Le mage & Caractère Incarné Excrécrable
Il n'y avait pas de temps, pas de récit. Il n'y avait que la Chose.
M. Maurin n'aurait pas choisi meilleure proie en ce jour. Il s'approcha subrepticement de l'élève en question et se posta devant elle, les mains derrière ses propres hanches – il n'allait pas passer à l'action tout de suite ! – et lança d'une voix claire avec un fort accent :
— Mlle Garnier, vous ne m'avez pas rendu le devoir maison de la dernière fois.
— Euh… pardon, monsieur, mais j'étais absente.
— Ah !
Il leva les mains et les yeux avec un air dramatique, une note déplorée dans son timbre ; sous la lumière des plafonniers, son crâne ressemblait à un perle. Il reporta son attention sur l'élève, qui avait l'air penaude. Son plaisir de la tourmenter faillit prendre le dessus, mais il se retint. À la place, il ne fit que dire :
— Ne vous inquiétez pas, vous pouvez encore rattraper votre travail !
Il la savait très bonne élève et la moindre incartade à cette catégorie d'opportunistes les atteignaient jusqu'aux fondements même de leur existence. Leur tendre une corde résultait forcément à les voir grimper depuis le gouffre. Alors le visage de Mlle Garnier s'éclaira, mais Maurin darda sur elle des petits yeux inquisiteurs, accompagné de sa moue habituelle :
— Vous me donnerez le même devoir accompagné d'un autre sur la Seconde Guerre Mondiale.
— La Seconde Guerre… Mais ce n'est que du programme collège, monsieur ! Vous êtes sûr ?
— Archi. J'attends vos deux travaux d'ici la semaine prochaine.
Et il savoura la torture sur ce petit visage qui tentait de dissimuler son désapointement. Une semaine, c'était trop peu et il le savait. En prenant son temps, il attendit que le silence s'étende jusqu'à la limite de la gêne, avant de se pencher vers elle :
— Sinon, nous pouvons en discuter dans la salle de classe, avant les cours, disons… un quart d'heure avant ?
De nouveau, l'éclaircissement, comme si les plafonniers avaient brusquement ressurgi. Mlle Garnier acquiesça et il la laissa dans son faux espoir ; quelle gâterie cette élève allait lui offrir pour s'attirer ses faveurs ?
Puis il le croisa. Cet élève récalcitrant, perturbateur et pourtant assez impliqué pour ne pas être renvoyé. D'un point de vue extérieur, ils n'échangèrent qu'un vague regard dans le couloir, marchant dans des directions opposées.
Maurin sentit le monde se mettre en mouvement. Cet élève se dissimulait, tout comme lui, des regards imprudents. Tous deux jouaient sur une scène plus vaste, tiraient les ficelles des marionettes en tentant de s'approprier celles de l'autre, à l'instar de deux artistes avec un Pinnochio. Chaque détail comptait, Maurin le savait. Il voulait le pouvoir, à tout prix. Mais cet élève… non, ce monstre qui marchait nonchalamment comme tous les humains autour de lui, barrait sa route jusqu'à la victoire ultime, le pouvoir de réécrire le monde à son image, de dévorer les concepts et les balayer d'un revers de main. De tuer Dieu et de pisser sur sa tombe.
Avec un roulement d'épaules, Maurin fit refluer sa véritable nature, celle qui lui permettait de se dissiper entre les mailles de la réalité. Il allait jouer encore un peu. Quelques milliers d'années tout au plus. Déjà, il se léchait les babines quant au prochain plaisir physique qu'il s'était accordé.
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