Chapitre 2 - Le Nectar

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“Agent Elle Canna’Ann. Matricule 662. Sujet âgé de dix ans et deux mois. Interrogatoire à effectuer dans les 72h de garde à vue. En date du 1er janvier 2079.”

L’orbe ordinateur noir Hal 9000 se met à tournoyer. Mon compte rendu à été concis. Le fugitif s'est rendu de lui-même. L’arrestation la plus rapide de ma carrière. Le fuyard est âgé de dix ans. C'est sans précédent. Fait historique qui restera dans les secrets des souterrains pénitentiaires de la bordure de Babylone, en dessous de notre QG de police. Car oui, il sera incarcéré, et avec tous les autres...

Hal 9000 enregistre mon rapport. Il cesse de tournoyer lorsque tout a été validé par la hiérarchie reliée à son système d'enregistrement des données. Il filtre les mots clés. Et eux organisent le tout. “Rapport enregistré. Agent Elle Canna’Ann, matricule 662. Fin de service.”

Je me lève et me prépare à rentrer chez moi.

Je traverse les couloirs blancs de la B.P.D. Peu de mouvement à cette heure. Je tourne à droite pour me diriger vers le vestiaire.

“Hey Elle !”

Je me retourne. Thompson.

“Bon boulot ce soir.” Son gros bide craque presque sa chemise d’uniforme bleu marine. Son imperméable noir doit être du XXXXL. “Je tenais à te le dire.

  • Merci.
  • Une seule arrestation des fois, ça fait du bien. On a eu une semaine assez chargée comme ça. Puis un putain de gamin, tu peux croire ça ?” Son café bouillant à la main, il se rapproche de moi. J’aurais dû marcher plus vite vers le vestiaire bon sang...

“Je repensais à ce que disait ton vieux. La grandeur et la décadence. Et tu as peut-être raison. Si les parents de ce gamin lui avaient fourni les injections de Nectar, il serait pas là.

  • Il deviendra quoi le gamin ? On a aucun mineur en détention, c’est sans précédent.
  • On a un foyer pour orphelin le long du mur. Mais c’est certain qu’il devra cohabiter avec les détenus majeurs le temps d’y être affecté. Aucun n’est là pour crime tu le sais bien. Tous les détenus en bas sont comme lui : des boîtes. Tu connais la Loi de la Tour ma belle ! Pas de Nectar, c’est l’hérésie. La voilà ta grandeur Babylonienne !
  • Bonsoir Thompson.
  • Hey attends, dis-moi.
  • Quoi ?
  • Tu sais que...t’es plutôt pas mal pour une Noire.
  • Bonsoir Thompson.”

Imbécile. Je me retourne et entend son rire salace en m’éloignant.

Au vestiaire je retire mon ceinturon, mon imperméable et rends mon Sig 49. Je m'assieds sur le banc du vestiaire. 6h52. Le service pénitentiaire dans les sous-sols et les services de police ont déjà commencé. Moi, je rentre chez moi. Mon boulot est terminé. La nuit a été plus calme que prévue mais tout de même, me voilà bien fatiguée. Ce gamin… Je me lève..

Je sors sur le parking enneigé, enfile mon casque et chevauche ma Kawazaki ZZR 250 Spin jaune vive. Comme la Peugeot, les deux roues se rangent dans le mécanisme et une lumière violette s’allume en mettant le contact. Des couleurs étincelante se joignant à la veilleuse Babylone, au loin, brillantes de mille feux, comme à son habitude. Je lève la tête avant de jeter un dernier coup derrière moi : la pyramide d’un blanc immaculé de la B.P.D. m’a toujours inspiré l’émotion. Papa m’a refilé son patriotisme. Merci à lui, autrement je ne serais qu’une âme perdue comme celle d’un Thompson.. Ma belle et grande Babylone.

Plus haut dans le ciel, éclairant la Tour, une lueur pâle peine à traverser la masse nuageuse et le voile de neige pour éclairer cette nouvelle journée. Ce gosse… J’enfile mon casque et me dirige vers un endroit qui me fera oublier ce môme.

