Rin ferma la porte derrière lui et jeta son sac sur ses épaules. Il s’en était bien sorti finalement. Il souria en repensant à la réaction de son père quand il lui avait annoncé qu’il partait le plus rapidement possible pour le continent. Il avait ouvert grand les yeux et crié à moitié qu’il n’était pas prêt, qu’une décision telle que celle-là ne se prenait pas sur un coup de tête et tout un tas d’excuses absurde qui lui avait fait comprendre que Riwan Elriys ne voulait pas que son fils quitte le domicile familial. Il l’avait salué et embrassé avant de se diriger vers sa chambre où l’attendait sa mère, un sac vide au bout des bras. Ils avaient fait son sac dans le silence le plus total et elle lui avait souhaité un bon voyage puis lui avait fait promettre de revenir, les larmes aux yeux. Il n’avait pu se retenir de lui sauter dans les bras, lui aussi larmoyants. Il savait qu’elle ne voulait pas perdre un deuxième garçon.

 Il déglutit et avança sur le chemin pavé qui le conduisit à la place principale du village. Aldar se situait au pied du volcan du même nom, à l’extrême nord de l’île, et était l’une des plus grandes villes si on omettait la capitale du royaume de Dehlia, Maesisia sur le territoire de Mespeia, ainsi que la cité dans les arbres, Lusaft, d’Axiodore.

 Le royaume était divisé en neuf territoires, tous contrôlés par le Conseil de la Magie avec à sa tête Idrias Freanys, le Praeses. Au dessus de lui se trouvait le roi Assar Dehlia, mais son occupation principale était la politique extra-royaume et laissait donc Idrias gouverner les territoires en toute confiance. L’île étant assez éloigné du continent, Drigonys avait pu éviter le contrôle total, bien que des patrouilles du conseil y passaient de temps en temps pour vérifier que rien de compromettant ne pouvait s’y cacher.

 Rin salua les jeunes enfants qui prirent part à sa marche en sautillant de joie, et apprécia les efforts des plus âgés qui lui montraient l’avancement de leurs maîtrises magique. Toute la population du royaume avait accès à la magie. Il repensa nostalgiquement à la fois où Aylyn lui avait annoncé sa non possession de magie et sourit. C’était un fait qu’il pensait inexistant et pourtant. Il regarda les flammèches qui passaient devant ses yeux et d’un claquement de doigts il les fit exploser en un milliers de petites étincelles. Les adultes présents le regardèrent désespérés. Faire le malin devant les plus jeunes était son passe-temps préféré et cela décourageait les adultes qui attendaient patiemment le moment où il se comporterait enfin en homme. Mais les yeux pétillants des enfants et des jeunes adolescents devant lui, lui prouvait qu’il pouvait se permettre encore quelques folies et il était certain que cela en encouragerait certains de vouloir travailler encore plus et de le dépasser un jour.
Il leur envoya un signe de la main, accompagné d’une myriade de flammes bleues, et courut vers la place qu’il percevait à quelques mètres devant lui.

 Aylyn et ses parents y étaient présent, entourés de nombreux villageois, curieux de leur présence non-officielle. La jeune fille était entre Morgan et Ynna et avait les yeux baissés au sol. Vivant seule dans une maison éloignée de la population, elle n’avait pas l’habitude des contacts sociaux, malgré son caractère bien trempé.

— Rin ! s’écria le chef d’Avila. Enfin te voilà.

 Il trottina vers les Freanys et les salua avant de prendre Aylyn dans ses bras. Le sourire qu’elle fit le rassura sur sa mentalité du jour. Elle était heureuse de partir avec lui, bien que le but de leur voyage était plutôt important.

— J’ai du dire au revoir à mes parents, et c’était assez compliqué et pénible…

— J’imagine bien avec Riwan, ria Morgan. Trop sensible cet homme.

 Ils rièrent quelques instant avant qu’Ynna ne les interrompe, légèrement paniquée.

— Vous êtes sûrs que tout ira bien? dit-elle nerveusement.

 Rin serra les mains de la mère de famille dans les siennes en souriant.

— Nous allons juste faire comprendre au Praeses qu’Aylyn est une citoyenne de Dehlia. Evidemment il faut lui prouver, et donc…

— Participer au tournoi, même si son inscription s’est soldée par un échec. Conclut Morgan. Ne vous en faites pas, je crois en vous deux. Vous en êtes parfaitement capable.

