[Petit texte] - Un secret rangé dans la valise

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La poussière s’accumulait sur le sol avec une once d’humidité et un zeste de moisi. Andélabre, le petit curé du village, regarda la valise sur son lit avec un air atterré : vide, prête à être remplie comme le cœur d’un croyant par la grâce divine. Sur le côté, quelques vêtements déjà pliés : ses sept soutanes de semaine, son lot de chemises, de chaussettes et de bas, deux pantalons, un long et un court pour les périodes hivernales et estivales. Andélabre y tenait, à ces frusques : aussi modestes soient-elles, elles étaient chères à son cœur, car elle lui rappelait combien sa vocation donnait du baume au cœur des gens. Il prit chaque vêtement et le plaça dans la valise, avec un signe de croix et un baiser sur chacun d’eux. Demain serait un nouveau jour.

Son petit appartement se trouvait dans la chapelle St Eustère, dans la province du Péridor. Elle se situait sur la route 44, qui longeait l’onde de la Tumelière avec ses beaux roseaux et amandiers. Il avait tout ce dont il avait besoin ici : une penderie où une robe ou deux traînait encore, un miroir et quelques nécessaires de soin de peau que le vieil abbé Montreuil, son prescripteur, n’appréciait pas. Il y avait aussi, sur le rebord de son évier, une photo assez abîmée d’où ressortaient deux visages féminins souriants, dont l’un était bien trop familier. Il prit la photo et la mit dans sa valise. Il prit aussi sa brosse à dents. Le rouge à lèvres, celui qui appartenait à cette personne qu’il devait maintenant fuir et détester, ce tube doré aux entrailles carmin comme le feu de Satan, il ne le prit pas, parce que c’était un objet du malin selon les mots de Montreuil. Andélabre partit vers son bureau, un petit chef-d’œuvre baroque en saule bien lustré, mais usé par les années. Il aurait aimé le prendre, mais, avec un sourire, il pensa que ce serait incongru si les gens le voyaient avec une valise très, très déformée. Sur le bureau, quelques livres, de théologie et de philosophie surtout. Mais il y en avait un qui ne semblait pas à sa place, avec sa belle reliure en cuir vert pomme et ses fils d’or cousu qui écrivaient : Tirésias. C’était son livre préféré quand il était encore enfant de chœur, mais aujourd’hui, il ne l’avait plus lu depuis des années. Peut-être… Il secoua sa tête : ce n’était pas le moment de céder à ses démons. Il les avait vaincus, repoussé dans la douleur et le sacrifice sacré, Dieu comme bouclier. Il était lui-même. À la place, il prit un exemplaire de chaque auteur : Spinoza, Montaigne, Rousseau, Molière. De grands hommes, stables et sûrs.

Il prit quelques stylos, son carnet. Il y notait ses pensées les plus volages, et aussi les plus secrètes, mais seulement sur le côté gauche ; le droit servait à noter les confessions des villageois et autres petites horreurs qu’ils avaient accomplies. Si Andélabre n’était pas tenu par le secret confessionnel, il aurait pu faire la chronique la plus morbide de toute la région. Il posa le tout dans sa valise, déjà bien remplie.

Ensuite, l’armoire : à la fois garde-manger et vaisselier, il contenait quelques boîtes de conserve, deux emballages de galettes bretonnes et aussi un petit sac de réfrigération, où les matrones du village venaient y déposer leurs dernières spécialités culinaires qu’elles n’avaient pas changées depuis 40 ans. Andélabre n’était pas atteint de gourmandise, mais il possédait un palais fort délicat et appréciait d’autant plus les périodes de fête où l’on servait de belles assiettes bien goûtues. Il prit une boîte de raviolis, une boîte de haricots rouges et une boîte de cassoulet. C’était la marque Bonnimenteur, de 1996. Un souvenir lui revint, tenace : camping au coin du feu, atmosphère glacée, mais compagnie chaleureuse, étoiles bariolées et forêt terrifiante, plat réconfortant, mains gracieuses, désirées. Pas sur lui, mais pour lui. Il chassa le souvenir : revenir sur cette période ne serait qu’un coup de burin supplémentaire. Il se souvenait de Madame Dubeauchamp, avec son nez de canard et sa façon de hacher les mots : elle s’était plainte une fois, dans le confessionnal, que sa petite-fille mettait des pantalons longs, portait des T-shirts, se coupait les cheveux et buvait des bières avec les garçons. Qu’elle filait « mauvaise fille » ou « garçonne ». Andélabre n’aurait dû qu’écouter. Au final, il avait répliqué :

— Vous savez, moi j’aime bien porter des robes.

Au début, il avait utilisé le ton de la blague. Mais il n’avait pas vu, pas entendu les messes basses, les regards déplacés et les vieilles histoires de vacances en brousse avec une certaine Léonie. Les villageois avaient fini par pousser le maire à demander la mutation du petit curé. L’abbé Montreuil avait accepté et l’avait sommé de partir, de faire ses bagages. Parce que les gens du village étaient nombreux, eux. Ils n’avaient pas besoin de faire leur valise : ils préféraient rester et regarder récolter leurs petites habitudes à même le sol, où s’accumulait la poussière.

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