Chapitre 3 : La venue
Il s'est écoulé deux longues semaines. Deux semaines à guetter par la fenêtre leur venue. Mais personne n'a frappé à la porte. Aucune nouvelle du gouvernement. Je commence à croire que cette histoire sort tout droit d'un de mes cauchemars. Seuls le regard de ma mère et la lettre posée sur mon bureau me ramènent à la réalité. Parfois, j'ai le sentiment d'être déjà loin. Ma mère est de plus en plus distante avec moi. Elle disparait le matin et ne revient que tard le soir. Je sais que depuis qu'elle a repris son travail à l'usine de vêtements, elle est grandement occupée, mais quelque chose cloche entre elle et moi. Quant à Louis il semble avoir oublié mon départ. Il continue à aller à l'école, et m'oblige la plupart du temps à jouer à cache-cache dans la maison. Il est si insouciant. Je l'envie. J'envie cette manière qu'il a d'effacer de sa mémoire tout problème. Pour ma part, je reste des heures à fixer au loin, espérant être oublié de la surface de la Terre.
Mais je me tiens prête. J'ai préparé un sac à dos. Il est rempli du minimum vital. Je suis prête à m'enfuir à la moindre occasion. Mais voir ce sac attendre près de mon lit ne m'aide pas à me sentir mieux. Au contraire. Mon plan consiste à prendre mes affaires au moindre bruit de voiture et partir loin. Mais pour aller où ? Que faire après avoir quitté la ville ? Reverrais-je ma famille ? Devrais-je me cacher toute ma vie ? Ces questions m'obsèdent. Mon plan me semble dérisoire et stupide. Mais mon père m'a appris une chose dans la vie : si l'on n'essaye pas, on ne saura jamais si l'on a fait le bon choix. Il faut pouvoir essayer et même parfois se tromper pour finalement réussir. Et je compte bien m'en sortir. Car si je participe à ce projet, je risque de ne plus revoir ma famille.
On est samedi. Je suis plus détendue. Quelques rayons de soleil sont parvenus à se faire une place parmi les nuages. Ces journées sont si rares, que Louis et moi décidons de jouer au ballon sur l'allée de la maison.
— Bon Bonhomme, on joue quelques minutes puis tu devras commencer tes devoirs. On est ok ?
— J'ai pas de devoirs, me répond-il en baissant les yeux. Louis ne sait pas mentir. Il ne l'a jamais su. Et je crois qu'il ne cherche même pas à s'améliorer. Il continue à taper dans le ballon tout en faisant la moue.
— On sait très bien toi et moi que tu as des devoirs !
Je veux lui faire comprendre que mentir c'est mal, mais un bruit de voiture attire mon attention. En effet, une berline noire aux vitres opaques surgit devant nous. Il est impossible de voir qui s'y trouve, mais j'ai tout de même ma petite idée sur l'identité de cette venue. Mon coeur se contracte et mes mains deviennent soudainement moites. Instinctivement, Louis me tend la main. Je l'attrape et la serre précieusement.
Le moteur coupé, un homme d'une quarantaine d'années sort de la voiture. Son costume est impeccable. Louis et moi dénotons par nos habits troués et recousus. Puis survient une jeune femme avec une caméra dans la main gauche. Les deux inconnus s'avancent dans notre direction avec un grand sourire. Je ne peux m'empêcher de frissonner. Mais cette fois-ci je ne tremble pas de froid.
— Mademoiselle Taylor ? me demande l'homme au costume avec un sourire éblouissant.
A cet instant, je ne sais quoi répondre. Dois-je mentir ? Sait-il à quoi je ressemble ? De la part du gouvernement, ce mec doit être sacrement renseigné. Limite à savoir tous les pans qui composent ma vie.
— Oui, c'est moi. Répondis-je, en serrant la main de Louis plus fortement.
— Je me présente, je suis Edward Rocards, directeur du service recrutement Save World. Et voici notre journaliste attitrée Mademoiselle Enderson. Elle sera présente tout le long pour filmer notre conversation. Mais ne vous en préoccupez pas, c'est juste pour présenter au monde les élus de la nation. Dit-il avec les yeux scintillants. Avez-vous bien reçu notre lettre Mademoiselle Taylor ? puis-je vous appeler Alison ?
Je n'ai aucune envie de réentendre mon prénom dans sa bouche. Déjà que je ne l'apprécie pas alors qu'il soit prononcé par ce mec, c'est à la limite du supportable.
— Je préfère Mademoiselle Taylor, si vous voulez bien. J'éprouve un malin plaisir à prendre le dessus. Même pour quelques secondes. A voir sa tête, ça doit être la première fois qu'on lui rétorque cette réponse.
— Très bien ! Comme vous voulez. Peut-on au moins rentrer au chaud ? il me sera plus facile de tout vous expliquer.
NON ! tu ne rentres pas chez moi. Mais l'homme armé prés de la voiture fait descendre mon courage en flèche. Je ne veux surtout pas effrayer Louis davantage.
