16 – Alice : Mobilisation
La nouvelle s’est rapidement propagée. Partout dans le campus ses camarades ne parlent que de ça : ça y est : ils vont y aller. Aussi bien les aînés que les premières années.
Principal contractant du projet de protection planétaire, Sol6 déploie tous ses atouts. Ses chantiers spatiaux vont avoir besoin de main d’œuvre et bien que l’accord ne soit pas encore officiellement signé, la corporation met en marche sa complexe logistique.
Le réfectoire de l’université de Sol6 est vaste et comporte de nombreuses petites alcôves où s’isoler pour manger tranquillement, bien que certains étudiants plus téméraires s’en servent parfois pour bien d’autres choses. La grande verrière au-dessus d’eux s’élève à plus de vingt mètres, donnant à l’ensemble l’apparence d’un grand jardin couvert.
Délaissant un peu son repas, Alice relit le formulaire et les options qui lui sont proposées. Les chantiers spatiaux en orbite lunaire, l’arsenal au ras du régolithe, et bien sûr les colonies sur Mercure, logées dans l’ombre permanente des cratères polaires. La jeune adulte ne sait quoi choisir : toutes promettent autant d’exaltation.
« Hé Alice ! Ça te dérange si je m’installe à ta table ? »
C’est Hasnaa, une camarade. Elle est plus vieille de deux ans mais semble malgré tout s’évertuer à considérer Alice comme une grande sœur, ou quelque chose de ce genre. La fille Noterger apprécie la solitude, mais elle refuse rarement qu’on se joigne à elle. Aussi, accepte-t-elle : « Je t’en prie.
– Alors, tu as déjà fait ton choix ? La Lune ou l’orbite ? demande la fille sur un ton d’excitation.
– Je ne sais pas. J’ai envie de partir loin, décrit Alice sur un ton songeur.
– On a tous hâte de partir loin, appuie son amie avant d’engloutir un blanc de poulet.
– Loin, vraiment loin. Je pense plutôt Mercure.
– Mercure ? La vache, tu vises toujours trop haut.
– Nyanya n’a jamais pu quitter la Terre alors qu’elle concevait certains de ces vaisseaux. J’ai envie de faire un très long voyage pour emporter ses souvenirs jusqu’aux étoiles.
– Des fois tu es une vraie poétesse, s’amuse Hasnaa. Mais j’avoue que c’est un peu triste quand même.
– Ne t’en fais pas, la rassure Alice. Et puis j’ai besoin de mettre un peu de distance avec la Terre. Trop de souvenirs, trop de mauvais en fait.
– Mercure, ça me fait froid dans le dos, frisonne la fille.
– Tu sais, ça sera pratiquement la même chose que la Lune : des espaces clos reliés par des coursives, le tout avec une pesanteur réduite, fait-elle remarquer.
– La différence, c’est qu’en levant les yeux je pourrais encore voir la Terre, rétorque Hasnaa.
– Justement. Ça fait dix déjà dix ans que je suis dans ce programme.
– Tu as été incluse très tôt ?
– À neuf ans. J’ai passé plus de la moitié de ma vie à m’entraîner pour ce moment. », explique-t-elle, réalisant le sens de ces mots au moment de les prononcer.
Sur la tablette à côté d’elle, elle valide son choix : Mercure. Une simple pression d’un doigt et son destin est à nouveau entre les mains de la corporation. L’espace d’un instant, elle repense à Nyanya qui s’indignait régulièrement de ce déterminisme institutionnel. Elle-même s’en rendait compte, peut-être même plus que sa mère adorée.
Autour d’elle, la plupart des autres élèves parlent de fêter l’évènement. La future astronaute devine que cela va impliquer une quantité déraisonnable d’alcool et probablement d’autres substances.
S’amuser, s’éclater, se lâcher.
Le concept n’a jamais attiré Alice qui se retrouve dans le réconfort de sa solitude. Sans aller jusqu’à l’isolement, elle reste en retrait et bien que les gens trouvent généralement sa présence agréable, elle évite ces soirées et autres regroupement festifs. Elle fêtera ça à sa façon, un ou deux épisodes de série suivit d’une bonne nuit de sommeil.
Son amie reprend justement sur ce thème : « Je suppose que tu ne viendras pas faire la fête avec les autres ce soir ?
– On aura les vraies affectations que la semaine prochaine et on a des partiels demain, oppose la fille prodige. Je crois pas que ce soit vraiment une bonne idée.
– Tu crois que les partiels auront encore de la valeur quand on sera là-haut ?
– C’est pas faux, mais je préfère quand même passer la soirée au calme, précise Alice.
– C’est comme tu veux ! », concède finalement Hasnaa avant d’engloutir une portion de poulet.
Alice range sa tablette et l’accompagne : prendre des forces pour la suite !
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