« Nyanya ! », crie la fillette avec enthousiasme en entrant dans la salle, suivie d’Anton et d’une femme en tailleur, probablement l’avocate en charge de la protection de l’enfance. S’approchant doucement, elle déclare : « Je suis contente ! Tu as l’air d’aller mieux. »

Gloria lui adresse un grand sourire et tend ses bras pour l’enlacer. Avec précautions, l’enfant la prend dans ses bras en répétant : « Nyanya… J’ai eu tellement peur pour toi. ». Une petite larme coule sur sa joue, Gloria l’intercepte avec son auriculaire. Relâchant leur prise les deux se regardent quelques instants.

Ses ecchymoses se sont fortement réduites. Elle porte un t-shirt arborant une photographie de Mercure avec marqué : « Sol6, Down in the Hottest Lands ». Il est très certainement issu de la boutique de souvenir. Le pantalon lui est celui d’un uniforme de l’académie de Sol6, tout comme ses chaussures.

L’avocate s’avance, accompagnée d’Anton, et se présente en tendant sa main : « Bonjour madame Noterger, je suis Sandy Walldre, avocate de la protection de l’enfance. Je représente Alice dans ses démarches administratives. ». Gloria lui tend la sienne en réponse : la poignée de main est vigoureuse mais sans hostilité. La vieille femme reconnaît là toute la rigueur et la froideur de la corporation.

Anton lance une plaisanterie et explique, officiellement cette fois, qu’Alice est placée sous la protection de Tachyon par délégation du gouvernement ougandais, en attendant la fin de l’enquête. Sandy n’est finalement là que pour assurer que les droits de l’enfance sont bien respectés et que Tachyon assure bien le rôle qui lui a été confié. À la surprise de Gloria, l’avocate le contredit : « En vrai, elle est bien plus en sécurité dans les locaux de Sol6 qu’à l’extérieur. Personne de bonne foi ne pourra le contredire. Mon rôle est purement administratif. »

Gloria réalise alors que l’avocate a probablement été envoyée par Sol6 même. Quelle machinerie Anton a-t-il bien pu déclencher dans la corporation ?

L’instant d’après, elle se souvient des efforts disproportionnés que la corporation avait déployé pour la recruter, vingt ans auparavant. Quand la société veut un « actif », elle l’obtient pratiquement à chaque fois. Il est difficile de dire non quand on vous promet un budget presque illimité, un soutien logistique d’une envergure nationale et des conditions de travail exemplaires. Et le pire dans tout ça, c’est que ce ne sont pas seulement des promesses.

Mais est-ce vraiment une option pour l’enfant qui lui a sauvé la vie ? Avec l’instruction et les formations de Sol6, elle deviendra un pur produit de la corporation, elle aussi attachée à sa cage dorée. De l’autre côté, la laisser au monde extérieur… Même si Sol6 la récupérera à un moment où un autre…

Innocemment, Gloria lui demande : « Alice, tu sais ce que tu vas faire quand tout ça sera fini ?

– Non, mais j’aimerais être comme toi, répond-elle rêveuse. Travailler sur des vaisseaux spatiaux… Partir…

– Partir où ? l’interroge-t-elle.

– Loin ! Dans l’espace, dans les étoiles, répond l’enfant d’une seule traite. C’est ce que vous faites, m’a dit Anton !

– C’est ce qu’on fait oui, concède Gloria. Mais je ne suis jamais partie dans les étoiles.

– Alors, j’irais avec toi, Nyanya ! », déclare avec innocence la petite fille qui lui prend les mains avec attachement.

Parfois, ce ne sont pas les adultes qui adoptent les enfants.