Chapitre XI

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« J’te propose un truc. Honnêtement, il y a peu de chances qu'on retrouve le gars qui a tué ton pote. Mais j’ai quelque chose de bien plus grand à te proposer. De bien plus ambitieux qu’une simple vengeance à coup de couteau. D'ailleurs, enlève ta main d’ton papillon, on dirait qu’tu veux m’agresser ». Alex s'empressa de sortir sa main, l’air gêné, et surtout déstabilisé. Comment avait-il deviné ?

« Merci bien. Donc, est-ce que tu me croirais si je te disais que je compte tuer tous les easabs de la Ville ? Tu me répondrais sûrement que c’est impossible et que j’ai les couilles plus grosses que les yeux. Je te réponds que non seulement c’est possible, mais que je compte bien y arriver. »

L'adolescent avait du mal à comprendre tout ce que disait l’étrange personnage. Mais l'idée de tuer tous les easabs le fît sourire, même si cela relevait plus du miracle qu'autre chose. Il voulut lever la main, vieux réflexe d’écolier, puis se ravisa et prit la parole avec une pseudo-assurance : « Comment ? » Deagle haussa la voix et dit avec un enthousiasme démesuré : « VOILÀ ! Enfin quelqu'un qui est curieux ! Enfin quelqu'un qui ne se braque pas dès qu'il entend quelque chose d'invraisemblable ! T’iras loin toi ! »

Alex s’adossa au mur de la ruelle et Deagle se mit en face de lui, sans toucher le béton pour ne pas salir sa chemise blanc immaculé. Le soleil continuait de se lever, réfléchissant sur les lunettes du collecteur alors que l'adolescent l’observait et l'écoutait avec attention, essayant tant bien que mal de suivre son raisonnement. L'homme reprit la parole, heureux d'avoir éveillé l'attention du jeune. Il parlait en faisant de grands gestes pour appuyer ses propos :

« Jackouille a au moins raison sur un point. On ne peut pas tous les tuer d'un seul coup. Buter presque 2 millions de personnes, ça ne se fait pas comme ça, surtout tout seul. Ce qu'il faut faire, c'est les empêcher de s'équiper. Les trois gangs sont fournis en armes par un type qui s'appelle "Le Chacal". Un gars qui achète d'énormes quantités d'armes aux pays africains qui sont en guerre. Tu sais là-bas, les guerres, ça va ça vient. Un dictateur prend le pouvoir, des groupes de rebelles se créent un peu partout dans le pays. Nous, les pays Il fit des guillemets avec ses doigts "civilisés", on envoie des milliers d'armes aux rebelles pour qu'ils puissent se défendre, puis on attend qu'ils renversent le pouvoir, ou qu'ils se fassent tuer et on recommence le cycle. Sans parler des guerres de territoires pour l'eau, les matériaux ou même l'or noir. Et les armes, une fois qu'ils n'en ont plus besoin, ils en font quoi ? Ils les vendent pour trois fois rien au Chacal qui les revend ici ou dans d'autres pays pour créer de nouvelles guerres. »

Deagle venait, en seulement quelques phrases, d’expliquer à l’adolescent comment arrivaient les armes des easabs. Non seulement Alex n'avait plus peur, mais il était impressionné et admiratif devant autant de savoir et de connaissances. Il voyait en Deagle une sorte de Joe, en plus jeune et surtout plus charismatique. Avec quelques phrases, cet homme était passé du statut de Monstre à celui de professeur ou de guide dans le cœur de l'adolescent. Il avait bu ses paroles, et ne pouvait attendre plus longtemps pour avoir la suite : « Donc, ton objectif, c'est tuer Le Chacal ? »

« Bien sûr que non ! Nôtre il accentua le mot, objectif, c'est de l'empêcher de livrer dans la Ville. Ce type-là c'est un fantôme, une ombre tout au plus. Il bouge en permanence, il est inlocalisable. Même si ce serait surement possible de le trouver, si le gouvernement me prenait au sérieux et me donnait plus de moyens. Mais là, j'ai juste le droit à un beau paquet d'armes et d'explosifs en tout genre. »

