9.Philomène de Saxe

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9.Philomène de Saxe



  • Monnier ? Qu'est-ce que c'est que cette horreur que vous accrochez au mur ?
  • C'est pas une horreur, c'est de l'art !
  • De l'art, ça ? M'enfin Monnier, ça ne peut pas être de l'art, on dirait une grosse bonne-femme qui tient une botte d'asperges entre ses doigts boudinés !
  • Ce ne sont pas des asperges, ce sont des gants ! Et figurez-vous que c'est une authentique toile de maître !
  • Vous vous êtes fait rouler dans la farine, Monnier, c'est forcément un faux...
  • Mais pas du tout ! C'est un héritage de ma grand-tante Hildegarde ; elle vouait un véritable culte à la peinture, et peignait elle-même.
  • Ah, c'est son autoportrait ?
  • Vous êtes bouché ou quoi ? Je viens de vous dire que c'est une toile de maître !
  • A mon avis, ça ne vaut pas tripette sur Ebay.
  • Sur Ebay peut-être, mais à Drouot, je pourrais sans doute la revendre une petite fortune.
  • Ben alors, qu'attendez-vous, Monnier ? Ça nous débarrassera le bureau de cette vue abjecte.
  • Non, jamais ! C'est sentimental, vous comprenez, Commissaire ? Elle fait partie de tous ces souvenirs liés à...
  • Non mais je vous comprends, Monnier ! Je vous comprends même très bien ! Faut dire que vous n'avez pas dû avoir une jeunesse facile avec tous ces atroces tableaux qui jalonnent les couloirs de votre mémoire. C'est sûr, à présent je cerne mieux les raisons qui vous poussent à vous délecter du sordide, parfois, et celles qui vous ont conduit à embrasser la carrière d'inspecteur de police. Parce que moi, gamin, cette toile m'aurait foutu une sacrée pétoche ! Non, croyez-moi Monnier, plus vite vous serez débarrassé de cet abominable portrait, plus vite vous en aurez fini avec les démons de votre enfance. D'autant plus qu'avec votre récent divorce, vous êtes dans le besoin, financièrement je veux dire. Et puis, ça vous fera des économies en psychanalyse...
  • NON ! Je ne me débarrasserai pas de ce Deghetterich.
  • De ce quoi ?
  • Friedrich Deghetterich, l'artiste qui a peint cette femme. Elle s'appelait Philomène de Saxe, et était la muse de sa période bleue.
  • Il était daltonien, votre artiste, ma parole ! Ou alors il avait des problèmes de vue.
  • Ça n'a aucun sens, ce que vous dîtes, Commissaire !
  • Aucun sens ? M'enfin, ayez un peu de jugeote, Monnier ! Il n'y a pas une once de bleu sur cette toile.
  • Ben si, le cadre est bleu.
  • Si vous y allez par là, Monnier, je ne peux plus rien faire pour vous. Et cette Philomène de Saxe, vous la trouvez séduisante peut-être ?
  • Euh... Non, je n'irais pas jusque là.
  • A la bonne heure ! Vous convenez donc que ce Deguette-machin...
  • Deghetterich!
  • Si vous voulez... Que ce Deghetterich avait un sens de l'esthétisme pour le moins douteux pour s'enticher d'un pareil laideron !
  • C'est parce que vous ne vous fiez qu'aux apparences, Commissaire. Certes, de prime abord, on peut effectivement trouver qu'elle n'a rien d'un top-modèle...
  • C'est sûr, c'est pas Claudia Schiffer!
  • Mais quand on sait qu'elle a été peinte avec les yeux de l'amour et avec ce souci de réalisme poussé à l'extrême afin de rendre grâce à cette beauté qui n'est perceptible que par l'auteur du portrait, on ne peut que succomber, non ? Rendez-vous compte, Commissaire, ce tableau est le symbole de la revanche de toutes ces femmes qui n'ont pas la chance de faire tourner la tête des hommes ! Alors, derrière ces traits grossiers, sans finesse, sans élégance, on cherche. On cherche ce qui a pu fasciner Deghetterich, le séduire chez cette femme. C'est une énigme, voyez-vous. Une énigme insoluble. Et pourtant, je cherche encore...

Il en devenait presque lyrique, le Monnier. Et quand il était parti comme ça, on ne pouvait plus l'arrêter. C'est ainsi que je dus me faire à l'idée de cohabiter avec Philomène de Saxe. Monnier avait raison, l'énigme de son charme envoûtant était insoluble. Un peu comme la Joconde finalement. M'enfin, pas de quoi en faire un "Da Vinci Code" non plus !


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