Chapitre 12 : Survivre
6 mois avant
Je regarde toujours l’ombre à côté de moi. J’ai peu de secondes pour agir. Il faut que tu te bouges Ali. Allez ! c’est le moment. Comme un félin, je pousse sur mes jambes et cours en direction de la porte. J’y suis presque. Ma mèche obscurcit ma vue, mon cœur palpite à grande allure. Soudain, ma tête est propulsée vers l’arrière. Un voile recouvre mes yeux. La douleur est trop forte. Je ne peux empêcher mon cri. L’ombre derrière moi a quasiment arraché ma natte. Je tente de me relever, mais sa main vient se poser sur ma bouche avec violence. Son corps est entendu sur le mien, sur le sol gelé. Et cette voix, sa voix s’élève comme un tonnerre en plein orage :
— Ali, jolie Ali. Tu vas m’écouter ! Vu que dans quelques secondes, tu n’auras aucune envie de faire venir la sécurité. Car, vois-tu, je sais ce que tu as fait...
Aujourd’hui
Qu’est-ce que survivre ?
Est-ce vouloir aller toujours de l’avant ?
Est-ce être courageux et affronter ses peurs droit dans les yeux ?
Aujourd’hui, à cet instant précis survivre veut-il dire mentir ?
Tant de mensonges, tant de deuils, tant de pertes. À cette seconde, je ne sais pourquoi je lutte, pourquoi j’ai fait tout ça. Je regarde ce matelas, le secret qu’il renferme et je ne suis plus sûre d’avoir les épaules pour y faire face. Aujourd’hui, j’aimerais me battre, mais mes muscles ont décidé d’abandonner le combat.
Fuir alors ? Mais pour aller où ? L’espace n’est pas chaleureux. Il n’offre rien pour l’Homme. Il est juste synonyme de vide. De matière qui fusionne en symbiose. Il ne peut pas me donner ce que je veux. Mais il peut être ma fin. Ai-je fait tout ça pour en finir aujourd’hui ? Ai-je tout abandonné pour perdre ici ? Je ne sais plus quoi faire. Je regarde Jace et l’autre lieutenant inspecter la chambre. Et je suis chamboulée. Mon esprit est divisé. Mais je dois réagir, il le faut. L’adrénaline doit m’aider. Comme elle m’a servi il y a six mois. Allez, Ali, tu peux le faire.
Malgré mes propres encouragements, mes pieds restent ostensiblement fixés au sol. Et je suis là, droite comme un « i », à regarder Jace et Marcus, fouiller les moindres recoins de la pièce. Mon visage doit transpirer le malaise, car Kloé pose une main chaleureuse sur mon épaule.
— Tu vas bien Al' ?
Je hoche la tête. Mais l’idée de parler m’est impossible. Je suis trop désorientée et angoissée pour aligner deux mots. Les minutes passent. Mon matelas n’a pas été encore fouillé. Mais cela saurait tarder. Une drôle de saveur se répand dans ma bouche. Un goût métallique, âpre. Je me suis mordillé la joue. Mais comme un électrochoc, l’adrénaline prend le dessus. Et ma bouche émet enfin des mots cohérents :
– Lieutenants, je peux savoir ce qu’il se passe ?
Jace se retourne, tout comme Marcus.
— Que fais-tu ici ? me demande le lieutenant de l’autre secteur.
Comment ça ? Je ne comprends pas où il veut en venir. Où veut-il que je sois ? C’est ma chambre tout de même !
Jace m’adresse une œillade furtive vers ma main droite. Je porte mon regard sur celle-ci. Mon planning. Mes yeux s’attardent sur la journée de lundi :
« Fouille des chambres du secteur sud-est : les dortoirs de 30 à 40 ».
Eh, merde ! Je tenais ma réponse dans ma paume. Je me maudis intérieurement pour ma bêtise. Obnubilée par ces pensées sombres et par mes multiples détours, afin d’éviter une certaine pièce responsable de mes nombreux cauchemars, j’en ai oublié ce que je devais faire.
Je n’ai pas le temps de bafouiller une excuse probable que Jace me balance d’un ton professionnel :
– Qu’est ce que tu attends ? Au boulot.
Comme un bon soldat, je quitte le lieu. Mes pas m’entraînent vers l’aile est. Mon cerveau n’est plus capable de réfléchir. De toute façon, je suis foutue. D’une minute à l’autre, ils vont le découvrir. La tête baissée et le corps courbés par tant d’obstacles, je percute de plein fouet Riley.
– Bordel, Ali tu peux pas faire attention !
– Désolée, Ry'. Je t’ai fait mal ?
Sa main chasse l’air devant lui, pour me signifier qu’il n’a rien.
– Toi par contre, t’as pas l’air au mieux !
Je n’ai pas la force de lui mentir. De toute façon, je ne serais pas assez convaincante.
– Bof.
Il me regarde avec ses grands yeux gris sans broncher, attendant sûrement que je poursuive. Mais je ne dis rien. Mon cœur se serre à la vue de cette solitude. Je ne peux rien dire. À personne. Jamais. Et c’est là un prix qui parfois semble trop coûteux à mes yeux.
