III - Chapitre 3
Dans le palais de la Reine Mathilde, on préparait l’arrivée des prétendantes du Prince. Les serviteurs, les cuisiniers, les majordomes courraient dans tous les sens depuis le petit matin. Une attention particulière était portée sur le Grand Hall. La reine ayant décidé que cette salle serait exclusivement réservée aux grands évènements (et non plus aux doléances de la noblesse comme l’aurait souhaité la tradition), les meubles prenaient la poussière et la crasse s’accumulait entre les dallages. Réaliser en une semaine un nettoyage qui devrait prendre plusieurs mois n’avait rien de simple. Beaucoup de serviteurs avaient été contraints de passer une nuit blanche.
La tâche des cuisiniers n’était pas plus enviable. Certes, seulement vingt-cinq jeunes femmes avaient répondu présentes à l’invitation de la Reine et, en temps normal, vingt-cinq invitées n’aurait pas été un défit trop grand à relever. Mais ces jeunes filles étant des nobles, qui plus est des nobles étrangères, elles ne viendraient pas seules. Elles seraient accompagnées de leurs servantes, de leurs dames de compagnies et de leurs gardes. Il fallait donc prévoir assez de nourriture pour une centaine d’invités, au minimum, dans un délai aussi court que celui du nettoyage du Grand Hall.
Finalement, la seule personne de basse naissance dont le sort était enviable était, comme toujours, Ludwill, qui se contentait d’assister le prince Théandre dans ses choix vestimentaires.
- Celui ci n’est pas trop mal, disait le valet en tendant un pourpoint bleu sombre à Théandre. Il n’est pas trop chargé en broderies contrairement aux autres. C’est dingue… Ils t’en fichent à toutes les sauces. A croire qu’ils les brodent juste pour augmenter la note.
Ludwill ne se préoccupait pas du fait que le couturier responsable de ce vêtement se tenait à moins d’un mètre de lui. Étant en présence d’un Prince, celui ci se forçait à rester silencieux, mais la lueur meurtrière qui brillait dans ses yeux froids se remarquait facilement.
Théandre prit le pourpoint et l’esseya sans trop de conviction. Lorsqu’il se vit dans le miroir, il avait l’impression de voir un étranger, une version de lui même pour laquelle il n’avait que mépris : celle des enfants de haute naissance qui ne juraient que par leur apparence.
D’ordinaire, Théandre se moquait bien de tout cela. Il n’avait aucun complexe à se promener avec une simple chemise devant sa mère et les résident de haut rang du palais. Mais on attendait de lui qu’il fournisse un effort. Après tout, ces jeunes filles venaient de loin et feraient certainement tout ce qui serait en leur pouvoir pour se montrer sous leur meilleur jour. Par respect pour elles, Théandre se devait d’en faire de même.
Toujours était-il qu’il ne comprenait pas l’interet d’une telle mascarade. Il n’avait jamais demandé à se fiancer. Contrairement à la majorité des jeunes gens de son âge et de son rang, il s’agissait de la dernière de ses préoccupations. Mais on le lui avait imposé, comme pour tout le reste, sous prétexte que c’était « dans l’intérêt du royaume de créer des alliances avec nos voisins ». C’était le genre de phrase générique qui signifiait en vérité : « La reine l’a ordonné et ses raisons ne regardent qu’elle ». Alors quitte à lui imposer une fiancée, pourquoi ne la choisirait-elle pas directement, sans faire perdre de temps à qui que ce soit ? Mais non, il fallait toujours tout faire en grand pour étaler son pouvoir…
Remarquant que Théandre prenait à nouveau un air mélancolique, Ludwill se rapprocha de lui pour l’arracher à ses pensées sombres. « Alors ? Qu’en penses-tu ? »
Le prince se redressa, ajusta le vêtement, puis haussa légèrement les épaules. « Ça ira bien. », répondit-il. Il se dirigea ensuite vers le couturier, sortit une bourse remplie de cinquante pièces d’or et la lui tendit.
- Tenez, merci de vous être déplacé d’aussi loin.
Le couturier prit respectueusement les pièces à deux mains. En plus du prix des vêtements, ce généreux pourboire allégerait efficacement les dépenses du voyage de retour. Il salua le prince, rassembla ses affaires, puis partit en lançant un dernier regard méprisant à Ludwill. Ce dernier se contenta de hausser un sourcil.