Je traverse les bois à vitesse grand V, jusqu’à l’entrée de la ville, et les premières grandes rues : Wall Street et sa belle Marilyn, passant par le quartier Japonais et ses reproductions cyberpunk de l’univers Shirow. Des jeunes sont déjà dehors à essayer d’attraper un des cyborgs projeté par les Ambre 3001. Je fonce au travers d’un des hologrammes robotiques, la poussière numérique s’accrochant pendant un instant sur mon imperméable et mon casque noir. Puis, un peu plus loin, je ralentis.

Je suis arrivée.

Les lumières rouges et roses du club me choquent la rétine lorsque je retire la visière. Au-dessus de la mégapole, la Tour Blanche me toise de tout son long. Quelle merveille… J’entre à l’intérieur. Personne à cette heure-ci. Voilà pourquoi j’aime travailler de nuit. Je suis la première à m’injecter le…

“Bien le bonjour mademoiselle.”

Une voix suave, langoureuse et féminine. Je tourne la tête, le casque en main, et tombe nez à nez avec Lucy, hologramme au physique de Scarlett Johansson. Comme un vieux réflexe mon regard passe de sa merveilleuse plastique au projecteur portatif au coin de la pièce. Un Ambre 3003 cette fois. Pour une expérience plus vraie que nature. Une robe noire, les cheveux blonds en légères boucles attachées en un chignon parfait et des lèvres épaisses, comme dans ses meilleurs rôles. Après les cyborgs de Shirow dans la rue j’aurais dû m’en douter. “Oh, c’est vous, Elle ? Laissez-moi vous débarrasser.” Elle me prend mes protections et me désigne une capsule, dans laquelle je me pose. Je sens peu à peu la pression de la nuit retomber à mesure que mon rythme cardiaque ralentit. Le club est sombre, comme d’habitude, le bar, là-bas est un leurre. Aucune boisson, aucun barman, juste le fameux nect…

“Vous voilà à l’aise ? Quelle dose prendrez-vous aujourd’hui ?” Elle se baisse et m'apporte un plateau (rendu quasi réel grâce aux projecteurs) rempli de liqueur rose, bleue, violette, jaune, et d’autres couleur indéfinissable.

“Je prendrai celle-ci.

  • Sage décision.”

Ferme-la, Scarlett, donne-moi ma dose.

Ca y est. C’est reparti. Encore. Mon moment, mon instant. Celui que je partage avec un milliard d’individus. Ce qui nous lie tous, ce qui nous rapproche. Ce qui nous apaise. Vite, la capsule se ferme, hermétique à tout. Je m’enferme dans ma bulle, saisit la seringue qui vient d’apparaître sur un plateau d’argent. Un bleu pure et intense la remplit. Je serre le poing afin de faire apparaître mes veines et j’infiltre l'aiguille dans mon avant-bras. Lentement le Nectar bleu s’injecte dans mes veines. Le Saint Graal se mêle à mon sang. Un bleu profond qui, rapidement, me fait fermer les paupières. Un bleu qui me mène aux confins de mon moi. Un bleu de...Nectar

