48 – Grégoire : Des nouvelles de Mercure
Dans son bureau, le secrétaire général des Nations Unies examine les dossiers fournis par les renseignements japonais sur une flotte de sous-marins prétendument chinois qui stationneraient dans le Détroit de Corée. Alors que la politique interplanétaire lui paraît à nouveau nébuleuse après la mort d’Iravat, les nations en profitent pour lui rappeler qu’elles ne sont que d’incessantes sources de troubles. Un peu comme des enfants turbulents qu’il faut gérer en pleine circulation.
L’interphone s’allume : Samuel a quelque chose à lui transmettre. Comme pour pouvoir prendre un peu de recul sur l’affaire qu’il étudie, il accepte le message de son assistant : « Monsieur, Errance de l’ambassade d’Aesir insiste pour vous contacter. Il dit avoir des nouvelles de Mercure qui devraient vous intéresser. ».
De-Montergny considère le choix qu’il a devant lui : gérer un problème typiquement terrien ou plonger dans la politique spatiale. Paradoxalement, le second lui semble plus simple. Jusqu’ici, les contacts qu’il a pu avoir avec Errance se sont avérés concis. « D’accord Samuel, passe-le-moi.
– Bien monsieur. », confirme l’assistant. Samuel revêt une discrétion à toute épreuve et s’avère d’une efficacité redoutable. S’il peut donner l’air de s’acquitter de ses tâches de façon un peu maladroite, l’homme est un redoutable filtre capable de condenser ce qui aurait dû être un entretien de plusieurs heures en une ou deux minutes d’explications. Son don pour comprendre les intentions de ses interlocuteurs s’est avéré critique plus d’une fois.
Sur l’écran holographique, l’avatar d’Errance s’affiche. Le visage fin et lumineux lui adresse les salutations d’usage avant d’entrer dans le vif du sujet : « Je ne sais si nos condoléances pour le général Iravat vous sont parvenues, mais je tiens à les renouveler. Pour en venir au fait, la situation sur Mercure a pris une nouvelle tournure.
– Oui, je sais. », confirme Grégoire. Entre la mort d’Iravat, l’évasion du suspect principal et la venue d’une Solar Wardner des colonies dans les installations de Sol6, le secrétaire général peine à maintenir un certain voile de pudeur sur cette affaire qui menace d’éclater publiquement.
L’androïde reprend : « Plusieurs de nos agents ont étudié la situation et nos services de renseignements nous ont apporté la preuve d’un complot sur Mercure. ».
Plusieurs images et photographies apparaissent dans la projection dont une image radar d’un gris si bruité qu’il serait difficile d’y identifier quoi que ce soit si elle n’avait pas été consciencieusement annotée. Parmi les photographies, on y trouve le terroriste présumé du Mona Lisa et trois autres hommes que le secrétaire général ne reconnaît pas. Une image qui pourrait passer pour une constellation est annotée comme « flotte défectrice de Vranberg-Lytan », le détail supposé des vaisseaux est présenté par de nombreuses fiches reliées par des lignes de couleur.
Après lui avoir laissé le temps de prendre connaissance des pièces transmises, l’ambassadeur reprend : « Notre contrôle commun sur la situation est en réalité meilleur que vous pouvez l’imaginer monsieur le secrétaire général.
– Vous avez des bonnes nouvelles ?
– Oui, et nous avons un plan. Un plan d’action commun. », annonce calmement Errance.
Ainsi donc, la situation dégénère et ceux qui se posent ouvertement en ennemis de la Terre viennent avec un plan pour tout remettre d’équerre. Grégoire n’est pas certain d’apprécier cette nouvelle routine qui s’installe. D’abord cette Tsadir en Angleterre, puis Errance avec le Meerk et à nouveau l’androïde avec le Mona Lisa et ses retombés. À croire que la Terre n’est plus capable de gérer elle-même ses propres affaires !
Le secrétaire général décide d’ouvrir la négociation à venir de façon plus offensive : « C’est la seconde fois que vous intervenez pour notre soi-disant bien. N’avez-vous pas pour but de régler le “problème terrien” ? J’ai du mal à comprendre votre position, Ambassadeur. »
Visiblement, cette ouverture laisse l’ambassadeur en porte-à-faux, indécis sur la façon de poursuivre. Comme s’il venait de recevoir de nouvelles instructions, l’androïde se ressaisit : « Vous n’êtes pas sans savoir que nous ne considérons pas le conflit comme une solution au problème. C’est le risque de l’isolement et du déclassement de l’humanité qui nous préoccupe. Mais ce débat pourrait prendre beaucoup de temps, or le vôtre est très précieux.
