Après une dizaine de minutes d’exposition à la lumière de la nuit, Alice lui rend sa veste. L’astucieuse enfant, s’était servie d’un manche d’outil, une sorte de bêche, pour la faire passer entre les deux tôles du plafond et la placer en évidence sur le toit. Si elle n’avait pas été si faible, la prisonnière l’aurait aidée, mais malgré tout Alice y était parvenue seule.

Est-ce que ça suffira ? Gloria n’en a aucune idée. La fraîcheur contraste avec l’étouffante chaleur du jour. Un premier frisson la parcourt. Dans son état, sans une couverture, la nuit va être très compliquée. L’enfant est accroupie à côté d’elle. Elle non plus n’est guère équipée pour des températures qui promettent de descendre en dessous des 18 degrés.

Au prix d’un effort anormalement difficile, la vieille femme fait une petite place à côté d’elle et invite l’enfant à venir se blottir. Un peu de chaleur ne leur fera pas de mal. Hésitant quelques instants, Alice la rejoint et s’installe avec précaution. Une éternité semble passer dans le silence et l’obscurité avant qu’elle ne trouve le sommeil. Alice, en revanche, s’est assoupie en quelques minutes.

Le lendemain, toutes deux sont réveillés par la lumière aveuglante du levant qui s’introduit dans la remise à travers les ondulations des plaques de la toiture. L’air est encore très frais, mais ça ne durera pas. Dehors, le son des turbines des aéronefs qui sillonnent le ciel à leur recherche résonne au loin.

Quelques bruits d’activité humaine commencent à émerger et alors qu’Alice s’étire, le bruit caractéristique du loquet résonne dans la petite cabane. L’enfant se lève, prend une grande inspiration et va à la rencontre des visiteurs. Ce sont les mêmes hommes que la veille. Immédiatement l’enfant leur pose plusieurs questions. Là encore Gloria ne comprend que quelques mots : « médicaments » et « faim ». Le premier homme lui parle avec un ton particulièrement dur. Alice recule vers le mur et le laisse passer.

Dans un anglais plus simple que celui d’Alice, le geôlier s’adresse alors à elles : « Combien Sol6 va vouloir donner pour une grand-mère à moitié morte, hein ? Vous savez des choses sur Sol6 ? Sur Tachyon ?

– Je ne sais pas… J’ai perdu beaucoup de sang, je n’ai pas mangé et j’ai encore la tête qui tourne, répond Gloria.

– La petite, elle pense que je vais être maudit si je vous fais du mal, mais je suis pas comme lui, explique-t-il en pointant son collègue du doigt. Si vous servez à rien, alors je n’aurais plus besoin de vous.

– Je… Je suis une ingénieure. Je travaille sur les fusées et les vaisseaux spatiaux. Tachyon… Je ne travaille pas pour eux… Mais je connais des gens. », se défend la femme avec une impression grandissante de suffoquer. L’une de ses mains trembles mais l’homme semble ne pas s’en être aperçu. Au prix d’un effort supplémentaire, elle reprend : « Qu’est-ce qui vous intéresse ? Qu’est-ce que vous voulez ? Vous n’avez pas attaqué notre convoi sans raison, si ?

– On veut montrer à Tachyon qu’ils sont plus les bienvenus… Qu’ils ont jamais été les bienvenus ici ! explose-t-il.

– Arrête ! », crie Alice. L’enfant débat fermement avec l’homme sous le regard amusé de celui garde la porte. De la discussion, Gloria saisi vaguement que l’enfant tente d’expliquer que la « vieille femme » est malade et qu’elle a besoin d’eau et de manger. Le colosse refuse d’entendre raison et lui assène un violent coup de poing qui la met à terre.

Maugréant, il sort en expliquant qu’il va leur apporter de l’eau et de la nourriture mais qu’elle va aussi apprendre à rester à sa place. Le loquet à nouveau verrouillé, l’enfant cesse ses sanglots et sèche ses larmes avec une rapidité qui témoigne de l’habitude de cette situation. Elle porte un inquiétant hématome autour de son œil droit. Si Gloria en avait eu les forces, elle serait allée la réconforter sur le champ, mais à la place c’est l’enfant qui vient la rassurer.

