Chapitre 16- Maleïka
Cette fois Cilanna avait planqué des manteaux derrières des buissons et des rochers. Elle en lança un à sa sœur qui s’empressa de l’enfiler.
–Où est Freya ?
Elle n’était pas avec elles il y a une semaine, Maleïka avait espéré que son aînée les retrouve après leur transformation mais les deux Reines se trouvaient seules au milieu de la forêt. Où se trouvait-elle ? La jeune femme avait encore besoin de sa sœur pour s’accaparer du trône. Freya ne pouvait mourir maintenant de la main d’un inconnu. Elle priait la Déesse pour que sa jumelle soit saine et sauve. Plus elle réfléchissait, plus sa mort lui semblait improbable. Sous sa forme de louve, sa puissance égalait elle d’une meute de loup de plus d’une trentaine d’individus. Non, elle vivait certainement mais où ?
–Je ne sais pas.
Elle constata aux furtifs coups d’œil de sa sœur dans toutes les directions qu’elle mourrait d’envie de hurler le nom de leur ainée. Maleïka lui lança un regard appuyé, la mettant au défi de trahir leur emplacement. L’appeler serait trop dangereux. Bien qu’il serait presque impossible pour un vulgaire homme de comprendre leur secret, cet acte attireraient la présence d’individus à l’endroit même où mes sœurs se transformaient.
–Peut-être qu’elle nous attend au château. Il nous faut rentrer.
Cilanna acquiesça et s’aventura dans les ronces. Elles préféraient éviter les chemins où chacun pouvait les voir. Elles rentraient souvent avec de nombreuses égratignures dues aux épines des sous-bois. Elle écarta les branches souples des arbres sur toute la durée du chemin. Le brouillard s’enroula autour de leurs chevilles, tel deux serpents qui tentaient de les retenir, de les enfermer dans une prison aux murs vaporeux.
Les deux Reines s’immobilisèrent quand un craquement sourd résonna sur leur droite à quelques mètres d’où elles se tenaient. Elles se consultèrent du regard et leurs yeux inquisiteurs écartaient la brume tels deux mains fantômes pour se poser sur le corps nu de Freya. Cilanna hoqueta et se précipita soutenir sa sœur qui chancelait.
–Où est-il ?
–Qui ?
Cilanna écarta les cheveux de son visage et lorsqu’elle retira ses doigts, ils étaient poisseux de sang. Ce n’était qu’à cet instant qu’elles remarquèrent le piteux état de Freya. Son regard fou, son corps recouverts de traces rouges et noires, ses ongles en partie arrachés.
–Il ne vous a pas vu, n’est-ce pas. Il ne vous a pas vu ?
Maleïka toucha l’épaule de sa sœur et son contact la tressaillir. Sa tête tourna lentement vers elle.
–Est-ce que tu t’es transformée ?
Elle secoua la tête et de l’index désigna une large entaille à peine cicatrisée sur son ventre. La rougeur contrastait avec la blancheur de sa peau.
–C’est lui qui m’a fait ça.
D’un mouvement brusque, Maleïka la fit pivoter et observa son dos. Une blessure similaire courrait sur sa chair au-dessus du creux de ses reins.
–Qui est-ce ? Demanda Cilanna.
–Pas ici, chuchota-t-elle. Les arbres parlent.
Il ne fut pas aisé de recouvrir la nudité de Freya. Son manteau abandonné au milieu de la forêt ne leur était plus d’aucune utilité. Il est bien au chaud sous la terre, songea Maleïka. En désespoir de cause, elles recouvrirent leur sœur de bourbe et de feuilles.
Entrée peur héroïque au château mais la Régente avança la tête haute alors que ses domestiques les dévisageaient d’un œil inanimé d’expression (de sentiments) comme vidée de leur essence humaine. Ensorcelés, ils devenaient des automates, des morts-vivants. Les premières fois Maleïka avait eu pitié d’eux. Aujourd’hui leur sort ne l’inquiétait plus.
Freya s’enferma dans sa chambre sans dire un mot. Sur le trajet du retour, elle était passée d’hébétée à silencieuse, ruminant un secret seulement connue. Maleïka l’imita, troquant sa robe contre une chemise en flanelle. La fatigue les guettait toutes une fois redevenues humaines. Elle assaillit brusquement son corps. La Reine se glissa entre ses draps et ne put s’empêcher de se demander quelle chose parvenait à ébranler le roc qu’était la guerrière.
**
–Je viendrai vous parler après les rapports du matin, déclara Freya.
Elle était lugubre. Une partie de son visage semblait avalée par les ténèbres. Figée dans son mutisme, elle réussirait à terrifier le plus hardi de ses chevaliers. Son regard, même embrumé, parvenait à lancer des éclairs. Maleïka préférait ignorer la source de ses noires pensées et profiter de son petit-déjeuner tardif. Cilanna dissimulait son visage sous une tresse épaisse parsemé de perles qui réfléchissaient les rayons de lumière.
