Chapitre 5 : De mieux en mieux
Des heures à remplir ce foutu questionnaire. J'ai cru mourir quand j'ai vu le dossier posé devant moi. En même temps, on ne parle pas d'un test comme à l'école avec une vingtaine de questions. Non, il y avait plutôt trois cents questions. C'était interminable ! Ce n'était pas seulement un test de personnalité. Le test recelait aussi des questions d'aptitudes. J'y ai passé quatre heures ! Quatre heures ! Ça n'en finissait pas. Après il y avait des questions vraiment bizarre. La pire, je crois que c'est celle-ci :
Question 250 : Vous voyez un enfant mourant de faim dans la rue, que faites-vous ?
A) Je le regarde, hésite à lui parler et finis par m'en aller
B) Je lui donne ce que j'ai sur moi et je contacte l'armée
C) Je le regarde de manière dédaigneuse parce que je ne supporte pas la faiblesse.
Je me demande ce qu'il cherche à savoir ! Je m'imagine bien choisir la réponse c) et dire oui, je suis une psychopathe et j'adore voir les enfants mourir de faim ! J'espère que ça aura au moins le mérite de ne pas retenir les sociopathes. Enfin bref, le test est terminé. Il ne reste plus qu'à attendre les résultats. On nous a dit de patienter dans la grande salle et que notre affectation apparaîtrait à l'écran géant. Je me sens seule parmi la foule. J'ai perdu de vue les deux filles rencontrées en début de matinée. Mais je ne suis pas inquiète si l'on est condamné à vivre cinq ans, sur ce vaisseau, je finirais bien par les retrouver. Beaucoup de personnes semblent s'être acclimatées à la situation où alors elles cachent bien leur jeu. Si je devais être honnête avec moi-même, il existe une part en moi qui a envie de croire à ce projet et qui est curieuse de partir dans l'espace. Mais l'autre part de moi est angoissée d'abandonner Louis et ma mère durant tant d'années. Ça me paraît impossible. Depuis que Louis est né, je n'ai jamais supporté l'idée d'être loin de lui. On possède ce lien indestructible. Il est ce que j'ai de mieux dans la vie. J'ai l'impression que partir signifie l'abandonner. Mais s'en aller veut aussi dire lui offrir une vie. Et je donnerais tout pour qu'il puisse en avoir une moins terne qu'ici. Voilà pourquoi j'ai abdiqué et pourquoi je laisse la voix de la curiosité prendre le dessus. Parce que je ne peux pas lutter. Pas aujourd'hui du moins. Et sûrement pas durant les cinq prochaines années.
Je ne me mêle pas aux discussions. La journée a été difficile et longue, je veux juste rentrer à la maison. Mais l'écran noir reste opaque. Je ne connais même pas les affectations disponibles ! En tout cas même si ça prend en compte notre personnalité, ça ne me laisse aucune chance de choisir. Vive la dictature ! Les heures passent et je reste assise contre ce mur froid et irrégulier. Mon corps est tendu. N'y tenant plus, je décide de marcher dans la salle en vue de me dégourdir. Mais comme un signal inconscient, l'écran s'allume. Une voix féminine surplombe les bavardages et des messages s'affichent sur l'écran.
« Bonjour nouveaux terriens de Kapt, ceci est un message pour vous transmettre les affectations disponibles :
– Services d'entretien et de santé : personnes s'occupant des tâches relatives à l'entretien du vaisseau. Comprends quatre unités ; ménage, cuisine, laverie et santé. Chaque unité sera sous la responsabilité d'un superviseur agréé par le programme.
– Services de protection et de services aux individus : individus devant protéger le vaisseau et assister toute personne en danger physique ou moral. Deux unités se partagent les deux grandes ailes du vaisseau Kapt. Chaque unité sera sous la responsabilité d'un superviseur agréé par le programme.
– Services du personnel de bord : citoyens ayant pour mission de s'assurer du bon déroulement et de la bonne entente sur Kapt. Trois unités composent ce service ; bien-être/loisirs, navigation et restauration. Chaque unité sera sous la responsabilité d'un superviseur agréé par le programme.
– Service ingénierie : Individus possédant des aptitudes et un intérêt pour la réflexion mécanique. Ces individus devront être formés pour s'assurer du bon fonctionnement du vaisseau à tous les points stratégiques. Ce service se décompose en trois unités : machinerie, installations secondaires et installations tertiaires. Chaque unité sera sous la responsabilité d'un superviseur agréé par le programme.
