I - Chapitre 5

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Théandre frissonna quand la suivante ouvrit la porte de la chambre royale. Il n' y avait jamais mis les pieds, ou bien très longtemps de cela, quand il n'était encore qu'un nourrisson. Si sa mère lui avait demandé de venir la rejoindre dans une pièce aussi personnelle, cela ne signifiait qu'une chose : ce qu'elle avait à lui dire était d'une importance capitale. Théandre n'avait pas la moindre envie d'entendre des paroles qui seraient sans doute difficiles à entendre, mais il ne pouvait pas reculer.

Il trouva sa mère assise devant sa coiffeuse. Elle avait enlevé son corset et s'était enveloppée dans une longue étoffe en soie opaque. Elle se retourna pour regarder Théandre en face, puis lui sourit faiblement.

- Merci d'être venu, Théandre. Adrienne, tu peux disposer.

La suivante s'inclina et referma la porte. Même si ce premier contact était encourageant, Théandre préférait s'attendre au pire. Il restait debout, les mains dans le dos, sans oser ouvrir la bouche. Il n'aurait pas su quoi dire, de toutes façons.

- Je t'en prie, assieds-toi, lui proposa gentiment sa mère en lui montrant le lit.

Théandre s'assit. Elle le regardait fixement, impassible, puis lui sourit à nouveau. Ce sourire était encore plus forcé que le précédent. Elle aussi semblait avoir des difficultés à choisir ses mots.

- Cela faisait longtemps que je voulais te parler. Je n'ai pas eu beaucoup le temps de te voir dernièrement. Voilà pourquoi je te remercie de m'avoir invitée à ton entrainement ; tu m'as donné une bonne occasion de formuler correctement ma pensée.

Le jeune prince baissa la tête en signe d'humilité, heureux que son idée ait touché sa mère. Malheureusement, le spectacle pathétique qu'il avait eu le malheur de lui présenter n'avait pas dû jouer en sa faveur.

- Tu sais, bien évidemment, que c'est moi qui ai tenu à ce que tu reçoives une éducation exemplaire, afin que tu sois prêt le jour où tu devras me succéder. J'ai également demandé à tes précepteurs de me faire un rapport détaillé de ta progression. Pour l'instant, je dois t'avouer que je suis loin d'être satisfaite.

Théandre sentit son estomac se nouer douloureusement. Il se doutait bien, effectivement, que sa mère était sensée tout savoir de lui, mais il ne désirait pas connaitre son avis. Ses craintes venaient de se confirmer. Sa mère dut remarquer son air abattu, car elle se pencha pour l'observer de plus près, en s'efforçant de paraitre moins sévère.

- Dis-moi, Théandre, te tarde-t-il de devenir roi ?

S'il y avait une question que Théandre ne souhaitait pas qu'on lui pose, c'était bien celle-ci. Il se forçait tant bien que mal de soutenir le regard insistant de sa mère. Il y devinait une certaine inquiétude. Pour la mère comme pour le fils, la réponse était évidente. Seulement, Théandre ne pouvait pas se permettre de dire la vérité.

- Bien sûr, mère, répondit Théandre en s'efforçant de sourire. J'ai simplement beaucoup de mal à me concentrer pendant les cours. Mais je ferai des efforts, je vous le promets. Après tout, je n'ai pas le choix.

Théandre regretta amèrement la phrase qu'il venait de prononcer. Il l'avait dite sur le ton de la plaisanterie mais en réalité, c'était la seule chose vraie dans son flot de mensonges. Comme il s'en fut douté, sa mère ne fut pas dupe.

- Tu as raison : tu n'as pas le choix.

Le ton qu'elle avait employé était devenu plus dur. Théandre baissa son regard, comprenant l'avertissement qu'elle voulait lui donner.

La reine observait toujours son fils, attendant une réaction de sa part. Il n'y avait nul besoin d'être un excellent observateur pour se rendre compte que le jeune homme mourait d'envie d'exprimer le fond de sa pensée. Il aurait souhaité pouvoir hurler à l'injustice, supplier sa mère de choisir un autre héritier. Il ne se sentait tout simplement pas capable de devenir roi. Même s'il s'acharnait à apprendre la théorie par cœur, il ne pourrait jamais la mettre en pratique. C'était la seule chose dont il était certain.

Malheureusement, Théandre savait qu'il ne pourrait pas convaincre sa mère. Surtout pas après ce qu'elle venait de lui dire. Il hocha la tête en guise de réponse. La reine se redressa sur sa chaise.

- Tu peux te retirer maintenant, dit-elle d'une voix plus douce.

Théandre s'inclina, puis sortit de la chambre en prenant soin de refermer la porte derrière lui. Lorsqu'il fut absolument certain d'être seul dans le couloir, il s'appuya contre un mur et pleura en silence.

***

Au même moment, la reine Mathilde toussait dans un mouchoir en essayant de faire le moins de bruit possible. Ce n'était vraiment pas simple. Sa gorge était secouée de soubresauts et produisait un raclement infâme. Elle s'était retenue trop longtemps. Tout le temps qu'avait duré l'entretien avec son fils. Il avait été très court, mais apparemment, son corps l'avait jugé trop long.

Une violente douleur au niveau de ses poumons la força à s'agenouiller par terre. Après avoir longuement toussé en espérant calmer cette atroce brulure, la reine sentit un liquide tiède lui remonter dans la bouche. Elle le cracha dans le mouchoir.

Il lui fallut un long moment pour se remettre de tout cela. Elle était maintenant adossée sur le bord du lit, essayant tant bien que mal de reprendre son souffle. La douleur avait disparu mais elle se sentait terriblement faible.

Le mouchoir était resté dans sa main. Elle décida de regarder dedans, tout en se doutant de ce qu'elle risquerait d'y trouver.

Ses craintes furent aussitôt confirmées : une grosse tache de sang maculait le tissu. Elle sentit son cœur se figer. Désormais, c'était certain: il ne lui restait plus beaucoup de temps. Sa seule chance de retarder l'inévitable serait de faire venir un docteur. Mais resterait-il vraiment digne de confiance longtemps dans ce nid de vipères? Les nobles, ses ennemis dans l'ombre, n'attendait qu'une occasion de découvrir ses faiblesses.

Il lui restait encore tant à faire... Pourquoi le sort avait-il décidé de raccourcir son existence à un si mauvais moment?

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