4. 21,09,22, CHEZ MÉMÈRE
J'aimais quand Mémère m'invitait à passer quelques jours chez elle. Son petit appartement dans une solide bâtisse en grosses pierres de granit était composé d'une cuisine, salle à manger-salon, chambre et commodités. Le couloir pour accéder à son lieu donnait à l'autre bout sur un jardin clôturé commun aux locataires où on étendait le linge. Un portillon donnait sur une rue parallèle. On allait à pieds à travers Ermont (95) pour visiter une de ses amies et jouer au rami * en mangeant un biscuit accompagné de citronnade. J'avais du mal à tenir ces grandes cartes mais j'appréciais ces moments, installée sur la balancelle quand il faisait beau.
Je dormais sur un lit d'appoint pliant, dans sa chambre. On regardait de temps en temps la TV qui trônait le long du mur au bout du lit sur une table prévue à cet effet. C'était un luxe. Et puis c'était au tour de ma sœur Anne de passer un moment chez elle.
Je n'ai pas oublié son fameux cagibi où étaient rangés les balais, ses souliers bien alignés sur les étagères et dans lequel elle trouvait toujours ce dont on avait besoin pour emballer telle ou telle chose, cartons, rubans, ficelle, papier pelure pour caler les objets fragiles, sachets, boites à chaussures, pochons en plastique etc. Mémère, elle venait d'autres temps. De ces temps où on ne jetait rien, où tout était recyclé sans que cela en porte le nom. Elle était née en 1896. C'était notre arrière grand-mère paternelle. Son vrai prénom c'était Berthe.
Chez elle tout avait un petit air ancien, surtout la vitrine fascinante où elle tenait à l'abri de la poussière des miniatures de porcelaine de scènes style Fragonard, des beautés Renaissance, de petits paniers de fleurs décoratifs que j'adorais. Nous en avions reçus quelques uns en cadeaux, de sa part ou de son fils, ramenés de Belgique ou d'Angleterre, pays destination de ses nombreux voyages. Il y emmenait Richard notre frère, exclusivement, car ça ne se faisait pas d'emmener des filles. Autres temps, autres mœurs...
Richard était parfois surnommé « Cœur de Lion ** » par le grand-père, ou bien moins glorieusement Ribouldingue *** par notre père, voire pire : Ribouiboui (on se demande encore où il a trouvé ça...), pauvre frérot !
Ma sœur s'appelait parfois Miss Pigne, en rapport avec son caractère piquant, mais je ne sais pas pourquoi ce « Pigne ». Il était fort en surnom, notre père ! Allez, un petit dernier pour la route : il avait affublé notre grand-père, de haute taille et forte carrure du sobriquet de « Concorde », en rapport à la taille de son nez comparable à celui du célèbre avion. Sobriquet qui n'était utilisé, bien sûr, qu'en son absence !
Mémère nous a fait percer les oreilles chez le bijoutier et elle nous a offert à chacune une paire de pendants magnifiques. Elle préférait la qualité à la quantité. Elle m'a aussi donné son petit cœur en or avec la chaîne, un bijou très joli qui avait été réparé, ça se voyait, et qui avait une âme. J'ai toujours ses deux présents.
* Le rami est un jeu de cartes de combinaisons pour deux joueurs et plus.
** Richard Ier dit Cœur de Lion (8 septembre 1157, palais de Beaumont à Oxford – 6 avril 1199, château de Châlus-Chabrol) fut roi d'Angleterre, duc de Normandie, duc d'Aquitaine, comte de Poitiers, comte du Maine et comte d'Anjou de 1189 à sa mort en 1199. Fils d’Henri II et d’Aliénor d'Aquitaine.
*** Les Pieds nickelés - Wikipédia Les Pieds nickelés est une série de bande dessinée créée par Louis Forton, publiée pour la première fois le 4 juin 1908 dans la revue L'Épatant, éditée par les éditions Offenstadt, fondées par les frères du même nom. L'expression « pieds nickelés » signifie « ceux qui ne sont pas portés sur le travail »
Principaux personnages : Ribouldingue devient le gros barbu sympathique · Filochard est le petit borgne, au caractère sanguin, qui possède une force ...
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