– Services scientifiques et alimentaires : Personnes détenant les capacités intellectuelles nécessaires à l'évolution scientifique à bord de Kapt. Ces connaissances ont pour but d'amener progressivement une autosuffisance alimentaire. Ce service est composé de trois unités : Alimentation, Santé et Recherche spatiale. Chaque unité sera sous la responsabilité d'un superviseur agréé par le programme.
Un guide vous sera donné par vos instructeurs. Vous devrez l'étudier tous les jours avant le départ afin de prendre conscience des missions qui vous incombent. Ces missions ne sont pas à prendre à la légère. Un règlement très strict régit votre ordre d'affiliation. Nous comptons sur votre sérieux pour mener à bien cette expédition. »
La première catégorie apparait à l'écran ; le service d'entretien. Je croise les doigts derrière mon dos en espérant de toutes mes forces ne pas faire partie de cette section. Je suis prête à me mettre une balle dans la tête si mon nom s'affiche. Je n'ai jamais été une personne d'intérieur. Alors, faire ça durant cinq ans voire plus, non merci.
Après plusieurs noms rangés sous chaque superviseur, je peux enfin reprendre ma respiration. Mais je n'ai pas le temps de me réjouir, la deuxième catégorie est diffusée. Services de protection et services aux individus. Bien évidemment, je souhaite être dans cette catégorie. Après tout, c'est ce qui se rapproche le plus de mon rêve. Si je dois endurer cette vie imposée par le gouvernement, je survivrais plus facilement en sachant que j'aide les autres. Je fixe alors l'écran intensément :
Protection de l'aile sud-est (superviseur Dylan Grops).
Mon nom ne s'affiche pas. Plusieurs dizaines de personnes semblent exulter, un peu plus loin d'où je me trouve.
Protection de l'aile nord-ouest (superviseur Jace O'Brien)
Je porte attention à chaque nom, et finis par voir le mien apparaître. Je ne peux m'empêcher de sourire à cette nouvelle. Savoir que ma personnalité est évaluée comme protectrice des citoyens me rend bizarrement heureuse. Cela a pour mérite d'alléger le fardeau que représente cette mission.
La suite des catégories défile à l'écran. J'aperçois le nom de mes deux nouvelles « amies ». Kloé, la fille blonde et pleine de vie fait partie de l'équipe alimentaire et scientifique. Étrangement, je ne suis pas surprise. Quant à Elizabeth, « la tempête », elle fait partie du personnel de bord. Je ne peux m'empêcher de rire intérieurement. Elle qui ne semble jamais à court de discussion devrait largement se plaire dans cet emploi.
Un message en lettre blanche défile à l'écran : « Veuillez rejoindre votre instructeur désigné quand celui-ci se présentera sur l'estrade. Bonne intégration au programme. »
Comme un troupeau de moutons, nous nous dirigeons dans un silence presque religieux vers l'estrade. Plusieurs personnes se trouvent devant moi et j'ai du mal, malgré mes cent soixante quize centimètres, à dépasser la foule. Je trouve finalement un léger interstice entre deux grands garçons affublés de casquettes noires. Je ne peux m'empêcher de grommeler sur la stupidité de porter des chapeaux dans une salle fermée et éclairée. Un des deux garçons se retourne alors vers moi.
— T'as un problème, ma belle ? me lance-t-il avec un regard arrogant. Ses yeux sont à peine visibles à cause de sa foutue casquette. Mais je ne peux m'empêcher de frissonner. Sa posture ou peut-être sa manière de se rapprocher dangereusement de moi me remplissent de dégout.
— Je ne suis pas ta belle, pauvre type. Et puis tu gênes avec ton truc sur la tête. Je serre alors le poing pour éviter à ma langue bien pendue d'aller trop loin. Je n'ai absolument pas envie de mettre à dos d'autres personnes sur ce vaisseau. Pas de suite au moins.
