Chapitre Premier
De nombreux princes démons résident aux Enfers. Chacun possède ses terres, ses âmes, son armée, ainsi qu'une ambition dévorante. C’est cette ambition qui les projette dans la lutte perpétuelle qu’ils mènent entre eux pour obtenir les faveurs de leur maitre.
Tel n’est pas le cas de Baal, celui qu’on appelait autrefois le Vent de l’est.
Il ne souhaite pas se démarquer parmi les seigneurs des Enfers, il ne veut pas de l’attention de Lucifer. Baal souhaite seulement se complaire dans la détestation de tout ce qui l’entoure. Il ne rentre jamais en guerre, ne profère jamais de menaces, c’est à peine si les démons qui le servent l’ont vu se lever de son trône à plus d’une dizaine de reprises. Perdu dans ses pensées, il vient en aide à ceux qui haïssent le monde qui les entoure et œuvrent pour le détruire. Peut-être était-ce pour cela qu’il était le favori de Lucifer.
Par peur du courroux de leur maitre, les autres princes provoquaient rarement Baal, préférant se quereller entre « démons au sang pur ». Ils ne l’aimaient pas et lui leur vouait une haine aussi brûlante que son esprit damné le pouvait. Ils n’étaient que de pitoyables chiots jappant à ses pieds, tentant vainement de le déconcentrer dans l’espoir de faire échouer ses plans.
Ses songes étaient actuellement centrés sur le devenir de Nérydia : l’empire de l’Est fut ravagé pendant des dizaines d’année par des guerres intestines entre les différentes familles de nobles. La famille Aeļĕnŗĭţ venait tout juste de remporter la lutte grâce au génie de leur héritière, qui avait parfaitement su utiliser les rivalités tenaces que se vouaient les quelques familles qui supportaient encore l’empereur. Le camp ennemi divisé, il ne lui restait qu’à défier officiellement l’empereur dans un duel que ses pouvoirs lui assuraient de gagner. Il était dit qu’un ordre nouveau allait être fondé, les autres pays se préparaient à une invasion imminente, il semblait que le monde était en passe de s’enflammer. Baal jubilait.
Peut-être était-ce dû à la relative quiétude dont il avait joui ces dernières décennies, ou bien à l’obsession qu’il avait développée pour l’avenir de son ancienne patrie, mais le démon ne vit se dessiner le cercle runique autour de lui que bien tard, trop tard. Il identifia immédiatement les inscriptions qui l’aspiraient peu à peu vers une dimension inconnue : il s’agissait d’une invocation humaine. Il ferma les yeux, attisant le feu qui brûlait en lui. Qui que soit l’homme qui l’avait appelé, il apprendrait bien vite qu’il n’est pas bon de déranger Baal le damné.
Le seigneur des enfers fut déconcerté dès son arrivée sur le plan terrestre : nul laboratoire, nul temple impie : il avait été invoqué dans une simple chambre. Comment était-ce possible ? Faire traverser l’appel aux 9 cercles de l’enfer aurait dû demander une quantité de souffrance effarante…c’est à ce moment qu’une voix claire résonna à travers la pièce.
« Bienvenue seigneur Baal »
Le démon se tourna instinctivement : il s’agissait d’une jeune femme. Tandis que le prince évaluait son ennemi, ce qui restait de l’homme en lui ne put qu’admirer la beauté de son interlocutrice : habillée d’une simple robe de nuit blanche rehaussant la noirceur de sa chevelure, elle se tenait droite devant le damné, ne laissant transparaitre aucune hésitation. Eurielle, l’héritière de la famille Aeļĕnŗĭţ
Peu d’hommes avaient osé faire appel au favori de Lucifer depuis son ascension, elle ne devait donc pas savoir que deux minutes plus tard il pourrait se libérer de cet immonde cercle de sel et de fer dont il était captif. Baal entreprit donc de distraire la jeune femme tandis qu’il s’acharnait à détruire sa prison.
« Tu as fait appel à moi Eurielle Aeļĕnŗĭţ, comment as-tu réussis là où tous ont échoué ?
- Cesse tes flatteries Baal, tu n’arriveras a rien avec cela… et nous savons tous deux que ce n’est pas ce qui t’intéresse le plus »
Le cercle commençait à se reformer ….et elle avait osé l’appelé par son prénom. Puisant dans sa rage, il investit toute sa force dans la destruction de ce cercle : cette sorcière était peut-être puissante mais elle ne pouvait l’égaler. Le démon sourit de toutes ses dents.
