Chapitre 43 : Une prise de conscience.
-Université ! Tu m'as tellement manqué ! m'exclamai-je, les bras en l'air pour la saluer, en arrivant devant les bâtiments faits de briques.
Quelques étudiants me regardèrent de travers mais je m'en foutais ! Kyle avait accepté que je revienne en cours pour la dernière semaine avant les vacances de Noël. Parce que j'avais deux partiels importants. Mais pour être franc, ce n'était pas la seule raison. Je lui avais parlé de mes doutes sur mon envie ou plutôt ma motivation à continuer mes études, vu la situation. Et contre toute attente, mon mari s'était vivement opposé à ce que j'arrête tout. Il ne voulait pas que j'abandonne mes ambitions. Je n'avais plus qu'un an et demi et j'aurai terminé. Kyle ne voulait pas que j'aie de regrets si j'abandonnais mes études. Ça m'avait surpris mais remotivé !
Et me voici donc un lundi matin sur le campus après une longue absence ! Je n'avais jamais été aussi heureux de revenir en cours ! Il ne me restait plus qu'à trouver Jérémy et Kévin ! Je ne leur avais pas dit que je revenais aujourd'hui. Je voulais leur faire la surprise. À cette heure-ci, ils devaient se trouver aux machines à café. C'est donc d'un pas enjoué que je m'y rendais avant de me stopper, ébahi, lorsque je les trouvai, enlacés l'un contre l'autre, se dévorant littéralement le visage...
-Qu'est-ce que... Pourquoi ta langue est dans sa bouche ?!! demandai-je bêtement à Jérémy qui me faisait face, les yeux écarquillés et mon esprit semblant s'être liquéfié d'un coup.
Mais qu'est-ce qui se passait ici ?! Je m'absentais quelques semaines et tout le monde pétait un câble et se sautait dessus ?!!
-Hey ! Joshua ! s'écria Jérémy en venant me prendre dans ses bras, suivi de près par Kévin. Tu nous avais pas dit que tu revenais en cours !
-Tu nous as manqué !
Ils me serraient tellement fort que j'allais finir par étouffer.
-Ok, ok, les gars ! Je vous aime aussi, mais je peux plus respirer...
Mes deux amis se détachèrent enfin de moi en rigolant. Ils étaient heureux de me voir et ça me touchait énormément.
-Vous m'expliquez ce qui se passe entre vous ?
-Eh ben... Ce début d'année a été mouvementé avec ton mariage, vos enlèvements, ton absence...
-Je vois, je vois, l'interrompis-je, un peu gêné par tout ça.
-Et maintenant, l'enlèvement de Scott... rajouta Kévin d'un ton triste.
Je baissai les yeux en repensant à mon meilleur ami à l'avenir incertain.
-On s'est retrouvés rien que tous les deux, à angoisser pour vous, sans pouvoir faire quoi que ce soit, continua Kévin. On s'est mis à passer plus de temps ensemble, à se réconforter, à parler de vous, ça nous a rapprochés. Et... tu sais, je t'en avais parlé, que j'avais un petit crush sur Jérémy que je pensais ne pas être réciproque... En plus, même si je savais qu'il était bi, sa dernière relation était avec une fille, alors je n'étais sûr de rien, je ne l'avais jamais vu sortir avec un mec.
-Et un soir, alors que j'étais chez lui, je l'ai trouvé tellement touchant et mignon que je lui ai sauté dessus ! continua Jérémy dans un petit rire.
-Et on a baisé comme des bêtes toute la nuit ! Il m'a pris sur le lit, contre mon bureau, la fenêtre, sur le sol aussi, et je lui ai fait la meilleure...
-Oh non, non ! Stop ! Arrêtez, je vous en supplie... demandai-je en mettant mes mains sur mes oreilles pour mettre fin à mon supplice.
Les deux cons éclatèrent de rire devant mon désarroi.
-Désolé, on n'a pas pu s'en empêcher ! s'esclaffa Kévin. Rien que ta tête, aucun regret !
-Carrément !
-En fait, je te rassure, ça s'est passé de façon plus romantique que ça, petit à petit. Et on n'a rien fait le premier soir, promis !
