec moi.
Je me sers une tasse de café avant de me retourner vers lui en me demandant où il peut bien avoir envie d’aller.
— Vas-y, dis-moi !
— Je préfère te faire la surprise.
Une surprise ? C’est nouveau ça, depuis quand Raphaël fait des surprises ? Mais je ne me pose pas trop longtemps la question, parce que je sais très bien, que quoi qu’il me réserve, je le suivrais dans tous les cas.
— Ok, je peux manger d’abord ?
— Bien entendu, c’est même fortement conseillé !
Une heure plus tard, après un petit déjeuner bien copieux, préparé par mon ami pendant que je prenais ma douche, nous sommes en voiture et il me conduit je ne sais où. Mais je connais cette route, elle donne sur le versant nord du glacier de la Grande Motte et je me demande ce que nous allons faire là-bas. C’est un coin plutôt utilisé pour pratiquer l’escalade et c’est un sport que je refuse de refaire depuis que mes parents nous ont quittés.
Je remarque que Raphaël me jette régulièrement un coup d’œil et je ne sais pas trop pourquoi, mais je parierais que ce qu’il prévoit ne va pas du tout me plaire et je dois en avoir le cœur net.
— Tu m’emmènes où exactement ?
— Je crois que tu sais très bien où je t’emmène !
Je le fixe en essayant de me contenir le mieux possible. Je ne veux pas lui dire des mots que je pourrais regretter, mais là, il s’attaque à quelque chose d’impossible pour moi. Je refuse catégoriquement de recommencer l’escalade, ce sport a coûté la vie à mes parents et il ravivent encore en moi de trop mauvais souvenirs. Tout le monde est au courant, ce sont les seules interventions que je suis incapable de faire.
— Raphaël non ! Je refuse catégoriquement !
Il soupire, mais il s’attendait à quoi ? A ce que je saute de joie et que je jubile ? Bon sang, je pensais vraiment qu’il me connaissait un peu mieux et qu’il avait un peu plus de considération pour moi.
— Hé bien soit ! Tu te contentera de me regarder alors.
J’espère qu’il plaisante, je ne vais quand même pas passer ma journée à me ronger les sang à le voir mettre sa vie en danger. Je sais qu’il fait toujours de l’escalade, mais en général il y va avec des gars de l’équipe et il ne me tient au courant que lorsqu’il est rentré, justement pour ne pas que je m’inquiète.
— Non, ramène moi s’il te plait !
Il arrête la voiture sur le bas-côté de la route, coupe le contact et se tourne vers moi.
— Ecoute Sam, aujourd’hui j’ai prévu de faire un peu d’escalade et je ne compte pas faire demi-tour. Alors soit tu essaies, soit tu me regardes, mais je ne te ramènerais pas, c’est hors de question.
Je croise les bras sur ma poitrine en lui tournant le dos. Je ferme les yeux, il faut vraiment que je me calme, parce que je n’ai aucune envie de me disputer avec lui. Cela fait des années qu’il tente de me convaincre de recommencer à grimper, mais j’en suis parfaitement incapable. Rien que le fait de l’imaginer, j’ai sans arrêt les mêmes images qui reviennent me hanter. Et en sachant cela, il ne peut décemment pas me demander de le regarder faire, c’est au-dessus de mes forces.
S’il lui arrivait quelque chose, je ne le supporterais pas.
— Je ne peux pas Raph, je suis désolé. Ramène-moi !
Il soupire, démarre et je me sens déjà soulagé quand il reprend la route, mais malheureusement, pas dans la bonne direction.
— Désolé Sam, mais tu sais très bien que grimper seul c’est trop dangereux et j’ai bien l’intention de faire l’ascension du versant Nord aujourd’hui. Alors tu vas m’accompagner et m’assurer.
— C’est hors de question, tu sais très bien que s’il se passe quoi que ce soit, je serais incapable de te venir en aide. Je t’en prie, ne fais pas ça !
— Je suis prêt à prendre le risque.
— Mais pas moi putain !
Il ne me répond pas et continu sa route. Je suis au bord de la crise de nerfs, si bien que je serais presque capable de le gifler. Mais qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête pour avoir une idée pareille ?
S’il rate une prise, s’il glisse, je serais incapable de faire quelque chose pour lui, je ne pourrais pas lui venir en aide. Il doit renoncer, je ne peux pas le laisser faire un truc pareil.
— Raphaël, je te le demande une dernière fois, ramène moi ! Je ne peux pas, j’en suis incapable et tu le sais très bien.
— Non, tu es juste morte de trouille, ce n’est pas une histoire de capacité, mais bien de peur !
Oui je suis terrifié, j’ai la frousse et je refuse de revivre la même chose qu’il y a seize ans. Je ne supporterais pas de le perdre lui aussi et encore moins d’en être responsable, c’est au-dessus de mes forces !
