21 décembre
Samedi 21 décembre, tu ouvres le calendrier de l’Avent que tes jumeaux de six ans Tic et Tac/Zig et Puce/Dupond et Dupont t’ont concocté avec l’aide de leur maman qui souhaite te voir passer plus de temps avec eux, surtout depuis qu’elle a lu un article d’un pédopsychiatre très réputé chez son coiffeur. Pour leur psyché et tout le toutim, c’est super important pour un mioche de… t’as pas écouté le reste, mais ça avait l’air vachement IMPORTANT. Dans ton esprit, la télé ou la Play en hiver et un ballon ou un bout de bois en été, c’était amplement suffisant pour que Timon et Pumbaa/Starsky et Hutch/Hekel et Jekel se créent des tas de souvenirs extraordinaires d’enfance et soient plus tard équilibrés/épanouis/bien dans leur peau, tête, baskets, bref des adultes croquant la vie à pleines dents sans traîner des boulets traumatisants du passé - pesant cinq tonnes chacun - à chaque cheville.
Jusque-là tu t’en es bien sorti. Hier, c’était « Cache-cache party ». Tu as demandé à tes deux petits pirates/bandits/ouistitis de compter - l’un après l’autre - jusqu’à trente pendant que tu irais te cacher, sachant pertinemment qu’ils commenceraient par se chamailler avant de le faire et cafouilleraient en arrivant à dix-neuf. Discrètement, tu t’es éclipsé par la baie coulissante - sans la refermer complètement - chez ton nouveau voisin. Il t’a proposé une mousse et tu t’apprêtais à déguster la deuxième quand ta femme est arrivée. Tu as croisé les doigts pour qu’elle ne rentre pas une nouvelle fois dans ton pilier récemment rafistolé, mais par la porte du garage. Pendant ce temps, tu as parcouru le chemin inverse jusque chez toi, avec la certitude que les jumeaux accourraient auprès de leur mère en l’entendant rentrer. Tu t’es ensuite glissé derrière le sapin de Noël douteusement décoré par tes tornades vitaminées et a crié : « Je suis ICI ! » en les apercevant. Tes jumeaux ont poussé un cri, ravis ; ta femme aussi - mais bizarrement beaucoup moins ravie - suivi d’un début de juron en lâchant ses sacs à provisions. La pauvre ! Elle avait oublié le thème de l'activité.
Bien qu’il ne s’agisse plus de se cacher, tu caches ta joie en découvrant celui du jour : « Crêpes party ». Premièrement, tu es nul en cuisine ou plutôt tu as horreur de ça. Deuxièmement, en compagnie des deux fois deux mille volts, tu sens que tu vas tomber très vite à plat. Les jumeaux sont comme des fous. Tu m’étonnes ! Toi, tu te forces à tousser en proposant une « Lecture party » pour ne pas propager des microbes dans la pâte et contaminer toute la famille. Avant les fêtes, ce serait dommage de tomber malade. En plus la « Lecture party », tu adores ça, car tu glisses à l’intérieur du volumineux livre d’histoires ta tablette dernier cri et lances - pépère - un dessin animé en prononçant devant tes garçons les deux formules magiques : « Maman ne va pas être d’accord. » et « Ça sera notre petit secret. » Eux, ils adorent ça, et, toi, aussi.
Ta femme te dit en te touchant le front :
— Si tu tousses, chéri, tu ne peux pas lire à voix haute. De toute façon, tu n’as pas de fièvre. Bois un peu d’eau pour faire passer ton chat.
— Un chat ? hurlent les monstres survoltés. Papa, il est où ton chat ?
Ta femme se marre et te plante avec ton chat et tes deux terreurs.
— Je vais à mon cours de yoga. À tout à l’heure les garçons. Amusez-vous bien, ajoute-t-elle en continuant de rigoler.
Une fois qu’elle n’est plus là, tu aides tes poussins à enfiler leur tablier de cuisinier. Cette étape te prend pas moins de quinze minutes. Quand tu as fini de nouer celui de l’un, tu dois recommencer avec celui de l’autre. Ce n’est pas dans un tablier que tu rêves de les ficeler, mais dans une camisole. Tu lis la recette. Plus basique que celle-là, ça n’existe pas. Pour la réaliser, il vous faut : de la farine, du sucre, des œufs, du lait, du beurre fondu et un peu de sel. Rien de bien compliqué à trouver. Tu prends le grand saladier. Tout va bien. Yin est monté sur un tabouret, Yang se roule par terre. Tu ouvres chaque placard avant de localiser la farine et là… tu te crois dans un magasin bio : blé, orge, maïs, quinoa… T65, 80, 110, 150... Tout va bien. Aux grands maux, les grands remèdes.