Une demi-heure plus tard, les deux types reviennent avec un paquet de biscuits et une bouteille d’eau. Non sans violence, la brute les donne à l’enfant en lui montrant les dents. Alors qu’Alice se saisit des provisions, l’homme en profite pour lui caresser le flanc de façon obscène et perverse. Lâchant un « Bientôt ! » lourd d’implications, il repart sous le regard amusé de son comparse. La porte à peine fermée, l’enfant laisse sortir ce qui s’apparente à un juron swahili. Sans transition, elle se rue vers Gloria et, après avoir posé les biscuits à la hâte, elle l’aide à se relever un peu, puis à boire. Bien que probablement aussi assoiffée qu’elle, l’enfant s’assure que sa nouvelle amie ait toute l’eau dont elle a besoin. Le partage des gâteaux est, lui, plus équitable.

Plusieurs heures passent et la chaleur reprend ses droits. La nouvelle ecchymose de l’enfant a enflé de façon inquiétante, mais elle ne semble pas s’en soucier : ce n’est pas la première fois et peut-être pas la dernière fois.

Le sifflement des drones de recherche se fait entendre au loin et le son des réacteurs d’un ADAV semble s’approcher. Quelques instants plus tard, le son s’étant encore amplifié, plusieurs hommes crient en swahili dehors et leurs bruits de pas trahissent leur panique. Une première détonation retentit ainsi que le son caractéristique des munitions supersoniques.

La porte s’ouvre brutalement et le loquet tombe au sol. La brute est entrée, un fusil d’assaut en main, alors qu’il s’approche de Gloria il rugit : « Ils vont peut-être nous tuer, mais tu vas partir avant moi ! ».

Alors qu’il lève l’arme, Alice lui abat plusieurs coups avec la bêche. Surpris l’homme ouvre le feu par réflexe et plusieurs balles viennent fracturer le mur derrière Gloria. L’enfant ne s’arrête pas, et continue de lui porter des coups avec rage. L’homme prend plusieurs coups mal placés et s’effondre, l’enfant hurle en swahili et Gloria ne comprend qu’un mot : « porc ». L’insulte est sans ambiguïté.

Dehors, le combat continue de faire rage et visiblement Tachyon vient de débarquer ses soldats. Une rafale, presque silencieuse, d’arme pulseur déchiquettent un homme qui tentait de se réfugier dans la remise. D’instinct, Gloria tente de lever les bras pour saisir Alice, mais, trop faible, elle n’y parvient pas. Un homme en armure lourde entre, arrachant par la force de son exosquelette tout un montant de la porte. La silhouette noire, avec son casque bardé de capteurs, n’a presque plus rien d’humain. Alors qu’il estime la situation, Gloria hurle « Elle est avec moi, épargnez là et sortez-nous de là. »

Le soldat s’avance et laisse passer deux autres hommes transportant une civière. Cette fois-ci, les secours sont bien là. Pendant que les deux hommes aux brassards ornés du caducée la déposent sur la civière, le premier soldat se saisit de l’enfant par la taille et la soulève pour l’emporter à l’extérieur. L’un des deux médecins de combat, prend rapidement quelques mesures vitales avant de relier Gloria, douloureusement à un sachet de plasma sanguin. Satisfaits, les deux hommes soulèvent la civière et portent leur patiente à l’extérieur.

Dehors, un ADAV militaire est posé en plein milieu de la cour d’un corps de ferme. L’enfant est assise dans l’espace du cargo, retenue par le soldat qui l’a apportée, tandis que les autres soldats se replient pour former un cordon défensif autour du véhicule. À l’horizon plusieurs appareils similaires sont en approche et un essaim de drones patrouille les environs.

L’équipe médicale dépose Gloria avec soin dans l’appareil et la section remonte à bord. Sous une poussée puissante, mais contrôlée, l’appareil s’arrache du sol et prend rapidement de la vitesse.

Jetant un œil inquiet à l’enfant, Gloria respire un peu. Les médecins continuent de s’occuper d’elle et font de leur mieux pour la rassurer. Mais aujourd’hui, plus que jamais, elle doit quelques années de vie à cette curieuse mais courageuse Alice.