Les larmes me montent aux yeux, je suis incapable de le protéger, je serais impuissante s’il fallait agir vite, je suis plus que certaine de ne pas y arrivé. Grimper avec moi, reviendrait à faire l’ascension seul et il m’est impossible de le laisser prendre un tel risque.
— Oui c’est de la peur, je ne le nierais pas. Mais il n’empêche qu’il m’est impossible d’assurer ta sécurité dans cette situation. Tu peux tout me demander, mais pas ça ! Pas juste nous deux.
Il ne répond pas et je n’ajoute rien de plus. Je sais très bien que c’est quelqu’un de têtu et qu’il est persuadé d’agir dans mon intérêt. Il a souvent raison, mais cette fois, il se trompe lourdement, j’en suis convaincue.
Il finit par se garer sur le parking où démarre la randonnée pour accéder au début du parcours. Rien que d’être ici, j’ai l’estomac dans la gorge. Il descend et ouvre le coffre pendant que je reste assise sur le siège passager. Je refuse de bouger et de participer à cette mascarade. De toute façon, je ne suis même pas certaine que mes jambes arrivent à me porter jusque là-bas, tellement elles tremblent. Ce n’est pas à cet endroit que mes parents ont eu leur accident, Raph n’est pas assez tordu pour me faire ce coup-là. Mais il n’empêche que la sensation de malaise n’est pas différente. Je me sens oppressée et ma respiration est difficile.
Raph ouvre ma portière me faisant sursauter.
— Tu viens ?
Je ne peux pas !
Je détourne le regard de l’autre côté, je suis incapable de le regarder dans les yeux.
— Non !
— Comme tu voudras, mais si tu changes d’avis, tu trouveras le matériel nécessaire à l’arrière.
Il claque la porte et emprunte le sentier en me laissant derrière lui. Je le déteste de me faire subir ça, de me laisser là, toute seule, alors que je sais qu’il part grimper sans aucune assistance au sol. Je ferme les yeux et pose ma tête sur mes genoux. Je ne peux pas le regarder escalader la paroi, mais est-ce que je suis plus capable de rester là et d’attendre qu’il revienne en me demandant si tout se passera bien ? Franchement, je n’en sais absolument rien. Je ne sais pas du tout comment je dois me comporter face à cette situation.
Si je le rejoins, j’ai peur de paniquer et si je reste là, j’ai peur qu’il se produise un accident sans avoir rien fait. Est-ce que je suis capable de lui venir en aide si la situation se présente ? Je n’en ai aucune idée.
Mais ce dont je suis sûre, c’est que s’il lui arrivait quelque chose par ma faute, jamais je ne pourrais me le pardonner.
Il est en train de me mettre dans une situation que je ne supporte pas et à laquelle je ne suis pas certaine de pouvoir faire face.
En relevant la tête, j’aperçois la radio. Il est parti sans elle, il est encore plus inconscient que je ne l’avais imaginé. Putain, la radio c’est la base en montagne, la plupart du temps, les portables ne capter pas ici, il est pourtant bien placé pour le savoir.
Je ne peux pas le laisser grimper sans radio, c’est impossible, terriblement dangereux et totalement débile !
Putain, il me fait vraiment chier !
La radio en main, je descends de voiture et me dirige vers le coffre. Je prends une grande inspiration en regardant le matériel qui apparaît devant mes yeux.
Je ne peux pas !
Je vais juste lui porter la radio au cas où.
Mais si quand j’arrive il est en difficulté ?
Je ne sais pas quoi faire, je suis complètement perdue. Je peux toujours prendre le matériel, cela ne me coûte rien et cela ne veut pas dire non plus que je vais grimper. C’est juste une question de sécurité, au cas où.
Baudrier, mousqueton, corde, je me rappelle de tout, je n’ai jamais oublié. Je verrouille la voiture et je me mets en route.
Rien n’a changé depuis le temps, le sentier, la végétation, tout est resté identique. Je me souviens de la dernière fois où je suis passé par là, moins d’une semaine avant l’accident. Avec Raphaël, nous étions encore jeunes et complètement insouciants. A cette époque-là, nous pouvions venir grimper après avoir fait une soirée bien arrosée la veille.
Jeunes et complètement stupide !
Nous avons grandi dans ces montagnes et nous en connaissons les moindre recoins, ce qui la rend encore plus dangereuse. Ici, la nature ne prévient pas, elle prend, elle est aussi magnifique qu’imprévisible. Il faut toujours être prévoyant et se tenir sur ses gardes, beaucoup en ont fait les frais, y compris mes parents.
C’était pourtant des grimpeurs professionnels, mais cela n’a pas suffi, leur grande connaissance du terrain ne les as pas protégé pour autant. Il n’a fallu qu’une toute petite seconde d’inattention pour que leur vie s’arrête et que la mienne bascule.
