Chapitre 13 - Cilanna
Je suis consciente de la bancalité de ce chapitre. Une fois que l'histoire sera entièrement postée, je réecrirai ce chapitre mais toujours en conservant les informations délivrées. J'aurais voulu m'y attaquer plus tôt mais les partiels m'en ont empêchée.
Les doigts de la jeune femme courraient sur la lyre. Une douce mélodie s’élevait des cordes et vibra dans l’air. L’air triste révélait le fond de ses pensées. Au bout de quelques minutes, elle chantonna. La douceur de sa voix se comparait à une plume. Douce et réconfortante là où l’espoir n’était plus qu’un mot abstrait. Son cœur s’allégeait lorsqu’elle chantait comme débarrassée d’un poids invisible. Les mouvements lents et réguliers de son buste la réconfortaient.
La porte s’ouvrit et Chrysentia apparut dans l’embrasure.
-Continue, souffla-t-elle.
Cilanna pinça les cordes de ses longs doigts.
-Pourquoi es-tu là ? Demanda la Reine une fois la dernière évanouie.
-Je voudrais te montrer quelque chose.
Une lueur indécise dansa dans les yeux de la sorcière. Perplexe, Cilanna la suivit. Quelque chose la taraudait. Elle le voyait à ses traits tirés, ses épaules affaissées.
-Je ne t’ai pas tout dit, déclara Chrysentia.
-Il y a beaucoup d’éléments que tu gardes secrets, rétorqua la Reine d’une voix dure.
Chrysentia acquiesça mais évita son regard. Si la jeune femme appréciait le mystère qui entourait son amante ses sautes d’humeur l’agaçaient. La sorcière la conduisait dans sa chambre et lui conseillait de s’installer sur son lit. Sceptique mais docile, Cilanna s’exécuta. Elle ramena ses pieds sous ses jambes. Ses chausses heurtèrent le sol en pierre avec un claquement. Chrysentia enlaça ses épaules. La chaleur de ses bras réchauffait la peau de sa nuque. Son souffle chatouillait son oreille. La jeune femme nota la pression de ses seins dans son dos.
-Connaissais-tu le type de relation que j’entretenais avec ta mère ? Chuchota l’enchanteresse.
-Meilleure amie si je me souviens bien.
-Exactement. J’aimais beaucoup ta mère mais je n’ai jamais raconté comment nous nous étions rencontrées.
La main de Cilanna remonta le long de son buste pour attraper celle de son amante. Elle s’extirpa de son étreinte, se contorsionna pour capter son regard.
-Pourquoi me racontes-tu tout au compte-gouttes ?
Chrysentia posa sa paume sur la poitrine de la jeune femme, à l’endroit précis où son cœur battait.
-J’ai peur qu’en te dévoilant l’entière vérité, tu quittes la Reigaa pour devenir pirate.
La jeune femme éclata de rire.
-Pirate ? Je déteste l’eau.
Cilanna la poussa légèrement, plus pour la taquiner que pour l’embêter.
-Montre-moi comment tu as connu ma mère.
La sorcière se pencha sous son lit pour retirer une pile de feuilles vierges. Alors que Chrysentia les manipulaient, des dessins s’imprimaient. Le papier donnait vie à l’histoire. Sur une des feuilles, une sorte de renard léchait ses pattes. Cilanna tendit la main. Aussitôt le petit canidé s’immobilisa.
-Ne fais pas de mouvements brusques. Tu pourrais les effrayer.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Mes souvenirs. Et ton histoire.
Chrysentia se dirigea vers le centre de la pièce et d’un geste circulaire éparpilla les feuilles. Cilanna s’attendit à entendre le bruissement du parchemin contre les pierres mais chacune lévitait. L’immortelle tendit le bras vers un dessin mais celui-ci glissa entre ses doigts. Su la feuille, le drôle de renard bondit.
-Elles sont capricieuses, expliqua la sorcière.
Cilanna la rejoignit et contemplait avec des yeux émerveillés les dessins onduler à quelques centimètres de son visage.
-J’ai demandé à un enluminaire de les dessiner et leur ai rendu la vie.
Lorsque Chrysentia tapa dans ses mains, Cilanna sentit la puissance de son ordre silencieux. Les feuilles s’inclinèrent puis se rangèrent. La première image représentait deux hommes. Le plus âgé siégeait sur un trône. Ses pommettes saillantes, son nez droit se retrouvaient chez le second. Seule une barbe grise et les cheveux poivres et sels, facteurs évidents de l’âge, les différenciaient.
-C’est mon père.
-Oui. L’autre homme est ton grand-père. Barddar et Daxar le Traître. Toute sa vie durant, ton père n’a fait que réparer les erreurs de son père en vous formant.