J’ouvre les yeux. Je me lève. Je me retourne et me voit là, couchée sur la banquette pourpre de la capsule. Je me sens légère. En vie. Le Nectar. Il flotte tout autour de moi. Cinquante-cinq miligrammes injecté. Parfait. Mon seuil de tolérance a augmenté mais telle que je me sens maintenant, je ne m’en soucie guère. Tout semble se dérouler au ralenti. Chaque mouvement, chaque son, chaque...là, une berceuse. Douce et attentive à mes mouvements. Je vois une vingtaine d’autre capsule après la mienne, toutes parfaitement alignées. Je me retourne et je la vois. Lucy. Scarlett. Elle s’avance vers moi avec un costume cette fois différent. Je sens l’Ambre 3003 se caler sur ma fréquence cardiaque et sur les vibrations du Nectar. Tout se synchronise et se déroule comme dans un rêve. Selon mes désirs intérieurs. Alors Lucy se penche vers moi, lentement. Mon rythme cardiaque augmente encore, jusqu’à ce que ses lèvres plantureuses touchent les miennes. Un Paradis me touche les lèvres. L’excitation monte en moi mais je recule. Son sourire me rend fébrile. Peu importe, je reviendrai. Cinquante-cinq miligrammes me permettent de déambuler au moins quinze minutes. Je sors du salon pour me retrouver dehors, dans la rue. Tout se déroule lentement. Je ne marche pas mais je vole à trois centimètres du sol. La neige passe à travers moi, comme si je n’existais pas. Je ressens un millier, un million de chaleurs différentes. Telles des lucioles elles me traversent. Le Nectar ne fait que commencer son oeuvre. Très vite je m’éloigne du sol, je monte vers les buildings. Tout est immense, tout est merveilleux. Je monte plus haut jusqu’à voir cette marée de lumières infinies que représente Babylone. Ma ville. Ma cité. Ma vie. La grandeur et la profondeur des reliefs de chaque building, de chaque bâtiment, je ressens tout ceci jusqu’à ce que mon âme en pleure… Je monte encore plus haut jusqu’aux plus hauts bâtiments. Empire State Building. Dame de Fer. La mer de lumière s’éloigne et je monte encore plus haut jusqu’à la Tour. Elle grandit à mesure que je monte. Puis, lorsque j’en viens à bout, une lumière blanche m’aveugle.

La grandeur du Nectar…

J’ouvre les yeux à mesure que la lumière baisse. Je me trouve dans un lit en pleine acte sexuel avec Lucy. Elle m’accepte. Elle me voit telle que je suis. Elle me comprend. Oui. Mon fantasme me comprend. Le noir de ma couleur de peau se mêle à la sienne. Nous ne faisons qu’un dans un acte fougueux et symbolique. A chaque baiser un plaisir intense me réchauffe. A chaque caresse une tempête d’émotion dévaste mon âme. Pourtant, mon corps en redemande. Et à chaque fois que j’en redemande, la vapeur bleue du Nectar brouille ma vue. Encore. Encore. La berceuse se change en une symphonie de plaisir. Les cinquante-cinq miligrammes de Nectar me font toucher du doigts le plaisir ultime. Le Paradis. La grandeur de mes plus belles sensations, de mes plus beaux souvenirs, de mon plus grand plaisir. Le Nectar me renvoie à tout ces moments de mon existence qui m’ont fait me sentir aussi bien que cet acte passionnel et torride. Les draps du lit semblent en apesanteur. Se mêlant au bleu du Nectar.

Jusqu’à la jouissance de l’esprit.

Non pas sexuelle mais la tranquillité d’un esprit qui aurait vécu un milliard d'années de plaisir sans aucun relâchement.

Le paroxysme de ce que le Nectar nous offre à tous. Mes fantasmes, mes envies, tout est passé à une vitesse effarante car déjà je chute. Je chute à travers le lit, à travers cette lumière blanche, pour dévaler la Tour en chute libre jusqu’à être aspiré dans la capsule là où je me réveille brusquement.

J’ouvre les yeux.

Je me redresse sur la banquette et sursaute en voyant Lucy en face de moi, penchée pour laisser apparaître sa poitrine décolletée. Et de sa voix suave et sensuelle : “Vous arrivez à terme de votre carte de fidélité. Souhaitez-vous vous replonger dans l’expérience ?”

Je me retrouve à hésiter. Puis : “Oui. Qinze milligrammes je te prie.”

Le sourire sensuel de Lucy, ce sourire à la limite du diabolique se trouble, tandis qu’une seringue apparaît sous la banquette. Je la saisit et l’injecte à nouveau. Déjà repartie dans les limbes de mes propres désirs je l’entend murmurer : “Le Nectar, rapprochez-vous de la grandeur…”

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