De glace en boue

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J’ai quitté Côtargent.

Tu te souviens de l’an passé, de cet hiver dernier où personne n’aurait imaginé me voir partir pour une région aussi froide en cette période où le vent battait les fenêtres comme un plâtre ? Faut dire que s’égayer devant une beauté figée, de toute manière, c’est tout moi : j’aime à penser que les choses resteront les mêmes. Mais je dois te l’avouer, je m’étais menti à moi-même : j’avais fui la ville, ces gens aux yeux baissés, le nez rivé dans leur petit monde.

Tout ça, c’était trop pour moi.

Mon sentiment n’était au début qu’un petit cliquetis d’horloge, une alarme si légère que même le souffle d’un oiseau ne l’occultait pas. En mon creux de cœur, de ventre, la tumeur métropolitaine avait rapidement nécrosé les quelques parties encore saines, celles qui pulsaient d’autant plus fort au regard du vert larmoyant des feuilles, du feu blanc des nuages, des incessants orchestres des oiseaux. « Me balader dans les boulevards »… Plutôt je rampais face contre terre à embrasser le béton armé, charmé par des senteurs de mille histoires qu’on foulait chaque jour sans jamais tendre l’oreille. Des myriades de petites cachotteries, d’instillations néfastes et mauvaises qui empestaient la marée-chaussée. Mon corps de chair avait cédé sa place au métal des voitures, mon sang s’empuantait de mazout et mes yeux, tels des phares, cherchaient en fenêtres affamées quelque histoire. Mais là, sur ce monde seul, replié sur lui-même, tout finissait par pourrir à cause du trop-plein, de la vitesse et des morsures du vent.

À l’heure où je t’écris, je l’entends toquer à ma fenêtre. Le vent, lui je m’en souviens : il est toujours là pour me transporter autre part, loin des étouffements délétères et m’emporter vers des fraîcheurs éphémères. Il monte si haut que rien ne l’arrête et alors, il devient plus que le vent : une métamorphose de couleurs invisibles autrement que par le nez. C’est quelque chose que je ne peux pas partager parce que c’est quelque chose que l’on décide par soi-même. Et surtout parce que je ne veux pas parler de ce qui s’est passé là bas, dans la région la plus froide et austère du monde. Mais c’est décidé : demain, je retourne à Côtargent.

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