Les roses noires.
Carl se réveilla au son de son réveil. Il s'assit au bord de son lit en se frottant les yeux. Il s'étira de tout son long comme un chat. L'homme alla à sa fenêtre, l'ouvrit et frissona à cause de la brise matinale. Il se pencha pour accrocher ses volets manuels au mur. Un rosier avait poussé durant la nuit et un bourgeon pointait à côté du rebord. Carl essaya de se rappeller l'existence de cette plante les jours d'avant... En vain. Il haussa les épaules, maussade, et se dirigea vers la cuisine pour prendre son petit-déjeuner. Son bol de thé fumant à la main il alla apporter de la lumière en ouvrant ses volets. La tasse se brisa au sol et un petit cri sortit de la bouche du trentenaire. Quelle surprise, en effet, de trouver sous la fenêtre, un rosier identique à celui de sa chambre. Laissant son bol brisé et le liquide chaud par terre, ses jambes le portèrent à la salle de bain. Il se rinça le visage à l'eau froide pour reprendre ses esprits. Il respira intensément. Calmé, Carl alla dans le cellier chercher une serpière pour nettoyer son bazar. Une fois habillé et prêt, l'heure d'aller travailler vint.
En sortant, il remarqua immédiatement que les pantes encerclaient sa maison. Un cauchemar, c'est un putain de cauchemar, il faut que je me réveille ! Arrivé au travail, il se rendit compte qu'il était bel et bien conscient. Même journée horrible que les précédentes. S'il dormait, il aurait imaginé une journée peinard. A la pause de midi, il rentra chez lui et mangea. La demi-heure passa très vite. En partant, il photographia le rosier géant. Angoissé par la tonne de taf et le rosier mystérieux, l'après-midi passa lentement. Son collègue se plaignit car il secouait nerveusement sa jambe et ça cognait contre le bureau. Il s'excusa mais recommença dix minutes plus tard. A cinq heures moins le quart, il avait pris ses affaires et était parti. Il fit tous les fleuristes du coin pour en savoir plus sur la plante abondante. Aucun ne sut lui répondre. Il contacta l'ancienne propriétaire mais elle ne répondit pas. De retour chez lui, il envisagea de tailler le rosier. Pour le déménagement, son père avait récupéré tous ses outils, impossible de toucher au rosier... et pas question d'aller acheter quoi que ce soit ! Tant pis. Rien ne semblait avoir poussé depuis le midi. Carl ne savait pas pourquoi mais dès qu'il avait vu le bourgeon, une terreur intarissable l'avait saisit. Son ventre ne s'était pas dénoué depuis le réveil. La plante avait des allures maléfiques. Il en avait des frissons.
Exceptionnellement, il s'offrit le luxe d'un restaurant pour le soir. Trop peur de manger à la maison. Carl réfrénna l'envie pressante de dormir dans un motel. Trop cher, au dessus de ses moyens. Zut ! Il serait donc obligé de dormir dans son lit... Il rentra pas trop tard, bien qu'il en ait eu envie, mais le noir de la nuit l'effraya, ravivant une peur enfantine. Trentenaire, célibataire, isolé... et maudit ?! Il ne pouvait pas loger chez ses parents, habitant de l'autre côté de la France. "Se débrouiller seul" : ces mots lui avaient toujours été agréables, indépendantiste dans l'âme. Ce soir, ils le terrorisaient. Seul. Allait-il mourir ? Seul. Aurait-il de l'aide ? Seul. Oui, il était seul, il mourait seul et non, personne ne viendrait l'aider. Seul. Il se répétait cet unique mot. Il se débattit avec ses draps, dans le lit double. Il se recrovilla et lutta avec ses démons intérieurs. Il peura, seul dans son lit, en imaginant le pire. Tard, il finit par s'endormir en pensant avec horreur que demain sera samedi. Il ne pourrait pas aller au travail et échapper à sa maison. Malheureusement, Carl fit cauchemar sur cauchemar jusqu'au lendemain.
Son réveil sonna, tôt. Merde ! Il avait oublié de l'éteindre. Misère, impossible de se rendormir ! Il frissona à l'idée d'ouvrir ses volets. Il ne le fit pas et se dirigea vers la salle de bains. Ses yeux était cerclés de cernes noirs. Un sourire le dérida ; on aurait dit un panda, son animal favori. Ce n'était pas un compliment, mais l'idée l'amusa. Décidé, il ouvrit sa porte d'entrée. Il tembla de tous ses membres lorsque ses yeux se posèrent sur les bourgeons éclots. Noires. Mort. Il se retint de hurler. Des roses noires ! Dans un autre contexte, il aurait peut-être trouvé ça joli, mais là, tout ce que ça lui inspirait, c'est l'envie de vomir. Un dégoût total. Dieu, quelle horreur ! Ce n'est pas naturel cette couleur, pour des fleurs... Il s'enferma chez lui et fit des recherches Internet ; très pratique cet outil ! Des sites occultes lui étaient proposés. Malédiction était un mot clé de toutes ses recherches. Il ne pouvait rien y faire. Sérieusement ! Une maison maudite par des roses noires maléfiques ! Il passa la journée en position foetale dans son salon. Le temps lui importait peu. Son estomac signala sa présence le midi et le soir. Ce fut les deux seuls instants où il bougea. Il se forca à aller dans sa chambre alors que des ombres agitaient le salon. Il ne ferma aucun volet, trop effrayé par l'extérieur. Il sursauta à chaque bruit, et chaque fois que le vent faisait taper les fleurs contre une vitre.