Quand j’arrive au bout du sentier, je tombe sur les affaires de mon ami posées sur le sol, mais aucune trace de lui. Je relève la tête, mais je ne le vois pas non plus sur la paroi. Je suis aussitôt rassuré de voir qu’il est toujours sur le plancher des vaches.
J’hésite à lui poser la radio et repartir de là où je viens, mais ma conscience me dit que je dois d’abord m’assurer qu’il va bien, le tout, c’est de savoir où il a bien pu passer.
— Raphaël ?
Je l’appelle une fois, deux fois, mais toujours rien. Je commence à m’inquiéter.
— Je suis là ! Viens voir !
Je me retourne en sursautant et découvre Raph qui est en train de sortir d’un bosquet derrière moi. Encore heureux que je ne sois pas cardiaque.
— Quoi ?
— Ne fais pas de bruit et viens.
Je soupire en le rejoignant. Tant qu’il ne me fait pas grimper, je veux bien le suivre où il veut. Je lui fait confiance, je lui ai toujours fais confiance. Il prend ma main et m’aide à descendre, mais la progression est difficile, ici il n’y a pas de sentier. La nature à tous ses droits et elle donne l’impression de nous barrer la route pour nous empêcher de voir ce qu’elle cache.
Quand nous sortons des balises, nous prenons toujours grand soin de ne rien abîmer, faisant toujours attention où nos pieds se posent. Le respect de l’environnement est la base de notre éducation.
Mais plus je descends, plus je me demande où il me conduit.
— Où va-t-on ?
Il s’arrête tout d’un coup et pose son doigt sur mes lèvres en fronçant les sourcils avant de m’entraîner un peu plus loin, mais plus lentement cette fois. Il finit par me montrer avec son doigt quelque chose, mais de là où je me trouve, je ne saurais dire ce que c’est comme animal. Il s’accroupit, alors je fais de même et il me tend une paire de jumelles. Je les ajustent sur mes yeux et je tombe sur un spectacle magnifique, que nous avons rarement l’occasion de voir. Une Eterle avec son chevreau et le chamois ne doit pas être bien loin, mais je ne le vois pas.
Je souris à Raphaël en lui tendant les jumelles.
— Profites-en, je les regarde depuis que je suis arrivé, me dit-il.
— Et comment as-tu atterris ici ?
— Parfois avant de grimper, je fais un tour dans les environs. Au printemps, j’ai découvert le couple et depuis, je reviens de temps en temps et ils sont toujours là, sauf qu’ils sont trois maintenant.
Je lui souris et nous restons un long moment assis à se faire passer les jumelles. Mais je commence à avoir froid. Je ne pensais vraiment pas mettre autant de temps et j’ai laissé mon blouson dans la voiture. Si je ne bouge pas, je vais finir en hypothermie, mais je ne veux pas non plus risquer d’effrayer les animaux. Je me penche à l’oreille de Raphaël.
— Je vais remonter, j’ai trop froid.
Il me regarde en acquiesçant de la tête.
— Je remonte avec toi !
— Non, reste, ne t’en fait pas.
— Je ne comptais pas rester ici toute la journée non plus, me dit-il avec un clin d’œil.
Nous nous redressons doucement, mais j’ai quelques difficultés à pouvoir bouger. La même position mêlé au froid m’a complètement engourdis les membres. Nous reprenons notre ascension lentement et en arrivant en haut, je n’ai plus froid du tout.
— Tu es venue grimper avec moi ? Me demande Raphaël.
Je me retourne vers lui en me souvenant pourquoi j’ai été obligé de le rejoindre alors que je n’en avais pas envie.
— Non, tu as laissé la radio dans la voiture. Tu sais que c’est complètement inconscient de ta part ? C’est une erreur de débutant et tu n’en ai plus un !
Il me regarde en plissant les yeux.
— Je n’avais pas l’intention de faire de l’escalade seul, mais avec toi. C’est pour ça que je suis descendu voir si j’apercevais la famille de chamois. Je voulais te laisser le temps de réfléchir et de peut-être changé d’avis.
— Et bien, je n’en ai toujours pas changé, bien au contraire, je te l’ai déjà dit, mais je vais te le répéter. Plus jamais je ne ferais d’escalade, mets-toi bien ça dans le crâne ! Et maintenant, j’aimerais pouvoir rentrer et faire autre chose de la journée que de poireauter dans une voiture pour rien.
— D’accord, allons-y, mais dis-toi bien que je ne renonce pas. Un jour ou l’autre, je reviendrais à la charge et je peux te garantir que tu finiras par grimper cette façade avec moi.
— Dans tes rêves !
Je le laisse en plan derrière moi avec tout le matériel. Je suis énervé et agacé, il n’a qu’à tout redescendre tout seul. J’arrive à la voiture et je m’installe sur le siège passager au chaud en attendant qu’il revienne.
Jamais, je ne recommencerais la pratique de l’escalade, il va falloir qu’il se le mette dans la tête parce que je ne changerais jamais d’avis.
Jamais, jamais, jamais !
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