— Ok. On va aller à l'intérieur. Si vous voulez bien me suivre.
Avec Louis, je me place devant eux. Je sens leurs regards insistants dans mon dos. L'envie de me retourner et de leur faire un geste obscène me fait sourire. Mais je me retiens. De peu. Dans l'entrée de la maison, je chuchote à Louis de partir jouer près de la cheminée en lui promettant de tout lui raconter. Il consent non sans mauvaise humeur. Il déteste être considéré comme un enfant. Mais il ne sait pas la chance qu'il a de pouvoir faire abstraction des problèmes qui traversent la vie des adultes. Alors si je peux, je le garderai aussi longtemps dans ce monde si naïf qu'est l'enfance.
Je dirige mes "invités" vers la cuisine. Notre habitation est petite mais chaleureuse. Auparavant, elle était bien plus grande, mais avec la mort de papa, Hélène a condamné une partie des pièces. Maintenant nous n'avons que deux chambres et une minuscule salle de bain à l'étage. Le bas est notre salle de vie. La pièce la plus chauffée de la maison qui mêle cuisine et salon en même temps.
— Charmante maison, Mademoiselle Taylor. Votre mère est-elle ici ? me demande l'homme en costume tout en s'asseyant sur une chaise de la cuisine.
— Non, ma mère s'est absentée pour la journée. Elle s'évertue à faire des heures supplémentaires pour rattraper le temps perdu suite à sa blessure. Parfois, je me demande si ce n'est pas aussi un moyen pour m'éviter.
— Quel dommage ! Une interview d'une mère est toujours synonyme d'audience, grimace la journaliste.
Elle, c'est sûr, ne sera pas ma meilleure amie. Elle donne l'air à la fois sévère et complètement antipathique, avec ses cheveux courts et ses sourcils arqués
— Comme vous le savez, vous avez été recrutée par l'agence pour notre nouveau programme. Suite à vos bilans de santé, vous avez été sélectionnée pour participer à l'exploration du système V. C'est une grande chance pour vous de rejoindre notre équipe. Des milliers de gens seraient prêts à payer pour avoir votre chance.
Venait-il de dire une chance ? C'est une blague !
— Alors, pourquoi ne pas avoir choisi ces milliers de gens ? je rétorque automatiquement.
— Le programme de recrutement repose sur un tirage au sort des plus stricts afin de sélectionner les adultes les plus solides de la nation. Et je dois dire que votre santé psychologique et physique est exceptionnelle Mademoiselle Taylor. Si vous le souhaitez, je peux vous transmettre votre dossier médical afin que vous le constatiez par vous-même.
— Je veux bien. Maintenant que vous avez fait votre petit pitch de promotion. J'aimerais savoir quelles sont les démarches pour refuser cette mission. Je ne peux m'empêcher de poser la question. C'est la seule chose qui me permet de supporter leur présence. Et particulièrement, la présence de la journaliste qui ne cesse de braquer sa "foutue" caméra sur mon visage. Mais il m'en faut plus pour me dégonfler.
— Je crois que vous m'avez mal compris. Il n'existe aucun moyen pour annuler votre participation. Comme le dit la lettre, aucun refus ne sera accepté. Je sais que c'est un chamboulement pour vous. Mais c'est une mission honorable qui mérite qu'on se batte pour elle. Vous allez être une héroïne. Grâce à vous, un nombre impressionnant d'humains pourront être sauvés. C'est le devoir de tout être vivant de sauvegarder son espèce. Il fait une pause et me fixe longuement dans les yeux. Yeux contre yeux.
Je reste bouche bée devant son flot de paroles. Mon cerveau est comme éteint, plus aucun mot ne veut sortir de ma bouche. C'est comme si je regardais la scène d'un point de vue extérieur. Je suis hors de mon corps. En choc traumatique surement. Mon regard finit par se poser sur Louis, qui joue plus loin avec sa tablette holographique. Cela suffit à me reconnecter avec moi-même. Je suis bien contente qu'il ne soit pas là pour entendre tout ça. L'homme en costume reprend :
— Je sais que ce n'est pas facile pour vous, mais ce n'est pas un choix, c'est un devoir. Et je vous déconseille d'utiliser le sac près de votre lit.
Mon visage vire au blanc. Comment est-il au courant ? la réponse ne tarde pas à venir.
— Mon homme de main a fait le tour de la propriété et notamment de votre chambre. J'aimerais être clair. Si vous aviez le projet de fuir, cela aurait de regrettables conséquences, Mademoiselle Taylor. Car, voyez-vous, les participants au programme pourront faire venir leur famille dans le prochain vol. Si vous décidiez de faire cette bêtise, votre famille devra rester sur Terre et elle mourra, car bientôt les chances de vie ici seront bien minces. M'avez-vous bien compris ? il est question de sauver l'humanité et notamment votre mère et votre petit frère Louis. Maintenant si vous le voulez bien je vais vous décrire les prochaines étapes avant votre départ.
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