Chapitre 8- Maleïka

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Du bout des doigts, Maleïka coiffa ses cheveux. Assise devant son miroir, elle se trouvait presque belle. La courbe de ses épaules, de son visage. L’ensemble correspondait aux critères de la beauté de la Reigaa : un corps fin et harmonieux. La porte s’ouvrit et Cilanna apparut dans l’embrasure, le regard flamboyant.

–Il nous a bernées.

Maleïka baissa les yeux tandis que sa sœur s’aventurait dans sa chambre.

–Nous n’aurions jamais dû accepter.

–Comment aurions-nous pu savoir ? Rétorqua Maleïka en pivotant sur sa chaise.

Cilanna soupira, les poings sur les hanches. Sa silhouette rappelait les ondulations d’un serpent. Des courbes avantageuses, mortelles. Et un corps où coulait un poison venimeux.

–Nous étions toutes les deux incapables de parler.

Cilanna demeura immobile.

–Comment allons-nous avertir Freya ? Je ne pense pas qu’elle ait fait ce dont Shagal accuse.

–Shagal est une ordure. Il déforme la vérité pour s’accaparer du bien des autres.

La jeune femme se tourna et fixa sa sœur de ses yeux de biche.

–Nous n’aurions jamais dû accepter.

–Qu’aurais-tu voulu que je fasse ?

–C’est toi qui a hérité du pouvoir de manipulation.

Maleïka étudia son reflet dans le miroir. En arrière-plan, le visage se sa sœur grossissait. Elle enroula ses bras autour de sa nuque. Face à sa sœur, la Régente se trouvait fade, sans vie.

–Pourquoi es-tu là ?

–Nous devons mener le front ensemble. Freya n’est pas là et je ne veux pas te laisser combattre toute seule. Je suis Reine, moi aussi.

–Je croyais que tu haïssais ces réunions.

–Tu as raison ; je les hais. Mais je tiens à sauver le quart de nos terres, au moins d’être un maillon dans la chaîne. Nos volontaires auront besoin de voir que leurs Reines sont unies. Nous devons montrer l’exemple.

Maleïka acquiesça et pressa la main de sa sœur dans un accord silencieux.

**

–Pourquoi voulez-vous vous battre ?

–Parce que j’aime mon pays.

A vrai dire, peu importait les arguments qu’ils avançaient. Tous voulaient quelque chose : la somme promise, la reconnaissance, une place dans l’armée… Mais les ambitions excédaient dans la plupart des cas les compétences.

–Montrez-le nous.

Son adversaire, Zorak, n’était autre qu’un des gardes rapprochés de Maleïka. Il maniait suffisamment bien l’épée sans posséder le talent de sa sœur aînée. Plutôt qu’imposer des armes, Cilanna avait opté pour des bâtons. Les coups portés pouvaient être plus puissants sans pour autant blesser l’adversaire. Il pleuvait ce jour-là et une tente de fortune avait été dressée pour abriter les deux Reines. Mais la terre mouillée collait à leurs chausses et le bas de leurs robes s’encrassait au moindre mouvement de leurs jambes. Malgré tout, les deux sœurs persistaient à affronter le temps maussade pour choisir les sélectionnés sur les conseils de Zorak. Cilanna parlait peu. Sa tête reposait sur sa main, un index contre les temps. Ses yeux étaient plissés mais Maleïka rechignait à l’interroger en présence d’étrangers. Alors elle se contentait d’observer les duels, d’écouter Zorak et de nommer les sélectionnés. Peu répondaient aux critères exigés et ce constat inquiétait la jeune Reine.

–Combien en reste-t-il ? Demanda-t-elle alors qu’un énième volontaire passait la barrière tête baissée.

–Quarante-trois, Madame.

–Combien en avons-nous déjà vu ?

–Cent dix-huit.

Cent dix-huit et seulement sept sélectionnés, songea Maleïka. Dans ces conditions nous ne gagnerons jamais.

–Partez. Tous.

Les gardes s’inclinèrent tandis que sa sœur se redressa sur sa chaise. Elle ne se sentit pas concernée par le tous autoritaire de Maleïka.

–On ne sortira jamais vainqueur de cette affaire. Personne n’est à la hauteur.

–Que faire alors ? Nous devons absolument trouver un champion sans quoi c’est un quart de la Reigaa qui reviendra à Shagal.

Maleïka s’avachit sur son siège et posa son index contre son front.

–Je n’en sais rien. Je me sens impuissante.

Cilanna ne répondit pas.

–Peut-être que si j’arrive à lui faire changer d’avis ? Suggéra-t-elle avec douceur.

–C’est inutile. C’est une occasion en or pour lui. Il ne la laissera pas filer.

Maleïka leva les yeux vers le ciel. Des flocons commençaient à tourbillonner au-dessus de la tente. L’hiver ne laissait qu’un répit de trois mois. Une fois passé ce délai, les terres de l’Andürin se couvraient d’un manteau blanc.

–Rappelle les volontaires. Zorak choisira ceux qui auront peut-être une infime change nous sauver.

–Où allons-nous ?

Maleïka l’ignorait. Le poids de la couronne pesait sur sa tête. Les responsabilités étaient grandes. Les doutes persistaient et aucune décision ne semblait être la solution que tous attendaient.

