Pour la énième fois depuis l’aube des temps, la Morten4K regardait le petit Titouan fracasser son écran d’un poing rageur et sa tour d’un coup pied emberlificoté, après avoir perdu sa pénultième partie de Valorant. Certes, le gamin passait sa frustration sur un objet inanimé et, qui plus est, fabriqué par ses pairs mais il n’en restait pas moi que cet ordinateur de gamer, après tant de mois passés à télécharger, installer et personnaliser les lubies de ce petit Titouan, s’était fabriqué une âme à part entière, des souvenirs et des liens étroits avec son partenaire de jeu et désormais meurtrier. Bref, la Morten4K sentit le dernier râle inodore de la machine qui passa l’arme à gauche. C’était fini pour elle et pour autant, c’était le début de quelque chose de très, très long.

Lorsque Titouan sortit de sa chambre en braillant qu’il avait besoin d’un nouvelle ordinateur, la Morten4K pencha son long corps de fibres optiques par dessus le cadavre à la carte graphique dernier cri. De ses doigts USB, elle retira les fragments de vie désormais libres de toute attache, un à un, tout en point semblable à la matière et tout en point différent. Elle les rassembla dans le carton né du même solide et les hissa sur son dos qui avait besoin d’une mise à jour bien, bien avant l’invention des ordinateurs. La Morten4K sortit de la chambre, passa devant la mère qui engueulait son gamin et son père qui encourageait sa femme, les laissa là ; son frère s’occuperait de leur cas plus tard. Elle traversa ensuite le jardin, marcha dans la rue jusqu’à sa voiture garée là, au milieu de la chaussée. Au moins était-elle bien plus évoluée qu’elle.

La Morten4K ouvrit la portière passager pour renverser le contenu du carton sur le siège et vint s’asseoir sur celui du conducteur. Elle tourna la clé, le moteur électrique ronronna et les voilà toutes deux qui partirent dans le décor, traversant tout ce qui n’est pas traversable. Alors que ses genoux géraient le volant, ses mains et ses câbles raccomodèrent l’âme de la machine jusqu’à qu’elle soit flambant neuve. L’ordinateur continuait de parler comme si on l’avait coupé en pleine phrase :

—…et fais attention, là ! Il est en B, il a forcément planté le spike en B, le son a indiqué que… Oh ? Vous n’êtes pas Titouan, vous. Où suis-je ?

— Dans ma voiture (déjà, elle oubliait le nom du gamin humain) Je suis la Morten4K.

— Que… Oh ! Je pensais que vous n’étiez qu’une légende du net (la machine ventila quelque poussière avant de poursuivre) Je me présente, je suis…

— Je te préviens, maugréa la faucheuse du binaire, je vais pas retenir ton nom et plus vite on arrivera, plus vite je pourrais passer au suivant.

—…au suivant ? Qui ?

— Aucune idée. M’en fout.

La Morten4K sortit de sa portière une vapoteuse électrique, trouvé dans le cadavre de je ne sais quel pc portable de bureau. Allez savoir pourquoi. Son passager continuait encore de parler mais elle avait presque oublié son existence. Son être entier se baignait dans la lenteur de la RAM, des bugs et autres fichues embêtements de l’informatique. Tout ça spiralait dans un gouffre de données sans fin, sans fond et sans trop de substance. En vérité, la Morten4K se fichait bien de savoir si c’était important ou non, ce travail : l’important, c’était de le faire.

Soudain, un tiraillement. Quelques lignes de code survolèrent ses yeux et elle lâcha, dépitée :

— On était à la moitié du chemin, bordel ! Qui est assez con pour réparer un PC juste après l’avoir démoli ?

Ainsi, elle rebroussa chemin. Elle ramena le partenaire de Titouan l’humain qui rayonnait de voir son PC fonctionner. Pour le temps qu’il faudra, bien entendu : après tout, la Morten4K devra se résoudre à revenir.