–Pourquoi ne nous dis-tu rien ? Demanda enfin Maleïka.
–Je dois réfléchir. Nous nous verrons après.
Freya quitta la table et enfila un long manteau noir. Par bonheur, la neige ne recouvrait pas encore la Reigaa de son manteau blanc. De temps à autre, le ciel laissait tomber des flocons mais trop peu pour devenir une menace. Aucune des deux sœurs n’osaient dévoiler ses angoisses à voix haute mais le silence révélait tout autant leurs craintes.
–Personne ne peut l’avoir vu, dit Cilanna en tripotant les dents de son couteau. Sinon nous ne serions pas assises ici.
Maleïka espérait que sa sœur ait raison. En une semaine, les paysans auraient eu assez de temps pour piller le château, guidés par un puissant sentiment de vengeance. Pourtant, rien ne présageait ce funeste coup du sort. Les domestiques vaquaient à leurs tâches, l’emploi du temps des jeunes femmes restait le même et personne ne défonçait les portes pour s’accaparer de leurs maigres richesses.
–J’ignore ce qu’il s’est passé mais nous devons tenir ça secret. Quoi que cela puisse être.
Cilanna acquiesça distraitement, peu convaincue de sa réponse.
–Nous devons y aller. Je n’aime pas faire attendre Aggo et Zorak.
Au détour d’un couloir, elles croisèrent Oron qui bavassait avec une domestique. Celle-ci riait s’esquissa une révérence sur le passage des Reines. Le chasseur s’exécuta mais les observa avec insistance un grand sourire sur ses lèvres. Freya lui avait parlé de son caractère taquin mais sa bonne humeur la fit frémir. Savait-il quelque chose ? Non, il réagissait ainsi parce qu’elles étaient les sœurs de son amante. Même si elle n’avait pas encore couché avec lui, ses sentiments s’accroissaient les semaines passant. Ils jouaient au jeu du chat et de la souris. Quant à savoir qui était qui, là était l’enjeu.
Le conseil se déroula comme à l’habitude. Des propos pour la plupart ennuyeux, une nouvelle dizaine de morts à travers le pays –moins que la fois précédente qui confirmait l’absence de leur sœur ainée. Aggo précisait tous les détails de son de son aventure jusqu’au royaume voisin. La peur d’une personne n’arrivait à capturer.
–Des loups ? Sottises. Ce sont les fantômes des morts qui reviennent pour nous hanter. C’est ce qu’une habitante m’a dit, déclara Aggo.
–Ces loups vont détruire notre réputation, grommela Maleïka. Ils nous font passer pour des faibles et des idiotes. Avec ses idioties que colportent ces paysans, je comprends pourquoi ns vassaux se rebellent. Il est temps de passer à l’offensive. Expose-nous ton plan, Cilanna.
Sa jeune sœur leur parla de sa trouvaille ; des trous dans la terre et au fond des pieux mortels dressé à accueillir les Agkars. Ses conseillers furent convaincus en quelques minutes.
–Envoyer un message à tous les seigneurs, ordonna Maleïka. Dites leur précisément où les pièges doivent être établis pour éviter que des paysans ne tombent dedans.
Ses hommes acquiescèrent.
–Y-a-t-il autre chose à ajouter ?
–Non, ma Reine.
–Dans ce cas, revenez me consulter dans trois jours.
Ses conseillers disparurent pour la laisser seule avec Cilanna. Cette dernière héla un garde.
–Trouvez Freya. Dites-lui de venir.
La guerrière vint quelques instants plus tard en compagnie de Chrysentia.
–Que voulais-tu nous dire ?
Freya se dirigea vers la table, se servit du vin et le but d’une traite.
–Je ne me pas transformée la semaine dernière parque que quelqu’un m’en a empêché.
La cœur de Maleïka manqua un battement. Ainsi donc une personne avait découvert leur secret.
–Lorsque je suis sortie de l’armurerie, je ne me suis pas rendue compte que j’étais suivie. Comment aurais-je pu ? Je me croyais protégée avec le sortilège. La transformation m’a prise de cours. Je pensais avoir le temps de vous rejoindre mais Zorak s’entrainait. J’ai pris plus de temps que prévu.
–Et ? La pressa la Régente.
–Oron m’a suivie. Il m’a lancé une lance empoisonnée qui m’a atteint au flanc.
Elle souleva son habit pour dévoiler une seconde cicatrice tout aussi hideuse que la première.
–Le poison a interrompu la transformation au moment où j’étais la plus vulnérable. Il savait que nous nous transformons selon ce schéma. Il connaissait ce secret avant même de m’attraper.