Il sortit de derrière lui une arme d'une taille imposante, presque surréaliste. Un pistolet chromé, un modèle qu'Alex n'avait jamais vu auparavant. « Un bijou fait sur mesure pour moi par l’armée ! Un pistolet ressemblant à un Desert Eagle, en plus gros et avec un calibre unique ! 3 kilos de pure merveille ! Précis, rapide et surtout puissant ! »

Deagle tenait l'arme avec facilité et agilité, comme si ce n’était qu’une extension de son propre corps. Il la regardait avec amour, de façon presque exagérée. On sentait qu'il en était fier et qu'il aurait pu en parler pendant des heures. « Mais une démonstration est mieux qu'un long discours n'est-ce pas ? »

L'adolescent hocha la tête, sans vraiment savoir à quoi s'attendre. Les armes à feu ne l'intéressaient pas plus que ça, pour lui ce n'était qu'un objet inutile dont les gangsters ne pouvaient se passer. Après tout, si on veut tuer un Homme, il y a déjà une infinité de possibilités pour le faire. Pas besoin de toute une technologie complexe pour cela. Quelque chose de tranchant, un poison ou même simplement à mains nues. Sans parler du fait que les hurlements de ces bêtes d'acier remplaçaient le rôle de comptine depuis sa plus tendre enfance, le réveillant régulièrement.

Deagle prit son arme à deux mains et la leva en visant l'HLM qui se trouvait juste en face de la ruelle.

Il ferma l'œil gauche, puis calma sa respiration, qui était devenue plus silencieuse que celle d'un mort. Pas un bruit. Ils entendirent un cri au loin, probablement à quelques pâtés d'immeubles, rien d'alarmant. L'adolescent regardait la scène et se boucha les oreilles avec ses mains. Le collecteur avait l'œil en face du guidon, parfaitement aligné avec la hausse. Les deux mains sur la poignée, un doigt sur la queue de détente.

Alex commençait à trouver le temps long quand un bruit perçant vint pénétrer ses tympans, pourtant bien à l'abri. Un mélange entre un éclair et une explosion, peut-être les deux à la fois. Il n'avait jamais entendu un son aussi destructeur... À vrai dire si, il l’avait déjà entendu, mais impossible de se rappeler où. Le tumulte s'arrêta aussi vite qu'il avait commencé, aussi court que n'importe quelle arme à feu, mais beaucoup plus fort. Le son résonna dans les rues pendant une bonne dizaine de secondes, comme si la Ville entière avait pu profiter du spectacle sonore. Par reflex, Alex avait fermé les yeux aussi forts que possible. Il les rouvrit timidement comme un animal apeuré, l'air de dire : « C'est fini ? »

La vision était la même, Deagle tenant fièrement l'arme. La lourde culasse se remit en place après avoir éjecté une douille presque aussi grosse qu'un pouce. Elle tomba sur le sol en produisant un bruit métallique avant d’effectuer quelques rebonds puis de s’arrêter. La légère fumée qu'avait causée le coup se dissipa très rapidement, en partie dans les narines du collecteur qui prit une grande inspiration, remplissant ses poumons de toutes sortes de produits chimiques mélangés à une petite quantité d'air avant d'expirer longuement.

Un sourire de satisfaction se dessina sur le visage du tireur. Il garda la bête levée quelques secondes puis la baissa doucement. Les yeux d'Alex s'écarquillèrent quand ils aperçurent le résultat improbable de ce court spectacle.

L'impact était d'une taille irréaliste. Un enfoncement était apparu dans le mur de béton, plus gros qu'un poing ou même qu'une balle de football. Des fissures s’étaient également créées, certaines de plusieurs mètres en partant de l’épicentre de cette puissance. Quelques cris se firent entendre dans les immeubles avoisinants. Les habitants étaient habitués aux coups de feu, mais pas à un déchainement des enfers.

Le collecteur garda son air fier, remit son arme entre son dos et son pantalon avant de se tourner d'un quart pour continuer sa conversation après cette prestation inattendue : « Voilà le genre de petits bijoux que le gouvernement peut nous fabriquer... par contre pour augmenter nos salaires, là, il n'y a plus personne ... ». Alex était à la fois choqué et légèrement admiratif. « Comment a-t-il fait pour ne pas se briser le poignet ? » se disait-il. Cet homme n’avait définitivement pas volé son statut de monstre.

