Silence de Marbre
Blafard était enfin parvenu à son objectif. Il caressait des yeux cet étrange coupe dorée à la ciselure grossière, aux pierres enchâssées à la hâte.
Revenir dans cette pièce, ça lui rappela des souvenirs d'enfance. Des souvenirs lourds d'ennuis, de longues balades où la vie n'était qu'une lente succession d'attentes, de faux espoirs, d'engorgements désavoués. Et puis, il y avait eu l'interdit. Le danger, l'aventure. Quelque chose qui le faisait frémir, à contrario de ses frères pour qui cette mise en garde n'avait jamais excité les esprits, trop tournés vers l'étude du monde et de ses enchâssements. Blafard laissa perdre son regard entre les replis de ce métal doré étrange, qui faisait écho à sa vie cabossée, malmenée par sa propre différence. Lui n'aimait pas ce que faisait les choses, ils les aimait en elles-mêmes. Il était skaldnjol de nature et d'esprit.
Du bout du doigt, il effleura le métal. Chaud. Seulement ce n'était pas dû au sang humain s'écoulant le long du rubis gauche fendu. Le métal chauffait à cause de la lente énergie qu'il dégageait, douce et sordide. Blafard frémit ; il devait faire vite. De sa besace, il sortit une autre coupe, en tout point semblable à la vraie. Celle-ci était couverte de Runes d'abondance, de fertilité et de pouvoir. Avec la plus grande des délicatesses, il retira le Calisang de son piédestal avant de le remplacer par cette copie. Ensuite, il versa une goutte du sang du Calisang dans la fausse coupe, qui vibra. La goutte bouillonna au fond, puis se multiplia. Encore, encore et jusqu'à que la copie soit pleine à ras-bord, puis déborda comme convenu. Tout était remis à sa place, personne ne remarquerait la différence avant une décennie. Au moins.
Satisfait, Blafard s'écarta pour regarder le Calisang entre ses longs doigts osseux : malgré les défauts rustiques, l'objet scintillait d'un pouvoir intemporel, qui altérait la fabrique du monde. Sa famille n'avait jamais vu le potentiel de l'artéfact, car ils étaient trop rationnels et attachés à leurs traditions. Lui, en revanche, c'était la principale raison de son retour : arracher un objet divin de son temple pour en faire un meilleur usage qu'une simple source illimitée de sang humain. Car le Calisang était la frontière entre la vie et la non-vie. La seule chose au monde qui pouvait contrecarrer la magie par son pouvoir de création… Sans plus de cérémonies, il le rangea dans sa besace et sortit du temple par le passage secret.
[...]
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