— Plouf, plouf, ce sera toi, puis toi qui serez nos farines pour nos crêpes, chantes-tu en saisissant deux boîtes au hasard. « Farine de pois chiche » et « Farine de lentilles » c’est bien ça ? demandes-tu à tes assistants.
Pas de réponse. Yang est en train de ramper sous les tabourets, Yin a sauté sur le plan de travail. Tu redescends Yin et relève Yang.
— Vous pouvez verser la farine maintenant, cries-tu.
Tu aurais peut-être dû préciser « dans le saladier », car il y en a plus à côté et par terre que dedans. Tout va bien. Yin fait des empreintes avec ses mains un peu partout sur la table, Yang avec ses pieds un peu partout sur le carrelage. Tu en profites pour chercher le sel. Tu découvres que tu possèdes là encore plusieurs déclinaisons de ce condiment. Yin choisit le blanc, Yang le noir. Yang en met une pincée, Yin se trompe de côté en ouvrant la salière et en laisse tomber une grande quantité. Tout va bien. Pour le sucre, tu es embêté. C’est indiqué : « 2càs ».
— « 2 càs », « 2 càs », qu’est-ce que ça peut bien vouloir signifier ? répètes-tu à voix haute en te grattant la tête.
Avant de deviner :
— Deux (morceaux) càs-sés ! Allez, les loulous, faut broyer du sucre.
Les riris/fifi/loulous ne se font pas prier pour accomplir cette tâche tels des bagnards avec des pioches sur des rochers. Puis arrive LA partie que tu redoutes le plus de la recette : celle du cassage des œufs. Un rapide coup d'œil à la recette te rassure un peu : il ne faut pas séparer les blanc des jaunes. Ouf ! Tu l'as échappé belle ! Yin pulvérise les deux en moins de deux, Yang y parvient après un nombre incalculable de tentatives. Les coquilles sont évidemment de la fête. Tout va bien. Les petits chefs mélangent chacun à leur tour la pâte qui croustille drôlement.
— Mes chéris, vous continuez de mélanger doucement, pendant que je verse le lait, les préviens-tu. Vache, chèvre, jument, amande, soja, noisettes… ? Vous préférez lequel ?
— Vanille, répond Yin.
— Chocolat, répond Yang.
Tu incorpores les deux parfums. Tout va bien. Il ne vous reste plus qu’à intégrer le beurre fondu et vous pourrez passer à la cuisson. Tu t’aperçois qu’en plus des différentes variétés de beurre, celui-ci est dur comme de la pierre. Tu sais que tes bagnards se feraient une joie de le réduire en purée, mais décides de le remplacer par de l’huile. Colza, tournesol, sésame, noix… Ta femme veut ta mort ou quoi !!! Comme pour la farine, tu as recours au inratable « Plouf-plouf ». Tu ne lis pas l’étiquette avant de la verser et découvres en reposant la bouteille que c’était de l’huile pimentée. Tout va bien. Vous allez vous régaler, même si étrangement tu as quelques doutes. Tu prends le relai pour mélanger car les petits commencent à fatiguer, avant de t'emparer d'une poêle. Au lieu d'opter pour la traditionnelle crêpière, tu choisis le wok, ainsi que la louche que ta femme utilise pour la soupe. Tout va bien. Yin a repris son activité empreintes de mains sur tous les éléments laqués de la cuisine, Yang également : on peut d’ailleurs les suivre à la trace ; enfin, ce serait assez compliqué - même avec une équipe de pisteurs expérimentés - tellement il y en a. Et c’est parti pour la première crêpe.
C’est à ce moment que ta femme réapparaît. Elle manque d’avoir une attaque en pénétrant sur votre champ de bataille.
— Assis-toi, ma puce. Tu es drôlement pâle. Ça ne va pas ? Tu as peut-être faim, après le yoga ? En tout cas, ta séance t'a fait du bien : tu as l'air vraiment détendue.
— La première crêpe sera pour toi, maman chérie, crient Yin et Yang réunis et d’une même voix.
Une fois cuite, tu lui présentes la crêpe de compét. Tes petits gars sont très fiers. Toi, tu te demandes si c’est mangeable/digeste. Ta femme croque du bout des lèvres dans votre création et tombe - à en croire sa grimace - sur un morceau de coquille et une bonne dose de piment particulièrement salé. De pâle, elle devient soudain rouge, puis verte. La réponse à ta question est apparemment : « Non. »
Le lendemain, le calendrier de l’Avent avec les activités père/fils a mystérieusement disparu. Tu es déçu car - en trichant un peu - tu avais vu que ta femme avait programmé une : « Bricolage party » avec bougies, pistolet à colle et paillettes. Vous vous seriez follement amusés, à n'en point douter !
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