-Ho la la ! Vous deux... Ok. Je vais m'habituer à cette nouvelle. Y a tellement de nouveautés, ces derniers mois ! Ma vie n'a vraiment plus rien d'ennuyeuse...
Je soupirai, assimilant ces dernières infos sur mes amis. J'avais vraiment raté quelque chose d'important. Ils ne m'en avaient même pas parlé dans nos messages ! Aucune allusion ! Rien.
-Bon, on en reparlera tout à l'heure. Je dois vous laisser, j'ai cours de Linguistique.
-Nous, on a cours d'Histoire médiévale. On se voit à midi ?
-On fait ça. À tout !
Et je partis en les regardant prendre la direction opposée, main dans la main. Eh ben ! Je n'aurais jamais pensé que ces deux-là finiraient ensemble ! Je savais que Kévin avait le béguin pour Jérémy, oui, mais je ne pensais pas que Jérémy ressentait la même chose. Il ne m'en avait jamais parlé, en tout cas. Ha, Scotty ! Pourquoi tu n'es pas là ? Si mon meilleur ami avait été avec moi, sûr, ça aurait été THE sujet de conversation de la journée !
Sur cette pensée, je partis donc un peu tristement pour rejoindre ma promo. Et à ma grande surprise, certains que je connaissais depuis la première année de Licence, et avec qui j'avais bien sympathisé, me bombardèrent de questions sur mes absences répétées depuis le début d'année. Je ne sus pas vraiment quoi répondre. Ils ne savaient pas que je m'étais marié, seul mon entourage proche était au courant. Bien sûr, je portais mon alliance, mais j'avais l'impression qu'ils n'y faisaient pas attention. Pour eux, en ne me voyant flirter avec personne à l'Université, ça ne devait être qu'une bague stylée. Ou alors ils n'osaient rien demander, tellement ça leur paraissait improbable ! Je ne savais pas et je ne leur demanderai certainement pas !
Pour mettre fin à leur curiosité, je leur dis seulement que j'avais pas mal de problèmes familiaux en ce moment, ce qui n'était pas réellement un mensonge. Et lorsqu'ils m'interrogèrent sur Scott, je dus mentir en disant qu'il n'était plus sûr de continuer ses études... Je m'en voulais de dire ça, mais quoi dire d'autre ? Je n'avais aucune idée de ce qui allait advenir de lui ! Allais-je seulement le revoir ?
Le cœur serré, j'assistais à mes cours de la matinée. Heureusement, je ne fus pas si seul que ça, car mes camarades, en remarquant sans doute mon air attristé, ne me laissèrent pas tout seul dans mon coin. Et je leur en fus reconnaissant.
**
-Merde... Même mon Pan-Bagnat me paraît encore plus délicieux ! dis-je après avoir avalé une première bouchée.
-Ça, c'est l'effet « trop longtemps sans venir à la cafèt » ! répliqua Kévin en rigolant.
-Trop longtemps sans venir en cours ! renchérit Jérémy.
-Trop longtemps sans venir au campus !
-Trop longtemps sans venir voir ses amis !
-Trop longtemps sans...
-C'est bon ! C'est bon ! J'ai compris, soupirai-je. Ce n'est pas comme si j'avais eu le choix !
Ces deux-là me faisaient sans aucun doute gentiment payer ma longue absence et mon manque de nouvelles régulières de ces derniers temps ! Il est vrai que depuis plusieurs jours, je ne faisais que répondre à peine à leurs messages. Je me sentais perdu et j'avais ressenti le besoin de m'isoler.
-On le sait. On te charrie, c'est tout, me dit Kévin en accompagnant ses paroles d'un clin d'œil.
-Je me demandais, qui est au courant pour vous deux ? Je veux dire, vous êtes officiellement ensemble ? Ce n'est pas juste du réconfort temporaire ? demandai-je pour mieux comprendre leur nouvelle relation.
-Tout le monde est au courant. Et non, ce n'est pas juste du « réconfort temporaire », me répondit Jérémy. Je l'ai dit à mes parents, séparément, tu t'en doutes, puisque ces deux-là ne peuvent pas rester dans la même pièce plus de 30 secondes depuis leur divorce d'il y a quand même 10 ans... Et je l'ai évidemment dit à mon frère. On a été le voir à la librairie où il bosse. Il était étonné, vu notre amitié depuis quelques années déjà et que même si j'avais parlé de ma bisexualité, je n'étais jamais sorti avec un mec, je n'avais eu que des copines jusque-là. Mais en tout cas, il était content pour nous !