-Mon père ne m’a presque rien raconté sur Daxar. C’est Maleïka et mère qui m’ont rapporté le peu que je sais.
Un comble pour celle qui maîtrisait l’histoire jusqu’au bout des ongles.
-Une guerre dans toute son horreur.
Les deux hommes s’effacèrent et laissèrent place à Daxar le Traître à l’âge de raison. Cilanna le voyait jouer avec une fille des arbres. Encore jeune, la Reine ne devinait son apparence qu’à sa peau verte. Les années passant, ils tombèrent amoureux mais les espèces étant trop différentes pour se reproduire, la couronne ne comptait pas d’héritiers. Le Roi vieillissait et la Reine grandissait en beauté. Le temps ne signifiait pas la même chose pour les amants. Un an humain équivalait à vingt pour les peuples de la Nature. Plus le Roi murissait plus la jeune femme se désintéressait de lui et prenait dans son lit de nombreux amants. Daxar l’aimait toujours même s’il ne la touchait plu. Vint pour lui le temps d’enseigner les usages de la cour à un fils.
-On l’obligea à assassiner sa femme, murmura Chrysentia en lui étreignant les épaules.
L’image qui suivit montrait la jeune beauté des arbres agoniser dans son sang. Un seul moyen de répudier une compagne : la supprimer. Un mariage fut célébré entre lui et une humaine.
-Ton grand-père ne l’a jamais aimée ni même appréciée. A chaque fois qu’il la voyait, il pensait à sa première femme. Pourtant, il avala sa rancœur le temps de lui donner un fils avant de s’en désintéresser totalement.
Les fils brodés scintillèrent avant de dévoiler un nouveau dessin : un homme arbre qui pointait un index crochu sur Daxar.
-C’est le père de la première épouse. Il ne supportait pas de voir grandit Barddar alors que sa fille chérie était morte. Fou de rage et de chagrin, il maudit sa lignée pour que tous puissent éprouver sa souffrance. Daxar fut un roi épouvantable (les images le confirmaient), il trait son peuple pour de l’argent qu’il ne possède pas, abattit des dizaines d’animaux chaque jour, violait des jeunes filles innocentes parce qu’elles avaient le malheur de ressembler un tant soit peu à sa défunte épouse. Un véritable tyran.
Le dernier dessin confrontait Daxar et Barddar. D’elle-même, la feuille s’envola pour un désigner une autre. Le dessin ondula jusqu’à Chrysentia. Un homme à la large carrure tendait une main vers un canidé brun-roux. Celui-ci inclinait son museau pour renifler une odeur inconnue.
-Comme ton grand-père, Barddar aimait beaucoup la chasse. La violence ne l’amusait pas et il ne tuait que lorsque c’était nécessaire sinon il se contenterait de poursuivre sa proie jusqu’à ce qu’elle lui échappe. Cette scène a eu lieu au cœur d’une de ses chasses.
Sous les yeux de la Reine, les personnages s’animèrent. Son père-représenté par un homme dans toute sa virilité, barbe rousse comprise- se cacha derrière des buissons pour observer une louve s’abreuver. La bête lécha sa patte avant de la frotter contre son oreille. Cilanna fut fascinée par les traits fins et élégants de l’animal (qui pour le coup n’avait rien de tel). Barddar se leva avec discrétion pour ne pas effrayer la louve qui l’observait, interloquée. La jeune femme fut fascinée par ses traits presque humains. L’animal gronda mais l’homme lui désigna sa paume de sa main vierge de toute arme. La bête ne recula pas, se laissa même approcher pour flairer son odeur et le dessin s’immobilisa.
-Les malédictions ont tendance à tout compliquer, reprit Cilanna en claquant ses doigts.
Un troisième parchemin voleta jusqu’à elle.
-Celle de ton père fut de tomber amoureux fou d’un animal.
-Un instant, rétorqua Cilanna en reculant d’un pas. Un animal ? Ma mère était à moitié humaine.
Chrysentia compatissait à sa douleur mais la détrompa.
-Par la suite, elle est devenue humaine à un quart. Au moment de leur rencontre, ta mère était un loup, une bête.
Ce dernier mot tournoyait dans l’esprit de la jeune femme. Une bête. Une bête. Une bête. Jamais ses parents n’auraient dû se rencontrer et les engendrer. Le poids à porter sur ses épaules décupla. La force l’abandonna et la jeune femme s’assit, perdue.
-Ma mère m’a toujours expliqué qu’une sorcière l’avait transformée en…
-Humaine, la coupa-t-elle. Tes parents ne vous ont rien révélé par un peur de votre réaction.
Cilanna voulut bégayer mais demeura silencieuse. Elle doutait de la véracité de ses propose, de cette histoire qui semblait tout sauf réelle.
