VIII - Chapitre 3
Dans la bibliothèque du palais, Fiona faisait les cent pas, comme elle avait pris l’habitude de le faire lorsqu’elle se retrouvait face à un dilemme. Elle avait bien essayé d’occuper son esprit en emmenant avec elle le précieux codex offert par la reine, mais l’angoisse avait été la plus forte. Sa situation exigeait qu’une décision soit prise, et cela le plus rapidement possible.
A quelques pas de la bibliothèque se trouvait la salle du conseil dans laquelle se déroulait une réunion mensuelle. Tous les nobles devaient y faire acte de présence. Cela signifiait qu’Isilbert d’Ornhac y assisterait. Fiona s’était réjouie de son absence, car il ne pouvait pas venir lui parler au nom du Haut Prêtre de l’Ordre Céleste, pas plus qu’elle ne pouvait l’aborder pour demander une nouvelle rencontre. Mais maintenant qu’il était de passage au palais, la jeune duchesse n’avait plus aucune excuse pour repousser la faveur qu’elle avait proposé à son fiancé.
Le prince et la jeune duchesse avaient multiplié leurs promenades dans les jardins aquatiques. Assis dans les recoins feuillus et ombragés, à l’abri des regards, Théandre se sentait libre de décrire ses visions en détail. Même s’il ne parvenait pas toujours à trouver les bons mots, Fiona faisait de son mieux pour les garder en mémoire tout en formant un ensemble cohérent qu’elle pourrait retranscrire au Haut Prêtre.
Les confidences de Théandre se clôturaient souvent sur de nouveaux baisers, de plus en plus profonds au fur et a mesure que les deux fiancés s’habituaient l’un à l’autre. Fiona avait d’abord été surprise par la tendresse hâtive du jeune homme, mais y elle avait rapidement pris goût. Se retrouver dans ses bras lui faisait l’effet de s’échapper hors du temps et du monde, n’ayant que la douceur de sa voix et la chaleur de son corps pour toutes sensations.
Cependant, la jeune femme se sentait coupable de ne pas ressentir une passion suffisamment forte à l’égard de Théandre. Elle avait beau se répéter qu’un mariage était avant tout une transaction politique et financière, il était tout de même décevant de constater qu’elle n’éprouvait pas davantage qu’une grande affection pour celui qui partagerait sa vie. Cela restait préférable au mépris ou à la haine, néanmoins…
De la même façon, Fiona regrettait amèrement d’avoir proposé son aide au prince. Déterminée à s’en faire un ami, elle avait agi de façon impulsive, ne réflechissant qu’à posteriori aux conséquences qu’une nouvelle rencontre avec Valrand pourrait avoir sur sa relation avec la reine. La jeune femme avait réussi à gagner la confiance de la famille royale, mais à quel prix ? Aider Théandre à percer le mystère de ses visions revenait à trahir la reine, et le laisser seul face à ses doutes reviendrait à ne pas tenir sa promesse. Les mots de Mathilde lui revinrent en mémoire : « Si vous aimez Théandre, montrez-le lui. ». Ce qu’elle ressentait pour son fiancé n’était pas de l’amour, mais il lui inspirait bien trop de tendresse pour envisager de l’abandonner.
Si elle avait réussi à garder ses secrets pour elle lors de sa première visite au Temple, il n’y avait aucune raison pour qu’elle n’y parvienne pas lors de la prochaine, même si elle avait pris soin auparavant d’écourter sa discussion. Celle qui suivrait serait sans doute plus longue et Fiona s’inquiétait d’en savoir si peu sur le Haut Prêtre, ne connaissant que les rumeurs qui circulaient sur son compte.
Si son père le tenait en très haute estime, ses détracteurs, dont faisaient partie la reine et certains de ses précepteurs, n’hésitaient pas à le dépeindre comme un tyran en devenir, prêt à toutes les bassesses pour arriver à ses fins. Ces descriptions aussi extrêmes que contradictoires n’aidaient pas la jeune femme à se faire une idée nette du personnage. Dans le doute, il valait mieux choisir la méfiance, mais elle n’aimait pas non plus rejoindre aveuglément l’opinion d’autres personnes.
Au loin, le son d’une dizaine de voix masculines résonnait soudain. Fiona se figea. La séance était déjà terminée ? Elle avait pris trop de temps à réfléchir avant de prendre une décision, qu’elle devait maintenant prendre à la hâte… Elle expira un long souffle d’air, espérant évacuer son angoisse qui la clouait désespérément sur place.
Lorsqu’elle se sentit prête, la jeune duchesse quitta la bibliothèque, puis attendit dans le couloir l’apparition du groupe de nobles. Le Seigneur Isilbert l’avait attendue à cet endroit lors de leur première rencontre. S’il avait quelque chose à lui dire, il repasserait certainement par ici. Au bout de longues minutes d’attente, Fiona aperçut une chevelure rousse familière au milieu de celles, plus sombres, des autres conseillers. Il s’agissait de trois autres hommes, qu’elle reconnaissait comme étant fidèles à Valrand. L’un d’entre eux avait été présent lorsqu’on lui avait annoncé ses fiançailles avec le prince. Il s’était d’ailleurs montré particulièrement antipathique à son égard, suggérant que toutes les femmes étaient des traîtresses, et qu’elle ne ferait pas exception.
Passant outre son inconfort, Fiona s’avança vers le groupe, la tête haute et le pas décidé. Elle aurait opté pour une approche plus discrète si le Seigneur Isilbert avait été entouré de nobles loyaux envers Mathilde, mais ici, elle n’avait pas besoin de cacher ses intentions. Si Valrand tenait vraiment à se rapprocher du prince, quel intérêt auraient ses hommes de divulguer son plan ?
- Seigneur Isilbert ?
Le porte parole du Haut Pretre tourna la tète, puis offrit un large sourire à la jeune duchesse avant de s’incliner : « Mademoiselle ! C’est un plaisir de vous voir ici. Que puis-je pour vous ? »
- J’aimerais m’entretenir avec vous, si vous le voulez bien. En privé.
Fiona insista sur ce dernier mot, soutenant le regard de défi sur le conseiller antipathique, qui ne se gênait pas d’afficher son dégoût et son mépris. « Bon sang, quel est donc son probleme ?! »
- Bien sûr ! Accepta le Seigneur Isilbert en prenant congé de ses confrères. Messieurs, nous nous reverrons au Temple. Que le Ciel vous garde.
Une fois qu’ils se furent tous inclinés, les fidèles de Valrand s’éloignèrent, laissant son porte parole seul avec la duchesse. Lorsqu’ils furent bien hors de vue, Fiona se sentit libre de prendre la parole, faisant de son mieux pour ne pas montrer son hésitation grandissante. Elle refusait catégoriquement de passer pour une ingénue facilement manipulable, et cela même si elle ne se trouvait pas dans une position de force. La jeune femme énonça donc clairement son intention de rencontrer à nouveau le Haut Pretre de l’Ordre Céleste, précisant que cette demande provenait de son Altesse le Prince Théandre. Le Seigneur Isilbert en fut agréablement étonné et lui proposa un rendez vous pour le lendemain, affirmant que cet échange serait de la première importance. A contrecoeur, Fiona accepta. Il lui aurait fallu davantage de temps pour s’y préparer… Une fois encore, elle serait tenue éveillée toute la nuit par son esprit en panique.
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