-C'est cool !
-Ouais. Et de mon côté, je l'ai dit aussi à mes parents et à ma petite sœur. Et contrairement à Jérémy, même si mes parents sont séparés depuis quelques années, tu sais qu'ils s'entendent toujours assez bien. Du coup, j'ai organisé un petit repas chez ma mère et je leur ai annoncé. Pareil que pour Jérémy, ils étaient un peu étonnés mais contents pour moi. Par contre, ma sœur a hurlé de joie et m'a sauté dessus pour un câlin ! Ha, l'adolescence ! Elle a toujours des réactions tellement disproportionnées, soupira Kévin en levant les yeux au ciel. Après, c'est vrai qu'elle savait que j'avais un petit faible pour Jérémy... Mais bon ! C'était un peu exagéré, quand même !
-Je te rappelle que tu m'as raconté que quand t'avais 15 ans, l'âge de ta sœur, t'avais chialé pendant une semaine après avoir regardé le dessin animé « Le Monde de Nemo » !
Les joues de Kévin devinrent rouge tomate, ce qui me fit sourire. Ça me faisait vraiment chaud au cœur d'être avec eux.
-Je t'avais dit de le dire à personne ! Faut toujours que tu prennes la défense de Sarah !
-Tu devrais être content ! Je l'aime bien ta petite sœur !
-Bon, bon, vous deux ! Tout va bien, essayai-je de les calmer. T'inquiète, Kévin, j'ai aussi pleuré quand j'ai regardé « Le Monde de Nemo » !
Jérémy partit dans un grand éclat de rire moqueur mais je m'en foutais. À voir le sourire reconnaissant de Kévin, ça valait le coup !
-Pour en revenir à notre conversation d'origine... Vous l'avez vraiment annoncé à tout le monde, sauf moi.
-Ne le prends pas mal, Joshua ! On attendait juste de te voir pour te le dire et tout t'expliquer. On savait que ça allait te sembler bizarre, vu notre amitié ! C'est pour cette raison qu'on préférait te l'annoncer en personne, c'est tout.
Kévin cherchait à me rassurer et je savais qu'il disait vrai, mais je n'y pouvais rien, je me sentais mis à l'écart. Kyle me faisait vraiment rater des choses importantes. Certes, certainement pas à ses yeux, mais importantes pour moi.
-D'accord, dis-je en hochant la tête. Mais d'ailleurs, ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?
-Un mois, répondirent-ils en chœur.
-Et on a décidé de l'annoncer à nos familles au bout de trois semaines, seulement. Je sais que c'est rapide, mais on se connaît depuis longtemps, maintenant, et on sait tous les deux que c'est sérieux. On n'avait pas envie de se cacher et avec les vacances qui approchent, on voulait pouvoir aller se voir chez nos parents respectifs sans faire semblant d'être toujours amis et pas plus, continua Jérémy.
-Ok... Je comprends.
Je ne pouvais pas leur en vouloir, mais je me sentais vraiment seul sur ce coup-là. Cependant, il n'était pas question de gâcher nos retrouvailles. Mon mal-être n'avait pas à s'abattre sur eux ! Et j'étais si content de les revoir, de passer du temps avec mes amis, comme avant toute cette merde ! Je pris donc sur moi et me montrai avenant le reste de notre pause-déjeuner.
Quant à mon après-midi, elle passa tranquillement en enchaînant deux cours. Je fus tout de même surpris de découvrir que ma longue absence avait des conséquences et se faisait ressentir. Car même si j'étais à jour dans mes cours et mes devoirs ainsi que les romans à lire et étudier, je ne m'étais pas tellement senti à l'aise lorsque les professeurs avaient posé des questions. Mais également face à la bonne humeur de mes camarades de promo, de leur légèreté. Ce qui m'avait étonné. Bah ! Il me fallait juste un peu de temps pour me sentir de nouveau à ma place et plus en décalage avec les autres ! Le lendemain se passerait mieux, sans aucun doute ! Il fallait rester positif ! Sans ça, que me resterait-il ?