-J’ai peine à y croire, confia-t-elle.
Cette révélation la déstabilisait tant qu’elle soupçonnait un instant la sorcière capable de mensonges.
-Pourquoi te mentirai-je ?
Ses mains glissèrent dans ses cheveux.
-C’est totalement… Fou. Comment père a-t-il pu aimer un animal ? Un animal.
Ses lèvres tremblaient, ses ongles agrippaient les racines de sa chevelure. La douleur détournait son attention.
-Pourquoi ce loup en particulier ?
-Je ne sais pas.
Une cruche trainait sur son étagère. Elle contenait un fond de vin. Cilanna ne chercha pas de verre mais porta le vase à sa bouche. Le goût particulièrement âcre la fit grimacer.
-Quel est le prochain dessin ?
-Tu en es sûr ?
-Si je suis là, autant que tu me déballes tout.
-Pas encore tout, mon ange. Mais bientôt.
Cilanna ne releva pas mais nota cette information dans son esprit. Ce n’était plus l’agacement qu’elle ressentait mais une lassitude toxique qui commençait à s’installer. Chrysentia leva le bras.
L’image montrait à nouveau ses parents. La louve se couchait au pied du roi, sa tête levée vers son futur mari. Une chaumière apparut dans le coin du parchemin. Une sorcière les invitait à entrer. Petite et ridée, aux yeux machiavéliques et au sourire édenté, elle n’inspirait pas grande confiance. Le roi conversait avec la sorcière. Seuls ses sourcils froncés indiquaient la nature de leur échange.
Elle rechignait à métamorphoser la louve car elle connaissait la malédiction, songea Cilanna.
Si l’homme-arbre s’apercevait du coup de main qu’elle leur filait, elle ne tarderait pas à voir sa tête sur une pique.
-Elle refusa ?
-Oui. Les sorciers ont tous une spécialité dans laquelle elle excelle. Le don de celui-ci ne s’y prêtait probablement pas et se confronter à des sortilèges inconnus peut se révéler dangereux. Plusieurs sorciers très doués dans leur discipline sont morts car ils ont voulu se confronter à… autre chose. (Chrysentia inclina la tête vers la feuille) C’est ce qui a très certainement rebuté cette sorcière.
Cilanna releva la tête et se mordilla les lèvres.
-Je ne comprends pas. Pourquoi ne sont-ils pas tout de suite rendus chez une sorcière compétente ?
-Est-ce que tu connaissais toutes ces informations avant que je ne te les donne ?
La jeune femme soupire en comprenant que ses parents, son père du moins, se trouvaient dans le même état qu’elle.
-Les sorciers sont humains, reprit son amante, mais nos connaissances et nos dons nous font presque vivre dans un autre monde.
A sa métaphore, Chrysentia sourit.
-Les hommes savent qui nous sommes mais n’ont que très peu de détails à notre égard. Tu viens d’entrer dans le cercle très petit et privilégié de ceux qui savent que chacun agit selon une spécialité.
-Tu ne me faisais pas assez confiance pour me le dire avant ? Rétorqua Cilanna, blessée.
Sans se démonter, l’enchanteresse répliqua :
-Ce sont mes secrets qui t’ont plus chez moi. Je n’avais pas de raisons pour détruire ton premier trait d’attirance pour moi.
-Et ma confiance ? Elle ne suffisait pas ?
Cilanna regrettait de l’avoir suivi. Aucune de ces révélations ne l’enchantaient et étaient même dures à avaler. Chrysentia entoura le visage de sa Reine entre ses mains.
-Je pensais que tu avais compris que je me révélerai petit à petit. Puisque tu ne me posais que quelques questions sur mon passé, je pensais que cela te convenait.
Avant, elle s’en fichait mais depuis quelques mois, Cilanna s’interrogeait sur sa relation avec Chrysentia. Elle lui cachait trop d’éléments et ne pouvait plus compter sur sa franchise et son honnêteté. Malgré tout, elle l’aimait.
-Continue ton histoire.
Elle vit dans ses yeux, sur son visage qu’elle n’attendait pas cette réponse.
-Elle est là.
Cilanna contempla le dessin, la finesse des traits des personnages qui incarnaient ses parents. Seule la sorcière se transforma Le visage de son successeur lui fit écarquiller les yeux.
-Toi ? C’est toi qui a métamorphosé ma mère.
La Reine n’eut pas besoin de se retourner pour savoir qu’elle acquiesçait.
-Quel est ton don ?
-La transformation. Je peux modifier la vérité ou l’altérer à ma guise. Ta mère fut mon premier gros travail. J’ai pu obéir à Barddar mais il y a eu quelques effets secondaires qui n’étaient pas prévus.