Pourtant, Riley est un ami comme on en fait peu. Malgré mon mutisme, il me comprend mieux que quiconque. Peut-être parce que lui aussi est différent. Et que le poids de cette différence a fait de lui un être à part. Ses parents sont décédés quand il avait onze ans. Morts de faim. Il a dû se débrouiller seul. Errer entre ici et ailleurs. Se contenter de peu pour survivre. Sur son visage on peut apercevoir les stigmates de la vie qu’est la rue. La loi du plus fort. Une jungle où sa place s’avère plus chère qu’on ne le croit. Mais par chance, Riley a rencontré cette personne significative, celle qui a ouvert les possibles. Quand il parle de cette femme qui l’a recueilli à ses quatorze ans, ses yeux brillent de reconnaissance. Il me dit souvent qu’il serait mort de faim, de froid, de bleus, si Ingrid ne l’avait pas sorti de la rue. Quand il me raconte son histoire, je ne peux pas m’empêcher de penser à la jeune fille de Greeley.
Mon estomac se contracte en songeant à elle et a son quotidien dans les allées boueuses du centre-ville. C’est rageant de n’avoir qu’une vie et de la passer à survivre plutôt que vivre. Dans ce monde, on a tous des parcours de vie entrecoupés de noirceur. Pour certains, ce ne sont pas seulement des interstices. Mais plutôt une ligne déjà dessinée. Celle de Riley a bifurqué. Il est allé à l’école, à tout rattraper, et il est devenu un des meilleurs ingénieurs de ce pays. D’où sa présence, en tant que superviseur de la section ingénierie. Voilà pourquoi il est différent, il sait la chance à laquelle il a eu le droit, alors que d’autres ne l’ont pas. Il sait parfois que courber l’échine ne suffit pas. Malgré cela. Malgré tout. Je ne peux pas me reposer sur lui. Je ne peux avoir confiance en personne.
Alors, pour seule réponse, je le prends dans mes bras. J’ai l’impression que c’est la dernière fois que je vois son visage écorché, mais si souriant.
– Merci, je lui chuchote dans le cou.
–Merci pour quoi ? me répond-il sur le même ton
– D’être toi...
Je me décroche de ses bras et affiche un sourire sincère
– On se voit toute à l’heure ?
Mais je sais qu’il n’en sera rien.
J’erre alors dans le vaisseau. Et je ne manque pas de place. Pourtant, se cacher s’avère difficile, voire impossible ici. De toute façon, je ne peux lutter. Je me poste devant la carte du vaisseau. Espérant peut-être que cela me donne une idée. Un schéma très détaillé de la station Kapt est affiché. On peut y lire :
Palier 1 :
Espace de vie des élus (c’est-à-dire moi et plus des trois quarts de ce vaisseau)
Cafétéria
Espace de loisirs (salle de sport, espace de jeu et de partage)
Services d'entretien et de santé (locaux d'entretiens, pavillon médical, laboratoires)
Palier 2 :
Services de protection de l'aile Sud-Est et Nord-Ouest (salle de réunions, locaux de commandements, salles d'entrainements)
Services scientifiques et alimentaires (laboratoires, serre, cargaison alimentaire)
Observatoire
Dortoirs des superviseurs
Palier 3 :
Services du personnel à bord (centre de navigation)
Service ingénierie
Salle des machines
Je me contente d’un dernier regard, puis je me dirige vers le deuxième étage, à l’observatoire. J’aime cet endroit. Vitré de tous les côtés, on a l’impression d’être dans l’espace. C’est un endroit calme. Peu de gens s’y rendent maintenant que l’espace est devenu un lieu commun. C’est toujours ici, où je me sens le plus en phase avec moi-même et où je peux faire tomber le masque.
Posée sur les marches face à l’univers, je contemple l’endroit où je serais surement éjecté dans quelques heures. Mais bizarrement, je ne suis plus inquiète. Une certaine quiétude a envahi mon être. Je suis de retour avec Louis. Dans notre maison. Je peux voir son doux visage et son rire si communicatif. Je le regarde courir dans le couloir, son petit chat en peluche sous le bras. Cette vision fait couler des larmes sur mon visage. J’ai fait tout ça pour lui, pour qu’il puisse être heureux. Et j’ai échoué.
Soudain, je sens une présence derrière moi. Je fais volte-face. Jace se tient droit devant la porte. Ses yeux sont braqués sur les miens. Il est furieux. Ses sourcils sont contractés. Je le regarde. Attendant les fameux mots. Ceux qui me condamneront. Après de longues secondes de silence, Jace s'adresse enfin à moi :
– Alison, qu’as-tu fait ? ses paroles sont jetées avec tant de dureté que je ne peux m’empêcher de trembler.
Voilà. Il les a finalement lâchés les mots tant redoutés.
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Coucou tout le monde ! Juste un petit message pour vous remercier de votre soutien, de vos commentaires et de vos annotations. Je reste motivée avec votre présence. Alors merci du fond du coeur. Je me sens moins seule dans mon écriture.
J'espère que ce chapitre va vous plaire, mais j'ai quelques hésitations sur certains passages (notamment la présentation du vaisseau, et l'émotion d'Ali). J'ai eu de la difficulté à l'écrire ce chapitre...
Encore merci !
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