— Humm c'est qu'elle est mignonne cette gonzesse ! Il se retourne vers l'estrade non sans se passer la langue sur les lèvres. Burk ! À vomir. Bien, je crois que le test n'a pas évincé les sociopathes. De mieux en mieux. Je détourne mon regard non sans bouillir intérieurement. Particulièrement quand je vois ces deux abrutis rire de moi. Je retourne mon attention sur l'estrade face à moi. Plusieurs superviseurs du personnel d'entretien défilent et une partie de la foule commence à les suivre. J'attends avec impatience et épuisement l'arrivée du mien. L'instructeur de la protection de l'aile sud-est se présente, c'est un homme proche de la trentaine avec des muscles comme de l'acier, son regard sonde la foule à la recherche de ses futurs promis. Les deux garçons à la casquette sortent alors de la foule pour le rejoindre au pied de l'estrade. Je suis estomaquée ! Je ne comprends pas ce qu'ils font dans la protection. À croire qu'ils recherchent les gros durs sur ce vaisseau. C'est toujours de mieux en mieux. Je suis bien contente de n'être pas affiliée au même superviseur qu'eux. Parce que me connaissant je n'aurais pas tenu deux minutes dans la même salle que ces deux gorilles. Puis vient le tour du deuxième superviseur en chef de la protection. Mon superviseur. Je joue des coudes pour être en mesure d'être le plus proche de l'estrade et pour mieux voir son visage. Et c'est le choc. C'est l'homme percuté plus tôt dans la journée. C'est alors que mes pieds s'emmêlent et je me retrouve les fesses au sol. Décidément, ce n'est pas ma journée ! Une voix se fait alors entendre :
— Est-ce que quelqu'un peut aider cette pauvre fille à se relever ? Elle n'a pas l'air au mieux de sa forme.
Je ne vois pas son visage, étant donné que je suis rivée au sol, mais je peux entendre le ton moqueur du connard rencontré ce matin. Quelle poisse ! Je tombe et en plus de ça je me tape la plus grande honte de tous les temps. Une fille et un garçon proche de moi me relèvent comme un vulgaire sac de patates. Je prends alors sur moi pour redresser le regard et rencontrer ceux de mon superviseur. Sa moue affligée et moqueuse me hérisse au plus haut point. Ne voulant pas le laisser gagner, je transperce la foule en affichant une posture déterminée. Je rejoins le groupe un peu plus loin. Et l'on finit à attendre le fameux Jace O'Brien.
Je me poste un peu en arrière afin d'être le moins possible de mon nouveau superviseur. Celui-ci se met à distribuer des livrets.
– Comme vous le savez, je suis Jace O'Brien votre lieutenant. Le document dans vos mains est votre livret de mission. Il rappelle à tous les missions qui vous incomberont durant ces cinq années. Je compte sur vous pour porter une attention accrue à tout ce qui est noté. Ne me décevez pas. Il laisse place au silence afin de mesurer chacun d'entre nous du regard. Il finit par me fixer à mon tour dans les yeux. Je fais tout mon possible pour ne pas baisser le regard face au sien. Mais ces yeux bleus lancent des éclairs. Il aime dominer son assistance, ça se voit. Tout en gardant un œil sur moi, il reprend :
– J'espère ne pas être déçu ! Je veux que vous soyez irréprochables et que vous obéissiez à la lettre au règlement. Je me doute que le test n'est pas parfait et que je n'ai pas dans les rangs que les meilleurs, mais il faudra s'y faire. Le regard dédaigneux qu'il me lance me donne envie de le gifler. Quel con ! Il fallait que je tombe avec un macho de première. Nous sommes une dizaine autour de lui et tout le monde paraît boire ses paroles. Particulièrement, une fille qui semble avoir mon âge ne cesse de papillonner sous son nez. Je crois qu'elle confond obéissance et séduction.
Il est temps de partir, je me dirige vers la sortie complètement exténuée. Un voiturier vient à ma rencontre et m'oriente vers la même voiture qu'à l'allée. Je suis tellement épuisée que je sombre dans un sommeil profond durant tout le trajet. Me voilà arriver devant chez moi. La ferme familiale. Une bâtisse en pierre qui malgré les mauvaises conditions climatiques tient debout. Je m'approche du perron, mais je suis surprise de voir la porte grande ouverte. Avec le froid qui règne là dehors, ma mère et moi faisons toujours attention à ce que chaque ouverture soit fermée. J'ai soudain une boule qui se forme dans mon estomac. Je passe le pas de la porte.
— Maman ? Louis ? Vous êtes là ? demandais-je. Mais seul le silence me répond. J'avance vers le salon... Une tache rouge avec une empreinte de chaussure s'étale à l'entrée. Mon cœur s'accélère durement. Mes mains deviennent moites. Je passe alors le nez vers le salon. Et je vois... Ô mon dieu...
***
Coucou tout le monde.
Juste un petit mot pour vous remercier de lire mon histoire.
De plus, ce chapitre a été difficile pour moi à écrire, j'aimerai beaucoup avoir vos avis sur la manière de décrire les différentes sections possibles sur le vaisseau Kapt. Je ne suis pas sure que ce soit agréable pour vous à lire. Enfin je suis très hésitante, comme d'hab :/. Pour finir, il est assez long comme chapitre et malgré mes fréquentes relectures je ne suis pas sure de certaines tournures de phrases. Bref baby-écrivain en détresse ;)
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