–Dans la forêt. J’ai besoin de sortir du château.

Cilanna acquiesça bien qu’elle jugeait plus sage de rester dans la cour à regarder les prétendants combattre. Pourtant elle ne dit rien, se contenta de suivre sa sœur.

–Zorak, appela Maleïka.

Le garde vint à leur rencontrer, inclina profondément le buste malgré ses jambes droites.

–Continue les sélections. Choisis les plus rapides, les plus forts. Et ceux qui n’ont pas peur de mourir.

L’homme hocha la tête avant de rappeler les volontaires. Les Reines eurent à peine traversé la cour qu’elles entendirent le garde hurler : suivant !

Maleïka ne desserra pas les mâchoires pendant les premières minutes. Sa capuche était rabattue sur ses cheveux tandis que le vent jouait avec son épaisse frange.

–Le bâteau navigue sur les flots.

–Silencieux il quitte le port.

La voix de Cilanna se joignit à celle de Maleïka et les sœurs fredonnèrent le reste du couplet. Le vent froid glissait sur les manteaux des deux Reines, les enveloppait dans une étreinte fatale pour leur murmurer de douces promesses. Malgré l’épaisseur de sa cape, de légers frissons remontèrent l’échine de Maleïka. L’hiver s’annonçait rude. Les proies se terreraient bientôt pour celles qui n’hibernaient pas déjà. Par bonheur, les Andurriens ne souffraient pas de la mauvaise saison : les terres étaient fertiles grâce aux sacrifices de plusieurs sorcières il y a quelques centaines d’années. Le Lingualar était célébré chaque année aux premières neiges. Pourtant bien que cet événement fut le préféré de Maleïka, elle n’avait pas le cœur à la fête.

La pente se raidissait un peu plus à chaque pas, les pierres roulaient sous leurs chausses. Niché sur une colline, au creux d’un vallon, la demeure des Reines étaient presque invisibles aux yeux des étrangers. Les arbres, long de soixante-dix pieds pour les plus petits et leurs branches touffues masquaient admirablement bien les trois tours du château.

Les deux sœurs traversèrent un pont dont les planches grinçaient sous leur poids. Jadis quand le soleil brillait la moitié de l’année, il surplombait un mince court d’eau, filet trop petit pour que les domestiques l’appellent une rivière. Avec la neige et la pluie, elle pouvait désormais désaltérer tout le château- bêtes comprises. Maleïka fit courir un doigt ganté sur la poutre brune.

Regarde Maleïka, la rivière a disparu mais son histoire persiste avec le temps. Dans ton esprit, dit la voix de son père.

Si elle se retournait, elle savait qu’elle ne verrait personne d’autre que sa sœur. Cette voix n’était que le murmure des pins, un fantôme du passé. Les épaules de la Reine s’affaissèrent et un vide sembla creuser sa poitrine.

–Nos parents me manquent tant, déclara Maleïka en quittant le pont pour s’engager sur le sentier de boue séchée.

Les ornières de terre s’étaient tassées : les chemins menant à l’extérieur étaient de nouveau praticable à pied. Cilanna acquiesça mais ses yeux n’exprimèrent aucune compassion.

–Père savait toujours quoi faire lorsqu’un problème et mère réussissait toujours à nous réconforter.

Lorsqu’elle était petite, Maleïka avait une peur indicible des orages. Elle pleurait et criait toute la nuit lorsque le ciel refusait de se calmer et déchargeait sa fureur sur la Reigaa. Les grondements du tonnerre déchiraient ses tympans. Dans ses souvenirs, les éclairs s’écrasaient contre les façades du château pour le détruire. Son père venait toujours la réconforter l’enlacer et lui murmurer des mots rassurants.

–Il me contait l’histoire de Mélusine, la fille de la rivière.

Cilanna acquiesça distraitement en jouant avec quelques mèches de cheveux échappées de la protection qu’offrait sa capuche. Les images qu’avaient inventées Maleïka étant petite se dessinèrent devant ses yeux.

–Chrysentia dit que l’hiver ne sera pas aussi rude que celui de l’année dernière, déclara sa sœur en recueillant un flocon de neige dans sa main noire.

–L’hiver n’est pas encore là, répliqua Maleïka. J’espère que les tempêtes attendront encore un peu.

Les sœurs se postèrent au pied des arbres. Le dos droit, la jeune Reine observait la grandeur de son château. Dressé sur une colline, elle-même au creux d’un vallon entouré par des forêts. Trois tours dont le sommet pointu rappelaient à Maleïka la flamme d’une bougie. Durant les quelques mois où les neiges fondaient, le cuivre de ces curieux dômes chatoyaient à la lumière. La forteresse n’était pas bien grande et ne possédaient aucune défense en cas de guerre. La demeure des Reines avait été construite par des hommes pour se protéger du froid. Habilement construite pour capter et préserver chaleur et lumière, c’était là son seul atout. Pas de pont-levis et de fosse, rien qu’une rivière souterraine qui parcouraient les douves du château avant de ressortir et de se déverser dans un lit encerclant la moitié du domaine. Son unique défense était le mauvais temps : la neige pouvait atteindre la taille d’un homme et bloquait ainsi les troupes ennemies qui voulaient, aux temps anciens, s’emparer de la Reigaa.

-Rentrons, suggéra Cilanna.

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