Ce fut sur cette décision de ne pas me laisser abattre, pour Scott que j'espérais de tout mon cœur retrouver, pour ma mère que je désirais revoir, et pour moi qui avais des projets, des ambitions, une vie à essayer de remplir de la meilleure manière possible en trouvant ma place dans ce monde, que je partis terminer ma journée à la Bibliothèque. Jérémy et Kévin vinrent m'y rejoindre pour travailler avant de rentrer, mais surtout pour papoter encore un peu et profiter de la présence des uns et des autres. Nous ne savions pas de quoi demain serait fait et ces derniers mois avaient mis quasiment fin à notre insouciance de jeunes étudiants. À présent, il était devenu important pour nous de profiter de nos instants ensemble, car nous savions que notre amitié était compromise. Kyle avait tout pouvoir sur ma vie, il me l'avait bien assez répété. Son entourage était dangereux, Hayato me l'avait bien prouvé. Que ce soit à mon égard ou envers celui de mes amis.
D'ailleurs, je ne l'avais pas dit aux deux amoureux qui me faisaient face, mais Kyle les faisait surveiller de loin, au cas où ce cher Hayato referait des siennes. Selon mon mari, c'était peu probable puisqu'il détenait Scotty et qu'il m'avait déjà enlevé. Il s'agissait seulement d'une précaution. L'ombre de Kyle planait désormais sur mon existence et ce qui en faisait partie. Et je devais faire avec. Mais pas question de me laisser totalement happer ! J'avais une vie à laquelle je tenais !
Je ne voulais pas prévenir mes amis. Je ne voulais pas qu'ils vivent dans la peur, que leur propre quotidien perde le peu d'insouciance qu'il leur restait encore. Leurs regards affectueux, leurs rires, nos conversations, c'était quelque chose d'important, quelque chose de précieux. Je ne m'en rendais pas compte auparavant. Aujourd'hui, c'était différent. Et je comptais bien y porter toute l'attention que cela méritait.
Je ne voulais pas que quelqu'un m'empêche de faire partie de cette vie. J'étais prêt à tout pour protéger ce que j'avais, prêt à tout pour protéger ceux que j'aimais. Je ne le réalisais que maintenant. Je n'avais pas été là pour Scott. Et je m'en voulais terriblement. Je ne referai pas la même erreur. Quitte à devoir faire usage de la force. Et de le réaliser était assez effrayant et infiniment déstabilisant... J'avais l'impression de changer, d'évoluer. Ce retour dans ce qui était un côté de ma vie d'avant, dans ce quotidien dont mon mari et son univers m'avaient privé et dans lequel ils n'étaient pas présents, était enrichissant d'une manière que je n'avais pas prévu. Il me faisait réaliser certaines choses dont je n'avais absolument pas conscience.
Plus le temps passait et plus je comprenais de plus en plus précisément, finalement et contre toute attente, ce qui constituait l'univers de Kyle. Il voulait protéger les siens dans une vie qu'il n'avait pas choisie. Son hésitation pour son tatouage que son père lui avait imposé me le laissait penser. Et puis, il avait grandi en étant formé dans le but de lui succéder, il n'avait pas réellement décidé de son existence. Kyle faisait ainsi avec ce qu'il avait toujours connu : son monde et sa dangerosité, son entourage, sa famille, ses... compétences. Et ça nous faisait peut-être des points communs. Car lorsque je regardais mes deux amis, j'en étais certain, je savais que je ferais de même pour eux, pour ma famille, pour ceux que j'aimais. Et comme lui, on avait décidé à ma place du chemin que je devais suivre.
Dans ce bordel qu'était devenue ma vie, j'allais devoir prendre des décisions. Et pour ça, il fallait que j'arrête de m'apitoyer sur mon sort. Oui, je n'avais certainement pas demandé à être marié à un inconnu à l'univers plus que glauque et violent. Oui, il m'avait privé de ma liberté. C'était indéniable ! Mais dans tout ce merdier, je devais m'adapter. Pas le choix si je voulais protéger les miens.
À ma façon - sans aucun doute, pas aussi violente que celle de Kyle -, je les protègerai. Coûte que coûte.
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