Le sang de Maleïka bouillait dans ses veines. Elle avait amené cet homme avec elle pour une histoire de sexe et maintenant il les menaçait toutes ? Sa stupide jumelle les avait mis toute les trois du danger pour une nuit bien accompagnée ? La jeune femme peinait à contenir son courroux.
–Il a promis de protéger notre secret et même de nous aider.
–Que veut-il en échange ? S’enquit Cilanna.
–La place de Tiyliu. Il veut devenir notre champion.
Ses poings serrés trahissaient sa rage.
–Hors de question. Il ne reste plus que deux mois avant l’échéance. Tu ne pourras pas l’entraîner correctement.
–Est-ce que nous avons le choix ? Intervint Cilanna.
–Je vais le tuer, renchérit Freya.
–Toi ?
Elle en sera incapable, songea Maleïka. S’il elles ignoraient ses sentiments pour le chasseur il n’en n’était pas moins présent. Une fois face à lui, elle serait incapable de presser son couteau vers son cœur.
–Doutes-tu de mes compétences, Maleïka.
–Non, c’est de tes sentiments dont j’ai peur.
Freya s’avança, posa une main sur sa poitrine.
–Je le détruirai. C’est ça que tu as besoin d’entendre ?
–Tu as trois jours. Après, je serai contrainte d’accepter son offre pour le bien de la Reigaa.
La Reine guerrière pivota sur ses talons. Au moment où elle s’apprêtait à poser la main sur la porte, sa sœur l’interpella.
–Tue-le. Pour notre bien.
**
Le ciel s’était assombri depuis ce matin. Des flocons virevoltaient dans le vent. Une fine couche neige recouvrait les terres de la Reine. Tandis qu’elle se rendait à l’armurerie, elle repensait à l’entretien qu’elle avait eu avec ses sœurs. Maleïka n’aurait pu être plus contente. Son plan fonctionnait à merveille. Cilanna –malgré son penchant dissimulé pour la cruauté- trouvait le siège du trône trop dur pour ses fesses.
Elle jugeait Freya trop entichée du chasseur pour les mener à leur perte. Maleïka devrait s’en charger elle-même. Après tout, n’agissait-elle pas pour son peuple ?
Beaucoup de traces de pas perçaient la blancheur de la neige. Maleïka entendit quelques craquements, le bruissement des feuilles et quelques voix au loin. Elle racla sa gorge pour avertir Zorak. Le jeune homme limait les haches.
–Ma Reine ? S’étonna-t-il. Cet endroit est trop sombre pour votre splendeur.
–Garde tes flatteries, Zorak. Ce n’est pas pour tes compliments que je viens.
–Que puis-je faire pour ma Reine ?
Maleïka porta son attention sur les lances. Elle tendit la main pour toucher la pointe de l’arme. La morsure du métal refroidit sa peau. Beaucoup de courants d’air empêchaient la pièce de se réchauffer.
–Depuis combien de temps es-tu à mon service ?
–J’étais déjà ici pour servir ton père.
–Quelques années donc. As-tu confiance en moi ?
Il répondit sans l’ombre d’une hésitation.
–Oui.
Maleïka sourit, son bras retomba contre son flanc. Elle connaissait la nature de ses sentiments envers elle. Même si l’amour ne l’avait jamais attiré (n’avait-elle pas fait vœu de virginité ?), pourquoi n’utiliserait-elle pas cette arme contre lui ? La Reine s’approcha de Zorak, se pencha vers son oreille pour lui murmurer des mots empoisonnés.
–Il y a un chasseur, Oron je crois que c’est son nom. C’est un espion de Shagal. J’ai par hasard découvert les messages qu’il envoyait à son roi. Il était question du champion. Je n’ai pas encore avertis mes sœurs. Je souhaite les protéger, comprends-tu ? Je connais le caractère de Freya. Elle s’empresserait de le tuer mais si quelqu’un la voit, j’ai peur que le peuple nous considère comme des meurtrières alors que la seule chose que nous voulons c’est les sauver.
Le mensonge lui venait naturellement. Depuis tant d’années, elle cachait la vérité, l’enjolivant. Cette situation l’amusait.
–Si tu t’en occupes, je pourrai facilement te sortir d’affaire. Je n’aurais qu’à dire qu’il a tenté de me violer. Le gens te verront comme mon sauveur.
-Pourquoi ne pas dire la vérité ? Demanda Zorak, songeur.
–La vérité ?
Prétendait-il qu’elle se jouait de lui ?
–Sur les mensonges qu’il envoyait à Shagal.
–Les Reigiiens ne se sentiraient plus en sécurité s’ils savaient qu’un espion s’était introduit dans le château. Je connais la nature humaine ; elle se doute de tout. M’aideras-tu, Zorak ? Ou devrais-je trouver quelqu’un d’autre ?
–Je suis à votre service ma Reine. Maintenant et pour toujours.
Annotations
Versions