- Je ne comprends pas pourquoi ta mère à engagé ce type. Ma mère aurait pu faire aussi bien que lui à son travail au théâtre. Elle aurait coûté moins cher et tu ne te serais pas senti obligé de lui régler ses frais de retour.
- Je sais, répondit Théandre tout en ôtant le pourpoint. Mais il paraît que ce couturier là est le plus réputé de son pays. Il a été envoyé comme une sorte de « faveur » par le père d’une des filles qui doit venir demain. Ça aurait été mal vu de le mettre à la porte.
- Si c’est politique, je ne vais pas essayer de trouver une logique derrière cette décision, rétorqua Ludwill tout en haussant les épaules.
Théandre ne pouvait qu’être d’accord. Personne ne prenait de décisions sensées par ici. Il avait renoncé depuis longtemps à essayer de comprendre les vraies motivations derrière les actions des nobles et surtout de sa mère. Il était vrai que ces fiançailles précipitées avaient un caractère préoccupant, mais Theandre n’avait plus envie de protester. Après tout, il s’agissait simplement de rencontrer quelques jeunes femmes, ce qu’il n’avait pas souvent l’occasion de faire, hormis lors de ses descentes secrètes avec Ludwill. Et là encore, il ne s’était jamais rien passé de bien embarrassant.
Tandis qu’il pliait les vètements laissés par le couturier, le valet décida de lancer le sujet qui préoccupait justement le Prince.
- Alors ? Tu sais déjà qui pourrait te plaire ?
Théandre sourit faiblement. Sur son bureau était disposé pèle mêle les gravures envoyées par certaines familles qui faisaient la publicité flatteuse de leur fille. Tous n’avaient pas eu les moyens de le faire. Théandre ne se sentait donc pas capable de faire son choix si tôt.
- C’est difficile à dire, tu sais, répondit-il. Je ne sais pas vraiment à quoi elles ressemblent en réalité. Je ne crois pas qu’on puisse se fier à des gravures.
- Tu en as bien fait faire une de toi, pourtant, fit remarquer Ludwill.
- J’ai essayé d’être honnête, tu le sais bien. C’est le dessinateur qui à suggéré tous ces changements.
- Ah oui, c’est vrai ! Je me serais vexé à ta place.
Théandre eut un petit rire. L’égo de Ludwill étant largement superieur au sien, cela n’aurait pas été étonnant. A un point, le valet avait même suggéré de poser à la place du prince. Dans ce cas, toute la gent féminine noble du Monde Eclairé aurait répondu présente à l’invitation. Même les femmes mariées. Cela aurait rendu les choses bien plus compliquées.
- Quoi qu’il en soit, on verra bien leur vrai visage d’ici une semaine, reprit Théandre. A ce moment là, je pourrai savoir laquelle me plaira ou non.
- Je suis assez curieux de savoir ce que ça donnera aussi, avoua Ludwill avec un sourire lourd de sous-entendus.
Théandre fixa Ludwill d’un air incrédule, espérant que cette remarque resterait une plaisanterie.
- As-tu déjà… euh… séduit une noble ? Se risqua-t-il à demander.
- Pas encore, répondit Ludwill sans se défaire de son large sourire. En général, c’est beaucoup trop risqué mais, qui sait, dans ce chaos de jupons je pourrai peut-être arriver à me faufiler quelque part.
Théandre rougit, puis remis les gravures en tas ordonné, face retournée. La concurrence risquait d’être rude… Mais, de toutes façons, ces rencontres ne seraient que de simples formalités. Rien ne le forçait à faire une semblable démonstration de virilité. Pour le moment, il s’en sentait tout simplement incapable, et pourtant, voici qu’on lui offrait des dizaines de jeunes femmes sur un plateau, qui essayeraient toutes de lui plaire.
La certitude qu’elles ne s’intéresseraient à lui que pour le pouvoir qu’il pourrait lui donner empêchait Théandre de trop se bercer d’illusions. Le lien qui l’unirait à son épouse serait factice. Peut lui importait qu’elle soit belle ou laide, intelligente ou stupide. Il voulait simplement que cette nouvelle déception se passe le plus vite possible.
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