 Le jeune mage de feu s’inclina pour le remercier et attrapa la main d’Aylyn. Elle, n’était pas du tout nerveuse, elle semblait plutôt ravie du défi qui s’imposait à elle. Il le vit dans ses yeux, sa rage de vaincre et de prouver au monde qui elle était, était puissante.

— Prenez soin de vous surtout.

Après quelques instants de conseil de dernières minutes et d’au revoir, Rin et Aylyn s’éloignèrent en direction du port à quelques jours de marches d’Aldar, main dans la main. Les véhicules étant très lourd et les chevaux coûtant une petite fortune, il était impossible d’en avoir à Drigonys. Bien des chefs avaient déjà essayer d’en ramener par leurs propres moyens, mais aucun bateaux n’étaient revenus au port et ils avaient décidés d’abandonner, gardant la traditionnelle marche à pied.

Ils parlèrent de tout et de rien pendant les premières heures avant qu’Aylyn ne montre le début des symptômes de la fatigue. Elle avait déjà marché d’Avila jusqu’à Aldar et il leur restait encore un peu plus d’une journée.

— Campons ici.

Il regarda amusé, la jeune fille se laisser tomber au sol en soupirant de soulagement. Elle déposa son paquetage à côté d’elle et Rin l’imita avec le sien.

— Comment se passe l’enregistrement du Conseil?

 Il sursauta, pris au dépourvu. Il ne pensait qu’elle lui poserait cette question, Aylyn étant encore probablement angoissée d’y passer.
Il s’assit devant elle et regarda le ciel qui commençait à s’obscurcir. D’ordinaire, quand le soleil se couchait, le ciel devenait orangé puis le bleu nuit prenait sa place. Mais la grande saison approchant, le ciel se colorait en rose et Rin s’amusa à jeter un regard en coin à Aylyn qui faisait de même, comme tout les soirs.

— Tu arrives un matin avec tout les autres adolescents et on est tous réunis dans une grande salle. On est appelés les uns après les autres pour signer le registre avec nos noms, villes de naissance, types de magie et titres possible. On termine cette étape en signant.

— Rien que ça je ne pourrais même pas l’accomplir. Soupira la jeune fille. Je n’ai pas de type de magie.

Il se rapprocha d’elle et posa une main sur son genoux.

— On trouvera une solution en cours de route si le reste de marche pas.

Elle acquiesça en le regardant dans les yeux avant de retourner à sa contemplation du ciel rosé.

— Ensuite on se fait diriger vers un coin de la salle ou des mannequins sont alignés et on nous demande d’y faire le plus de dégâts sans toucher les autres et le lieu. Probablement pour tester la puissance et le contrôle.

— Qu’est-il arrivé au tiens?

Gêné, il passa une main dans sa nuque avant de chuchoter.

— Il a explosé.

Elle éclata de rire et se laissa tomber sur le dos. Les larmes aux yeux, elle ricana encore un moment en s’imaginant la tête des autres participants.

— Comment les autres ont réagis ? demanda-t-elle curieuse.

— Eh bien… ils…

Elle se redressa et observa ses joues rouges. Mignon fut le seul terme qu’elle put lui attribué à ce moment là. Il n’était pas féroce comme les moments où ils se battaient en duel et encore moins sérieux quand il jouait au chef avant l’heure. Ses cheveux noirs tombaient sur son front et ses yeux ambrés regardaient dans toutes les directions sauf vers elle.

— Rin…

— Ils n’osaient pas passer après moi et m’ont surnommé le Roi du feu…

Le rire d’Aylyn redoubla et Rin détourna la tête vexé.

— Je suis loin d’être un roi et loin d’être le plus fort. Certains avaient de grandes capacités aussi… Je suis pas le seul à avoir détruit entièrement le pantin…

— Tu est peut-être le seul à l’avoir fait d’une manière aussi spectaculaire.

Il hocha la tête et sentit les bras rassurants de sa petite amie se refermer autour de ses épaules. Il savoura le contact et posa sa tête contre l’épaule d’Aylyn.

— Je suis contente d’avoir un mage aussi puissant dans ma vie.

— Et moi d’avoir une guerrière exceptionnelle.

