[ pɥi vɛ̃ lə vɛʁbə ki aksjɔna lɛspʁi. ]

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[aɲɔʁan]

— Agnoran ?
Que fait-il, cet ahuri ? On le trace comme un animal ! Jamais rien vu de tel : on ne saurait dire s’il est habité ou possédé... Rien qu'à le regarder,
— Hey, Agnoran ?
— Chut ! Laisse-moi réfléchir !
Rien qu’à le regarder, on porte le poids du monde avec lui ! Et les autres qui tiennent plus en place… Ça râlait moins tout à l'heure, quand ils étaient certains d’avoir tiré le gros lot... quand leurs faces s’illuminaient, regards rivés sur la traîne de météore ! Sûr qu’il y avait du chien-fou pour hurler au vent et glisser bille en tête, voile tendue droit sur la zone d’impact ! Ah, pour se pavaner sourire aux yeux à l’augure du gain facile, il y a du monde ! Du brave guette-signe aux aguets bien déterminé à refourguer quelques chondres carbonés sur les marchés ! Mais là, par contre, là, devant une distribution improbable, y a plus un aspirant pour extrapoler la voie la plus logique ! Elle est belle la communauté des non-signés, tiens ! Par la Dualité ! Il a fallu qu’on converge droit sur cet engin et cet… être ! Comment un étranger a-t-il pu atterrir sur Probo ? Y a-t-il seulement déjà eut un étranger parmi les Mort-nés depuis que la communauté existe ? Pas que je sache… Comment est-ce possible ? Comment le Grand Dissipateur a-t-il pu l’autoriser ? Mais regarde-le... il n’ira pas loin de toute façon. Sa voie s’arrête certainement ici, et le Grand Dissipateur l’a toujours su. C’est évident. Et pourtant ? Sur l’autel des possibles, sa présence, ici et maintenant, signe l'avènement d’un grand désordre... Et ça n’a pas échappé aux autres ; ça nous a tous calmé même. Un étranger sur Probo ! Que j’ai été stupide ! Non. Tu as été cupide ! Et la cupidité obscurcit le jugement. T’as ignoré les signes, Agnoran ! Non. Père dirait que seuls les signes possèdent le pouvoir de nous ignorer. C'est ça. Je suis là où je suis censée être... À la bonne place. Ma place. Notre place. Ici et maintenant, instruments dé-signés. Observateurs effacés, filles et fils libres de nos actes, guides de leurs actes, bergers invisibles du troupeau dispersé bla-bla-bla… ouais… le laïus des Pères. Mais ! Regarde ça ? Cet être ? C’est donc ça, nos brebis égarées ? Ça, le visage du troupeau prodige ? Ce pantin halluciné ? Qui progresse d’instinct pouah ! au sud, dos aux soleils, comme un… attardé, un mal-né ? Qui arpente six longues heures les marais salins, paumé, tête ferme dirigée droit vers l’improbabilité ? Lui, signe d'un événement quelconque ? Qui se repose sur le dos d’un carouble, incapable d’entrevoir le survisible ? Et la clair-nuit qui tombe, l’innocent ! Il ne s’en sortira pas, l’abruti… Ignorer, simplement ignorer. Ignorer les conséquences et m’éclipser. Je ne suis qu’un instrument dé-signé. Je ne compte pas. L'étranger ne me concerne pas, pas ici sur Probo. Ne pas me sentir responsable, personne n’est responsable. Pourquoi gamberger ? Oublie ! Tu gagnes quoi à jouer les guette-signe, à le regarder s'emmêler le fil, attendre qu’il se rompe, et le voir crever ? Rien. Foutus signes ! Faut que j’intervienne. On ne va pas le regarder se faire empaler bien gentiment ? Et pourtant, SI ! T’es qui pour intervenir ? Personne. Tu te crois capable de déchiffrer ta voie, comme ça, d’un vague signe dans l’horizon ? Tu te crois capable d’extrapoler mieux que les autres, c’est ça ? Mieux que le Grand Dissipateur ? Tu te crois destinée à accomplir de grandes choses ? À jouer un rôle signé ? C'est pourtant bien le cas : tu ne serais pas là, sinon ! Cenodoxia ! Ferme ta grande gueule d’idiote ! Ils te traiteront d’égolâtre... et tu seras la risée de tous ! Je ne peux pas intervenir, non. Regarde-les. Eux s'en foutent ! Eux ne doutent pas ! Ils sont déjà partis : à penser à leurs femmes, leurs gosses, nos rites et à la prochaine distribution d'événements... Oublie. Laisse filer ! Cet étranger n’est qu’un grain de sable battu contre les récifs par les vagues du temps. Ignore le. Il ne sera plus là, demain. Souffle ! Efface ! File ! Tu n’es pas responsable de lui ! Regarde-les autres qui scrutent de l’œil-aveugle : ils classent l'événement négligeable et passent à la suite. Ils ne sont déjà loin. Eux sont plus mûrs, plus sages. Tu n’es qu'une gamine à leurs yeux ! Ils ont raison : c'est la Loi. Ça a toujours été la Loi. Ce sera toujours la Loi. Et pourtant, nous sommes tombés sur lui, et la voie qui mène aux signes ne peut être ignorée, même en ces lieux dé-signés ! Et Tiriam qui s’impatiente... Il a hâte. Il va contester. Par ses gestes, il conteste déjà. Il ne peut, non, il ne veut pas comprendre. Le rituel du solstice débute ce soir. Un signe, là aussi ! Il débute ce soir, et il n’aspire qu’à rejoindre les nôtres, à s’abandonner à la frénésie, à rester en dehors des évènements. Toi aussi. Non. Pas moi. Je serai forte. Je serai signe. Je suivrai la voie ouverte. Je…
— Agnoran ! Que fait-on ici ? Agnoran ! Réponds-moi !
Rétracte ta lunette, fais-lui face, ne te dégonfles pas, tu as lu le signe.
— Nous guettons les signes, Tiriam. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre !
— Ce n’est qu’un étranger, nous ne sommes pas liés à la voie des étrangers ! Nous n’avons pas à interférer sans ordre. Probo est dé-signé. Nous sommes dé-signés. C'est la Loi !
Ne pas frémir. Ne pas hésiter.
— Tout est lié, Tiriam ! Au-delà de Probo, au-delà de la Loi ! Nos voies se sont croisées ! Tu as lu, tu l’as survu, comme moi, comme nous tous. Aussi improbable que cela puisse paraître, l’étranger est ici, sur Probo, sur ma voie. Il y a une chance pour que ce signe me soit destiné !
— Me soit destiné ? Au-delà de la Loi ? As-tu donc pris du grade depuis que nous sommes partis au premier levé ? Le Sanctuaire t’a t-il donc élue Grande Dissipatrice sans que je le sache ? Tu bouillonnes comme une enfant devant ses premières neiges ! Que crois-tu avoir interprété, seule, sans extrapolateur ? Agnoran, je te le dis, et je le répèterai devant ton père sans sciller, tu t’égares. Tu prends tes rêvasseries pour des réalités ! Tu n’es qu’un instrument dé-signé, une Mort-née ! Garde bien cette donnée en tête ! Regagne ton égo !
— Non. Je sais ce que j’ai lu. Toi tu t'égares ! Et tu cherches à nous entraîner avec toi ! Les événements m’ont mené ici et maintenant. Je reste ! J’assume la voie qui se présente. Nous sommes des guette-signe ! Je respecte la Loi ! Respecte mon interprétation !
Souffle, crache, Tiriam ! Ce n'est pas qu’un caprice de gamine ! Les évènements me donneront raison ! La colère déforme ton regard. Tu n’es pas beau quand tu t’emportes comme ça... Tu le sais. Tes yeux fuient, de biais. Les autres savent aussi à présent. Il a tort. Ne lui laisse pas le temps de se recentrer. Affirme-toi, maintenant !
— Nous attendrons la clair-nuit ! Si l’étranger survit, le signe sera confirmé et nous interviendrons. Sinon, nous passerons notre route. Je prends mes responsabilités !
Par la Dualité, je ne peux pas me tromper…

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