« En effet, peu m’importe comment tu as réussi à m’invoquer, tu n’es pas ma favorite pour rien. »
Le visage parfaitement serein malgré la lutte magique qu’elle menait, Eurielle leva un sourcil
« Vous m’en voyez honorée seigneur
- Tu l’as mérité, tu es puissante, ambitieuse … courageuse »
Le démon ponctua sa phrase du regard le plus noir qu’il pouvait donner, regard que son interlocutrice supporta alors qu’elle commençait à s’approcher des limites du cercle de runes tracé sur le sol de pierre de la chambre. Il n’avait pas pu l’intimider, mais …il y avait quelque chose d’éteint dans ses yeux. Bien qu’intrigué par ce qu’il avait découvert, Baal sut dès à présent qu’il pouvait la déstabiliser, la briser.
« Trêve de mondanités, que me veux-tu humaine ? De plus puissants pouvoirs ? La richesse ? La jeunesse éternelle ? »
Il avait brisé 4 des 9 sceaux qui le retenaient
- « Non… » Le seigneur démon perçut une hésitation dans son regard « il ne s’agit pas de ça »
- « Et bien que veut tu alors petite Eurielle ? Allons n’hésite pas ! Pour quelles raisons celle qui a détruit le clan du dragon et ses fidèles vassaux hésiterait elle ? »
- « J’ai bien assez de pouvoir pour une vie, j’ai fait appel à vous pour » elle se prit les mains instinctivement, et Baal venait de détruire le 6e sceau, il l’interrompit
- « Cesse donc tes manières d’enfant ! Tu as mené des batailles et mené ton pays à sa perte ! Tu as fait appel à moi pour la même raison que les vermisseaux qui viennent quémander richesse et pouvoir : tu as peur »
La résistance qu’elle lui opposait se faisant de moins en moins farouche il continua son discours en le ponctuant de visions, accablant son interlocutrice qui restait silencieuse. Le 7e sceau était brisé, la flamme de sa haine grandissait de plus en plus.
« Malgré tes pouvoirs tu restes une enfant apeurée par la démence qui a touché ton père et l’a peu à peu rongée, par le monstre que tu as toi-même crée ! As-tu seulement cru pouvoir vivre dans la quiétude après ce que tu as fait ? Tu n’es plus qu’une feuille de papier, un chapitre de l’Histoire de tes pairs que tu as écrit avec leur propre sang »
Baal brisa le 9e sceau puis enflamma son corps. La jeune femme se tenait devant lui, poings serrés, le visage baissé : elle semblait attendre sa mort. Le prince démon ne put s’empêcher de penser que ce combat avait été trop facile. Il mit le pied hors du cercle d’invocation.
« TAIS-TOI !!! »
Baal s’arrêtâ sur le coup, Eurielle avait tant amplifié sa voix que les murs mêmes du château s’en étaient trouvés fissurés.
« Vous vouliez savoir ce que je voulais ? Je voulais simplement vous parler ! Je me bats pour donner un avenir meilleur à ces gens ! Cet empire devait mourir pour que l’équilibre soit rétabli mais ces imbéciles ne le comprennent pas !! Je ne regrette aucun des meurtres que j’ai perpétrés ou des massacres que j’ai ordonnés, je ne demande pas qu’on me comprenne car aucun ne le peut et aucun ne le doit ! Je dois rester le monstre destructeur que vous avez été en votre temps ! « Le seigneur de la haine » ainsi que vous vous surnommez : l’empereur qui a fui son empire puis l'a détruit ! Le traitre qui dévasta les châteaux de ses ancêtres, et vendit son âme au maitre des enfers pour sauver son peuple ! Je ne cherche pas à ce que l’on me comprenne, ni à ce que les gens m’admirent, il ne faut pas si je veux aller au bout de ma mission…. »
Elle tomba à genoux sur le froid sol de pierre
« …Mais ne serait-ce que ce soir je voudrais de l’affection, je veux juste un câlin… »
Pendant ce qui semblait être une éternité, Baal observa la larme qui s’était formée au coin de l’œil d’Eurielle dévaler sa joue, puis chuter jusqu’au sol.
Eteignant ses flammes, le seigneur démon fit un pas, puis un autre. Une fois arrivé face à la jeune femme il la prit dans ses bras , l’étreignant silencieusement. Pour la première fois depuis longtemps, la flamme s’était éteinte
Annotations
Versions