Humilité

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C’est une putain de saleté la surdité. Ça vous coupe de tout, même des mots. Alors je dessinais, je dessinais, je dessinais. Quand je lisais, c’était de la bande-dessinée, pas de « vrais » livres. Le dessin comme seul moyen d’expression quasiment, et parce que je ne comprenais pas ce qu’on me disait, je passais pour légèrement débile. J’ai découvert plus tard que c’était le sort réservé à pas mal de malentendants… Sympa.
Et j’ai été opéré. Plein de fois. Trop de fois, à se demander si je n’aurais pas préféré le rester sourd. D’abord ça a juste failli me tuer, deux, trois fois tout de même, ce qui n’est pas rien. Que j’ai en détestation les hôpitaux et le corps médical depuis. Moins je les vois, mieux je me porte dirons-nous. Et que mon voisin, qui lui est appareillé, me rend littéralement jaloux ! S’il y a trop de bruit, il éteint simplement ses appareils. Le rêve ! Donc, maintenant, ça va, j’entends… J’ai des oreilles hyper fragiles, mais j’entends. Trop cool. Seul avantage à la chose, la musique que je dévore.
Mais quand je disais que ça m’avait coupé des mots, ce n’est vraiment pas une vue de l’esprit, j’étais limite analphabète, avant qu’une nouvelle définition ne précise cela comme étant plutôt de l’illettrisme, s’ils le veulent. En bref, je savais lire et écrire, mais je ne comprenais pas vraiment dès que ça devenait un peu plus élaboré. Je vous raconte l’histoire de la virgule ? Allez, j’y vais. Prenez un texte, n’importe lequel, et lisez-le sans marquer les pauses que font les virgules et votre texte devient en trois temps, trois mouvements, totalement incompréhensible. J’ai « découvert » le bon usage de cette foutue virgule en préparant mon bac français. Où j’ai eu une bonne note ! Il était temps, depuis le temps que je galérais ! Il y a des livres que j’ai lus sans vraiment tout bien comprendre, à cause de ce « détail ». Et il y en a plein d’autres, de ces cailloux qui accrochent ma lecture et donc mon écriture. Aussi, suis-je obligé de relire deux, trois fois pour être certain de comprendre. J’ai un mal fou, mais alors fou avec des essais, la philosophie, bref, dès que ça dépasse un certain niveau, dira-t-on. Donc je relis, je revois des films, presque par nécessité, pour être sûr de bien scotcher neurone et synapse ensemble.
Pourtant, ado, je dépouillais littéralement le dictionnaire ! Je cherchais la définition d’un mot qui m’amenait sur un autre mot dont je ne connaissais pas le sens et ainsi de suite. Ce qui fait que j’ai un bazar de mots parfois incongrus qui traînent dans mes étages, là-haut. La découverte de Choderlos de Laclos, de Madame de Lafayette, de Victor Hugo, de Jules Vallès, de Zola et cetera a été pour moi un délice ! Mais quelle langue fine et subtile avons-nous ! Alors que dans les foyers où j’ai été collé, le spectre du champ lexical ne va qu’à l’essentiel : l’insulte et le graveleux. Simple, net, efficace. Mais un tantinet limité. Et surtout, dans ces putains de foyers de merde, les rayonnages ne sont remplis que de la collection Harlequin, que d’OSS 117, d’Agatha Christie (je déteste Agatha Christie !), de San-Antonio et j’en passe… À gerber ! Je dégueule cette « littérature », j’en peux plus, trop lu ! Les mêmes ficelles, les mêmes trucs, c’est juste horrible, à mourir d’ennui ! Pendant des années à ce régime, imaginez ! Je déteste les romans policiers à cause de ça, les ficelles, les mêmes, bien, bien grosses. Et j’ai enfin pu souffler un peu en découvrant le roman noir ! « Atmosphère ! Atmosphère ! » Juste l’atmosphère et plus le sacro-saint suspens à la noix, où il ne faut rien spoiler en plus. Chose dont je me tape allégrement, sachez-le.
Sauf que je les ai tous lus, pas le choix, c’était ça ou je devenais délinquant pour faire simple. Tout autant que j’ai lu les grands, et que tout cet ensemble me constitue en un vaste foutoir à la con. Je suis capable de passer d’un registre à un autre avec une certaine aisance mêlée d’empêtrement. Je camoufle comme je peux un parler popu, argotique, assez vert parfois, comme quelque chose de complètement honteux et qui me déborde trop souvent ; et de l’autre, je ne maîtrise pas la belle langue ! En-tout-cas pas suffisamment ! Je fais illusion un peu. Et je me retrouve entre ces deux machins, empoté comme un pingouin sur une banquise qui fond. Il y a comme un style quoi… « Ouais, on aime bien ton style, Kak ! » - « Ben si tu savais mon p’tit père, le boxon qu’c’est… »
Et, l’ironie n’ayant pas de limites, tout comme la connerie de certains, ce n’est donc pas tout. Je vais la faire simple. Je deviens dessinateur et je pense avoir une certaine capacité à visualiser en trois dimensions, chose qui m’a bien servi en cabinet d’architecture. Je pensais que c’était mon petit super pouvoir à moi. On a les glorioles qu’on peut, oh, ça va ! Et bien non. Comme Sheldon Cooper, je ne suis pas fou, on m’a fait passer des tests. Bref, j’étais tout bêtement un zèbre qui s’ignorait. Oui, OK, c’est cool, mais après ? Ben mon super pouvoir, c’est la compréhension verbale. Hein, bon. Ben voilà.
Alors ici, j’essaye d’apprivoiser un peu le bordel et mes mots et d’en faire quelque chose de potable. Humblement.

L’humilité, ça, ça pourrait être un mot à remettre au goût du jour… Parce que mine de rien, ça oblige à l’écoute de l’autre dans sa différence, ça oblige à dépasser ses propres certitudes, à les remettre en question parfois. Ça oblige à plus d’humanité en somme. Et je pense qu’on n’en manque salement en ce moment.

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