« Je crois que je me suis un petit peu emballé. Désolé si je suis, légèrement, parti en hors-sujet. Pour revenir à nos couillons, le Chacal doit amener une dizaine de camions pleins à craquer de jouets ce dimanche. Il vient tous les mois, je surveille à chaque fois. Il va arriver par le nord, par un petit chemin qui traverse la forêt. Comme ça il peut aller dans les trois quartiers de la Ville. C'est là qu'on doit attaquer !

— Mais, si tu sais tout ça, pourquoi tu ne l'as pas déjà fait ?»

L'homme à la crête blanche, pour la première fois, n'avait pas de réponse immédiate. Il dut chercher ses mots un court instant, avant de répondre : « Déjà c’est parce que ce ne sera que la première étape de mon plan. Et je ne l’ai pas encore complètement terminé, donc je ne dois pas mettre la charrue avant les bœufs. Puis, c'est toujours mieux d'avoir quelqu'un qui me suit dans ma folie ! »

Il ne laissa pas le temps à l'ado de répondre et enchaîna : « C'est simple, on doit juste poser des explosifs tout le long du chemin, et quand les camions passent : BOOM ! Il accentua son onomatopée par un grand geste avec ses mains. Ce sera la première étape d'un projet bien plus important que tout ce que cette putain de Ville a pu connaître jusqu'à maintenant ! Il ajouta avec un accent espagnol assez pitoyable, presque parodique : "La revolución !" »

L'adolescent attendit quelques instants pour être sûr que Deagle avait fini, puis dit timidement : « Mais même s'ils n'ont plus de nouvelles armes, ils auront encore les anciennes. Et de plus, il faudra toujours tuer au moins un million et demi de personnes. »

Le collecteur haussa les épaules et soupira : « Chaque chose en son temps p'tit. J'trouverai bien une idée à un moment ou à un autre. Déjà, la livraison de dimanche. J'te propose qu'on se rejoigne dimanche matin, j'amènerai tous les explosifs et on ira les placer avant de s’installer pour regarder le spectacle. »

Alex avait l'impression d'être un agent secret, ou bien un soldat quand le collecteur dit cela. Lui qui était venu pour venger son ami, Deagle lui avait mis en tête de tuer les millions de pourritures qui arpentaient cette Ville. Après tout, pourquoi faire dans la demi-mesure ? Il hocha la tête et l'adulte reprit la parole : « Et bien à dimanche Alex ! » Il rit doucement puis disparut au bout de la ruelle.

Alex réalisa qu'ils ne s'étaient pas donné d'endroit pour le rendez-vous. Il songea d'abord à lui courir après, mais il abandonna vite cette idée. Il devait se comporter comme un homme maintenant et un homme sait se débrouiller tout seul. S'il avait été capable de vivre dans la Ville des enfers pendant seize ans, il était bien capable de retrouver Cerbère.

Malgré tout, il commença à se poser des questions. Maintenant que la passion contagieuse de Deagle était passée, il voyait la vérité : C'était extrêmement dangereux. Détruire plusieurs camions en mouvement remplis de gardes armés, ça a l’air simple quand on le dit, mais l’histoire est toujours différente sur le terrain. Qui plus est, l'adolescent n'avait jamais tué qui que ce soit. Ce n'était pas un tueur, ni un aventurier. Il n'était même jamais sorti réellement de la Ville, si ce n'était pour l'enterrement d'Ivan dans le cimetière qui se trouvait à la limite.

Plus il pensait au plan de Deagle, plus il se disait que c'était de la folie pure. Cette folie, Deagle l'avait en permanence. Cela se voyait dans ses yeux. Cette petite flamme qui brûlait tel un phare au milieu d'une nuit d'évidence. On sentait qu'il aurait pu faire exploser une Ville entière juste parce que cela lui semblait être une bonne idée. Et le pire, c'est que des gens auraient été capables de le suivre rien qu'en entendant ses discours passionnés. Ils pourraient très bien sauter d'un pont sur sa simple demande, sans trop se poser de questions. Ce genre de pouvoir était très dangereux. Il avait causé les plus terribles guerres de l’histoire, détruits des bâtiments millénaires et massacré des populations. Mais il avait aussi provoqué les plus grandes découvertes et c’était grâce à lui que de nombreux exploits avaient été réalisés.

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