Elle se redressa et sortit de leurs sacoches les réserves de nourritures qu’ils avaient tous les deux faits pour le voyage et ils mangèrent en silence, appréciant les bruits nocturnes. La clairière dans laquelle ils étaient, était petite et la forêt les entourait de son immensité. La jeune fille n’était jamais allé jusqu’au port, elle se laissait donc entraîné par Rin qui connaissait l’île comme sa poche. De temps en temps, elle rêvait de pouvoir partir à l’aventure sans compter sur quelqu’un, mais son manque de connaissance et de magie jouaient contre elle.
Elle ferma les yeux et s’imprégna de la nature sauvage. Les stridulations des criquets, les hululements des hiboux qui chassaient et, bien évidemment, les cris des renards élémentaires qui lui parvint aux oreilles la firent sourire. Ils étaient très nombreux à Drigonys et c’était grâce à l’un d’eux qu’ils s’étaient rencontrés Rin et elle. Elle ouvrit un oeil et aperçut l’homme, le dos droit et aux aguets. Souriante, Aylyn se releva et dégaina son épée qu’elle posa sur ses genoux, une fois de nouveau assise.

— Ils ne te feront rien.

Il la tua du regard et elle ria. Il avait tenté d’apprivoiser un renard de feu des années plus tôt, mis au défi par son grand frère, mais cela avait été un total échec et il avait terminé inconscient aux abords de la forêt qui entourait la maison d’Aylyn. Elle l’avait trouvé alors qu’elle s’entraînait et l’avait ramené comme elle avait pu à son domicile. Le reconnaissant, son père l’avait soigné et ils étaient partis tous les trois vers Aldar, pour le rendre au chef. Depuis lors, ils étaient restés en contact, et Rin avait une peur panique des renards.
Elle le regarda se lever et faire quelques pas en tournant en rond.

— Allumes peut être un feu, proposa-t-elle. Ca les fera fuir.

— Il fait bien trop chaud… riposta-t-il.

— A toi de voir.

 Elle ricana et s’allongea en prenant son sac comme oreiller. La jeune fille entendit Rin grommeler dans son coin avant de s’allonger à son tour après avoir allumé un feu qui éclairait la clairière toute entière. C’est le sourire aux lèvres qu’elle s’endormit, certaine que son compagnon garderait les yeux ouverts encore un petit moment.
 Rin la regarda dormir, encore surpris de sa capacité à s’assoupir aussi facilement dans un lieu qu’elle ne connaissait pas. Sa respiration était douce, sa poitrine se soulevait doucement et ses cheveux qui tombaient devant sa bouche, bougeaient au rythme de sa respiration. Elle était magnifique. Il se surprit à sourire en l’admirant avant de se mettre sur le dos et de regarder le ciel totalement noir désormais. Seul le faible éclairage de la lune, illuminait le ciel opaque et le feu magique qui brûlait au centre de la clairière le rassurait quelque peu. Les hurlements des animaux sauvages avaient cessés dès l’arrivée de la forte luminosité, mais il sentait encore leurs présences, cachés dans les ombres de la forêt.

 Il allait finalement réussir à s’endormir quand un craquement le fit bondir sur ses pieds, les mains en avant. Il réduit drastiquement l’intensité des flammes, les mettant dans l’ombre pour les cacher le plus possible et déglutit.

 Il n’y avait jamais personne dans ces forêts, la nuit étant dangereuse avec les renards élémentaires et les autres carnivores qui les peuplaient, alors le jeune homme s'inquiétait peut-être pour rien. Il jeta un regard derrière lui et observa le visage endormi, mais crispé, d’Aylyn. Son instinct était beaucoup plus fort que le sien, alors il grimaça et se retourna.

 Un homme au visage caché par une capuche, se trouvait devant lui.

 Rin sursauta et bondit en arrière mais une seconde personne lui attrapa le bras et le propulsa à l’autre bout de la clairière. Il roula dans l’herbe et se redressa rapidement pour regarder les deux silhouettes s’approcher d’Aylyn. Vêtus de longs manteaux en cuir noir, munie de la capuche qui dissimulait leurs traits, ils s’apprêtaient à s’emparer de la jeune fille. Il grogna de rage et se jeta sur le plus grand. D’un coup d’épaule il le poussa sur le côté, mais s’il se débrouillait avec sa magie, ce n’était pas le cas avec sa force physique. Il se fit plaquer au sol violemment par le second, se retrouvant à plat ventre, la tête maintenue dans l'herbe sèche. Il gronda d'impuissance, et gesticula dans tous les sens pour se libérer. La poigne sur son crâne s'intensifia et le crépitement caractéristique de la magie emplit l'air. Des lianes glissèrent sur son visage et se plantèrent vigoureusement dans la terre. Solides, elle permettaient au mage de le lâcher, l'immobilisant au sol.
Rin les regarda impuissant s'approcher une nouvelle fois d'Aylyn et, la rage dans la voix, il cria.

— Aylyn !!