Chapitre 11
Elle prévint le jeune homme, qui entra quelques instants après. Il regardait l’homme avec une pointe d’animosité, mais surtout avec une suspicion évidente. Il n’avait clairement aucune confiance en son interlocuteur, et probablement une vie assez instable.
-Bonjour, tu dois être Dylan, sourit gentiment le docteur.
-Oui, répondit-il sèchement.
Le père d’Alice l’observa attentivement.
-On m'a dit que tu t’étais pris la tête avec Alice pendant la soirée. Tu peux m’expliquer ce qui s’est passé ?
Le jeune homme ne répondit pas, enfermé dans une bulle. Il fallait le faire réagir.
-Tu veux qu'Alice reste toute sa vie un monstre de foire ? Qu’elle ne puisse jamais vaincre ses démons ?
Il tressailli, comme s’il venait de se piquer. Il soupira, le regard fuyant. Il avait l’air en plein conflit intérieur. Il était perdu, il ne savait plus ce qu’il devait dire ou cacher.
-Eh bien… C’est vrai que je me suis énervé contre elle à un moment. Elle partait, je voyais son regard se vider, alors j’ai essayé de la faire revenir, surtout qu’elle était au bord du vide, mais elle ne m’écoutait pas alors… J’ai paniqué. J’ai élevé le ton. Mais je me suis excusé après.
Isidore l’observa à nouveau. Il semblait vraiment culpabiliser. Il était mal à l’aise d’être au centre d’une telle attention. Il n’avait aucune conscience des répercussions que pouvait avoir cette simple remontrance.
-Sa maladie l'empêche de se souvenir de tout. Elle peut très bien avoir été touchée très durement mais en pas s’en souvenir au moment où tu t’es excusée, ou alors avoir oublié tes excuses.
Il sembla surpris :
-Mais... Elle m'a dit qu'elle ne m'en voulait pas !
Le professeur le regarda, bouche-bée.
-Elle t’a parlé ?
Il paraissait maintenant gêné :
-Non, je n’ai jamais dit qu’elle m’avait parlé !
- Tu as entendu sa voix ?
-Non ! Elle a juste articulé des mots !
La surprise de l’homme était totale. Même lui, qui n’avait jamais cessé d’entourer Alice, n’avait eu droit qu’au langage des signes. Elle devait lui faire vraiment confiance pour aller jusque-là. Le garçon se tortillait de gêne. Il décida néanmoins de faire confiance à sa précieuse fille.
-Elle a fait une assez grave crise d’angoisse hier. On m’a d’ailleurs rapporté qu’elle en avait fait une similaire après la soirée. Or ces crises sont souvent suivies de tentatives de suicide ! Elle est actuellement trop fragile pour recommencer.
Le jeune homme le fixait, horrifié. Il paraissait abasourdi par la nouvelle. Il allait prendre la parole lorsque le téléphone d’Isidore sonna. Il décrocha et devint livide. A l’autre bout du fil, Justine, l’infirmière d’Alice, balbutiait :
-Monsieur, c'est… c’est horrible ! Mademoiselle s'est ouvert les veines ! Elle est… aux portes de la mort…
L’homme lâcha son téléphone. La voix angoissée de l’infirmière résonnait dans sa tête. Sa fille, sa si précieuse fille, était mourante. Non, ça ne pouvait pas se passer comme ça, pas après tout ce qu’il avait fait pour elle ! Elle devait vivre, ne serait-ce que pour lui expliquer, un jour, qui elle avait été avant tout cela…
Il se leva d’un bond, alla chercher Butler dans la salle attenante, et lui fit signe de le suivre. Le colosse fronça les sourcils, stressé par le regard angoissé de son employeur. Il le suivit docilement, et ils prirent le chemin de la maison.
Isidore jeta un coup d’œil à l’homme assit à ses côtés. Son visage paniqué lui rappela combien lui aussi aimait Alice, et ce depuis leur première rencontre. Bien qu’une telle amitié soit étrange, compte tenu de leurs différences, elle était si puissante que le professeur ne pouvait imaginer ce qui se passerait si l’un d’eux disparaissait de la vie de l’autre…
Il fut coupé de ses sombres pensées par leur arrivée au manoir. L’homme n’eut même pas conscience de se précipiter vers la chambre de sa fille. Arrivé devant la porte, il souffla. L’angoisse étreignait son cœur, il n’osait pas entrer, de peur de ce qu’il pourrait découvrir.
Il souffla, et poussa doucement la porte. Sa fille reposait là, dans son grand lit, son visage plus pâle que jamais, perdu dans sa masse de cheveux sombres. Son père trembla. Il détestait la voir ainsi, si vulnérable aux affres de la vie. Il poussa un gémissement pitoyable. Il savait bien qu’il ne pouvait rien faire avant son réveil, et cette idée le rendait fou. Il voulait qu’elle ouvre les yeux et qu’elle lui sourit tristement, comme tous les matins depuis maintenant dix ans. Elle était devenue sa raison de vivre, sa raison d’être, il ne pouvait pas continuer sans elle. Elle devait vivre, elle n’avait pas le droit de partir maintenant, pas alors qu’ils avaient tous si besoin d’elle. Que ferait l’univers sans son génie ? Il fallait la sauver coûte que coûte, car cette petite avait la capacité d’aider l’humanité. Son génie n’avait pas commune mesure, il avait bien vu la petite danseuse automate qu’elle avait offert à la jeune fille, et elle n’avait pris aucun cours de mécanique !
De son côté, Liam était toujours perturbé par les tourments qui avaient agité le professeur Virgile après le coup de téléphone. Il s’inquiétait pour Alice, tout comme ses amis. Il était tout de même retourné en cours, mais il n’avait fait que ruminé sur les évènements de la matinée.
La pause déjeunée avait été une réelle libération après cette inactivité.
Il fronça les sourcils. Dylan n’était pas là. Où était-il encore parti ? Il s’inquiéta. Le jeune homme semblait s’être vraiment attaché à Alice, il craignait qu’il ne fasse une bêtise.
-Je vais voir Dylan.
Ses amis le fixèrent.
-Mais, Liam, les cours recommences dans une demi-heure à peine ! Tu n'auras jamais le temps de revenir ici ! s’exclama Emi.
-Je vais sécher. Je dois aller le voir, c'est urgent. À plus.
Il prit rapidement le chemin de l’appartement de son meilleur ami. Il sentait que quelque chose clochait. Quand il arriva chez Dylan, il le retrouva assit à même le sol, une bouteille de tequila à la main, les yeux perdus dans le vide. Démon, allongé à ses côtés, le regardait en gémissant doucement. Il semblait souffrir de l’état de son maître.
Liam s’approcha doucement de lui et lui pressa doucement l’épaule. Il attendit une réaction, qui ne vint pas. Son ami était inerte.
La culpabilité qui se lisait sur son visage lui donnait raison. Dylan s’en voulait. Liam tenta par tous les moyens d’obtenir une réponse mais rien n’y fit, le jeune homme restait enfermé dans une bulle de culpabilité. L’alcool n’aidait certainement pas, mais Liam savait que lui prendre sa bouteille pouvait le conduire à agir violemment.
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