– Bien. Que proposez-vous ? exige Grégoire essayant de maintenir une aura de fermeté.
– Les documents que je viens de vous transmettre démontrent la collusion de deux groupes de défecteurs, expose Errance. L’un vient de Vranberg-Lytan et se fait appeler les Dragons de Neutrons. Et nous les traquons depuis plusieurs semaines déjà. L’autre provient de vos forces de sécurité et nous pensons que vous étiez à leur recherche compte tenu du message du général Simh.
– Comment avez-vous eu accès à cet enregistrement ? s’indigne le secrétaire général.
– Notre traque des Dragons nous a fait remonter jusqu’à Mercure. Nous y avons nous aussi infiltré quelques agents qui nous ont fourni la plupart des documents devant vous, explique le diplomate d’une seule traite.
– Ça ne me dit toujours pas en quoi ce sont des bonnes nouvelles… dénonce Grégoire.
– Et si je vous disais que quatre défecteurs de l’ONU ont tous été arrêtés par la Solar Wardner Tsadir alors qu’ils tentaient d’exfiltrer Alexander Donnart ? », lance l’androïde.
La nouvelle frappe le secrétaire général comme s’il lui avait envoyé un shuriken. Tsadir ? Une Solar Wardner ? Vraiment ? Mais pourquoi ne lui a-t-on pas donné cette information plus tôt ?
Alors qu’il réalise son manque d’information dans l’affaire, Errance reprend : « L’installation imagée par nos services de reconnaissance ne figurent sur aucune carte. Et c’est là que le Xavier Brown, supposé exfiltrer Donnart, s’est posé après le rendez-vous interrompu par la wardner. Nous pensons qu’il s’agit d’une base de vos défecteurs. Si vous cherchiez du matériel disparu : le voici. En vertu du traité des colonies, nous ne nous y attaquerons pas, mais nous vous savons capables de remédier à ce problème. ».
L’information dispensée par Errance semble se vérifier : consultant une carte des installations sous protectorat onusien, le secrétaire général ne trouve rien à cet emplacement. Y envoyer un contingent de l’ONU pour y faire la lumière sera sans doute nécessaire.
Visiblement l’androïde d’Aesir n’en a pas fini. Pointant l’image de la flotte spatiale, il reprend ses explications : « En revanche, cette flotte-là est constituée de vaisseaux d’assaut de Vranberg-Lytan et leur présence viole directement le traité des colonies. Malheureusement, il s’agit de défecteurs, ce qui signifie que la corporation Vranberg-Lytan n’a plus aucun contrôle dessus. Une flotte de Mars est actuellement en route pour procéder à leur capture afin de les juger dans les colonies.
– Pourquoi pas Aesir ? s’étonne Grégoire.
– Aesir ne dispose pas d’une flotte suffisante qui soit à portée pour pouvoir contester leur position, déplore Errance.
– Attendez : vous aviez un lance-missile nucléaire en orbite lunaire, mais vous n’avez rien autour de Mercure ?
– Hélas non, nous avions concentré nos efforts de protection sur la Terre, persiste l’ambassadeur.
– Donc Mars hein ? demande De-Montergny.
– Oui, ils envoient deux porte-nefs, quatre frégates d’assaut et une dizaine de corvettes de soutien et d’abordage. Ils prennent la chose, plutôt au sérieux, ironise Errance.
– Et ce n’est pas une violation du traité des colonies ça ? conteste le secrétaire général.
– Pas si c’est une opération conjointe, fait remarquer le diplomate, d’où ma requête.
– Je vais avoir besoin d’un peu de temps pour faire le point avec le conseil de sécurité. Quand arriveront les Martiens ? demande le premier homme de l’ONU.
– Dans trois jours environ. », indique l’androïde d’Aesir.
Les Nations Unies dans une opération conjointe avec son ennemi historique. Il n’y a même pas trois ans, cette idée aurait semblé farfelue. HIARTech, avant qu’ils ne se renomment Mars, était la plus ancienne des corporations, elle est la raison même de la mutation de l’ONU et de la guerre des colonies… Bon sang ! Pourvu que ce ne soit pas l’aube d’une nouvelle guerre des colonies. Les Nations Unies ne sont pas prêtes pour ça.
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