Il se créa un tunnel avec sa couverture et dormit en dessous, caché, blotti comme un enfant. Encore une nuit où les cauchemar le hantèrent. Il s'éveilla à cause de la lumière du jour. Il avait trop bougé et eu trop chaud pour rester sous sa cachette. Son coeur faillit lâcher quand la première chose qu'il vit fut une feuille. Verte foncée, arrondie, crantée sur les bords et pointue au bout. L'organe vital rata plusieurs battements lorsque Carl suivit des yeux la feuille jusqu'en haut, où trônaient fièrement des pétales noirs. Cette fois-ci, il laissa un hurlement jaillir de ses entrailles, tellement il était long. Il tourna la tête et s'apperçut avec horreur que l'intégralité de la pièce était pleine de roses noires. Elles venaient de partout. Elles avaient rampé sous sa porte, passées par l'aération de la fenêtre et même une par la VMC. Il déglutit difficilement. Elles formaient un ornement autour de lui, comme une décoration. Morbide. Le temps d'un clignement de paupières, une branche lui avait enserré le poignet et une douleur fulgurante pulsait des endroits où les grosses épines étaient rentrées dans sa chair. Aussitôt, les roses l'enchainèrent, comme douées d'une vie propre ; ce qui était sans doute le cas. Les veines cubitales perforées, le sang coula de ses poignets et tâcha ses draps. D'un mouvement uniforme, chaque parcelle de peau fut recouverte par les plantes. Il cria de toutes ses forces. Bouger ne servait à rien, à part se vider plus rapidement et plus douloureusement de son sang. Le lit et le corps allongé dessus n'était plus qu'un tas d'épines, de branches, de feuilles et de roses épanouies ou encore bourgeonnantes. Repue par le sang de leur victime, elles se rétractèrent lentement, au fil de la journée. Ironiquement, le lit et le corps sans vie semblaient avoir permuté leurs couleurs ; le lit était devenu rosé avec le sang absorbé et ce qui était autrefois un homme était désormais aussi blanc qu'un drap. Les roses rentrèrent dans la terre, attendant le prochain habitant.
Au bout d'une semaine, les forces de l'ordre accompagnées des pompiers entrèrent dans la maison, l'entreprise n'ayant pas de nouvelles de Carl. Comme il ne répondait à personne et que sa voisine ne l'avait pas vu depuis un moment, ils avaient étés contactés. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'y avait pas de trace d'effraction. Tout était à sa place, où du moins, semblait l'être. Lorqusque la porte de la chambre fut forcée, les policiers étaient stupéfaits. Les pompiers ne servirent à rien, il était clair que l'homme était mort. Quand le corps fut embarqué en direction de la morgue, un policier se rendit compte que le rose de la couverture était du sang et non la couleur originale. En effet, une délimitation bien distincte, blanche, du corps de la victime. Le légiste s'arracha les cheveux. Le cadavre qu'il avait devant lui arborait de la tête aux pieds plusieurs expressions ; peur, dégoût, douleur. Inconcevable ! A moins que plusieurs vampires se soient rués sur lui en même temps, car il y avait plusieurs diamètres de lésions. Le médecin mortuaire n'avait pas d'autres explications. Cependant, son hypothèse ne tenait pas la route ; les vampires se nourrissent de sang alors que Carl s'est vidé de ce dernier. Le lit et un coin du parquet étaient les seuls endroits où il y avait du sang. Aucun objet pointu n'était dans les à côté. Le suicide n'étant pas envisageable, on pencha pour un meurtre. Mais il aurait fallu que l'assassin soit une connaissance à Carl, qui l'aurait laisser rentrer de plein gré, comme il n'y avait pas d'infraction. Personne n'habitait dans les environs. Comment un homme isolé, n'ayant pas d'ennemis, avait pu mourir vidé de son sang, avec la peau percée par des centaines de trous ? Sans que ce soit un suicide, sans trace de personne ? La mort de Carl Guidem resta un mystère et la maison tomba en ruines.
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