Sur l’image, Chrysentia brandit un doigt et sa mère se changea en humaine puis son côté gauche fut remplacé par le portrait d’un Agkar.
-Mon pouvoir n’est pas assez puissant pour une transformation complète. J’ai voulu tenter moitié-moitié mais ne suis arrivée qu’à un quart. Et la louve s’est transformée en une créature hideuse et repoussante. Ton père était fou de joie lorsqu’il la vit. A tel point qu’il se fichait de du monstre. Aussi étrange que cela puisse paraitre, ta mère l’aimait déjà sous sa forme de louve comme s’ils étaient destinés à se rencontrer.
Cilanna ne croyait pas au destin. Un ramassis de mensonges.
-Je lui ai appris à vivre en humaine et en Agkar. C’est à ce moment que nous sommes devenus amies. Une fois mon travail terminé, j’ai compris que ce n’était que le commencement d’un autre et je l’ai suivi jusqu’au château. Quand vous êtes nées, j’ai ensorcelé les domestiques et modifié leur souvenirs. Ces illusions dont aussi partis de mon dos.
-Tu as enfermé ma mère dans une cage.
-Avant que vous ne naissiez, elle semait la terreur dans le royaume. Chaque mois, il y avait des centaines de morts. Avec ton père, nous avons tous les trois décidé qu’une cage serait la meilleure solution.
A aucun moment ne s’était-elle sentie coupable ? Songea la Reine.
-Quand je t’ai vu pour la première fois, j’ai su que j’avais fait le bon choix en restant.
Des paroles qui ne trouvèrent pas le chemin de son cœur. Elle n’arrivait plus à discerner la vérité. Combien de secrets cachait-t-elle encore ?
-Pourquoi ne dis-tu rien ?
Cilanna choisit ses mots avec soin avant de les prononcer.
-Depuis combien de temps sommes-nous ensemble ? Un peu moins d’une dizaine d’années et pendant toutes ces années, tu n’as pas jugé bon de nous avertir. L’histoire de mes parents concernent autant Freya et Maleïka que moi. Qu’est-ce que tu ne nous as pas encore dit ?
Chrysentia ne répondit pas, se contenta de la fixer.
-Ce n’est pas à toi de décider ce qui est bon ou non pour nous.
-Je n’avais pas le choix, se défendit la sorcière. Je voulais vous protéger.
-Protection et mensonges sont deux choses différentes, répondit-elle imperturbable.
Chrysentia rejoignit Cilanna qui effectuait quelques pas dans sa chambre.
-Durant mes huit siècles d’errance, j’ai appris qu’apporter des bribes de vérité était plus salvateur qu’une vérité totale.
L’enchanteresse refusait d’emprunter le chemin que lui montrait sa Reine.
-Ce que je veux dire, c’est que ne possèdes pas le droit de choisir quoi nous révéler. Ton rôle de protection est de nous aider à l’affronter.
-Tu aurais préféré savoir que ta mère était un animal à quatre, cinq ans ? Un moment d’égarement et tu l’auras révélé à tout le monde. A l’adolescence le problème était le même.
-Et à seize, dix-sept, dix-huit ans ? A cet âge de nombreuses femmes sont mariées et ont déjà enfanté. Tu nous pensais encore trop jeunes ?
La sorcière claqua dans ses mains et les feuilles se rassemblèrent sur son lit.
-Je t’aime, Chrysentia. D’un amour sincère… et réel. Mais je me demande si cet amour est plus fort que tous le poids de tes secrets.
-Tu me reproches ce qui t’as attiré chez moi ?
-Il y a une différence entre une personnalité mystérieuse et des secrets existentiels que tu me caches. Pour moi l’idée même d’un couple c’est d’affronter les épreuves ensemble. Pas que l’un fasse tout et que l’autre reste dans l’ignorance. J’ai peur que nous n’ayons pas les mêmes idées, les mêmes aperçus pour se confronter ensemble à l’avenir. C’est pour ça que j’ai besoin d’un peu de temps pour réfléchir.
Chrysentia enlaça ses mains.
-Je regrette que ça se soit passé comme ça. J’ai patienté huit siècles avant de te rencontrer. Huit siècles de douleur où j’ai plus d’une fois failli plonger dans la folie. L’immortalité est un fardeau que seul peu de choses peuvent adoucir. Ron amour est comme une plaie. Je n’ai pas envie de te laisser partir car tu es l’unique personne qui me fait reprendre goût à la vie. Mais si c’est la manière de te récupérer alors je le ferai.
Cilanna acquiesça et ses mains glissèrent de son étreinte. Elle sût qu’elle avait fait le bon choix même si celui-ci alourdissait son cœur. Elle regarda une dernière fois la sorcière avec les yeux d’une amante avant de tourner les talons et partir.
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