Chapitre 8 - Le conclave
La plus grande salle de la Maison du Verbe imposait par sa majesté. Elle s’étendait sur un rayon d'environ 90 pieds, avec un plafond culminant à 30 pieds de hauteur. Une trentaine de colonnes massives soutenaient un dôme en grès dense et compact. Les murs et le sol étaient revêtus de marbre blanc aux élégantes veines noires. Des torches, fixées à chaque colonne, baignaient la pièce d’une lumière douce et chaleureuse. Au loin, le son des carillons flottait dans l’air.
Dans la Salle du Conclave, le haut mage Alfoncius observait ses pairs qui, un par un, entraient par la double prote et prenaient place autour de lui. Les hauts mages de l'Aubelhaut se rassemblaient lentement.
Le carillon s’éteignit et un silence lourd se fit entendre, rempli de tension.
Le vicaire prit alors la parole, annonçant le début de la session.
— En ce jour des deux lunes, la séance extraordinaire du conclave est ouverte. Conformément à l'article XI du livre des voix, les membres de cette assemblée seront enfermés dans cet hémicycle le temps nécessaire pour prendre en considération toutes les voix et documents indispensables à la clairvoyance de nos années à venir.
Un lourd silence s’abattit sur la salle alors que chaque mage prenait place autour du grand cercle. Les regards se firent plus perçants, plus graves. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir la tension palpable dans l’air. Il y avait quelque chose d’effrayant dans cette scène, une connaissance profonde que ces hommes, ces mages, cherchaient à comprendre, mais qu’ils redoutaient aussi.
Le vicaire poursuivit.
— Sieur Alfoncius dépose en ce lieu un ouvrage. Cette relique est écrit en partie en vieux Litianan et une autre partie en verbeux. Il s'intitule "Les lettres des ombres" et a été écrit par l'oracle Lorien de Calabe.
Il marqua une pause, et un silence lourd emplit la salle, comme si ce nom seul avait un pouvoir étrange. La tension monta.
— D'après la lecture de Sieur Alfoncius, cet ouvrage raconte l’éveil de Beloth. Le verbeux semble être la voix qui ouvre le chemin à ce dernier pour revenir parmi nous et remplacer la parole des païens par le sang et la prière des croyants.
Un frisson parcourut la salle. Un souffle glacial parcourut l’espace, et je sentis le sol sous mes pieds trembler légèrement.
Dans un silence presque solennel, le vicaire énonça les questions qui allaient déterminer le destin de cet ouvrage, de cette relique, et peut-être du monde entier.
— Mes Sieurs, hauts mages de l'Aubelhaut, en cette heure tragique, voici les questions que nous devons valider en ce lieu.
Il marqua une pause avant de les énumérer :
— Ce livre est-il la première relique de Netropole ?
— Ce livre est-il une des clés qui permettrait le retour d'un dieu sur notre planète ?
— Ce livre permet-il de retrouver les reliques pour ressusciter Beloth ?
— Qui est le garçon qui doit le guider jusqu'à notre monde ?
— Croyons-nous en cet oracle ?
— Enfin, devons-nous détruire cette relique ?
La salle sembla se rétrécir autour de moi, comme si chaque question pesait sur mes épaules. Puis, le vicaire annonça :
— Ce livre a été apporté par un jeune moine copiste, ici présent. Avant tout, il va lire à haute voix les pages en Litianan à cette assemblée.
Le poids de l'instant m’écrasa. C'était moi. J'étais ce jeune moine. J'avais été choisi pour lire les pages. Mon cœur s'accéléra, mon souffle devint court, et je me levai lentement. Je m’avançai vers le pupitre, mes mains tremblantes. Je savais ce que j'allais faire, mais je n'avais aucune idée de ce qui allait en découler. Il y avait une certaine appréhension en moi, un pressentiment que lire ces mots allait changer quelque chose de fondamental dans ma vie.
Je me préparai à lire, mes lèvres tremblant légèrement. Les premières pages du livre s’offrirent à moi, et je me mis à lire les vers en Litianan. Les mots étaient étranges, comme une mélodie antique, mais je les prononçais sans difficulté. À mesure que ma voix s’élevait, une onde invisible sembla se propager dans la pièce. La lumière autour de moi s’intensifia. Une énergie brute s’échappait des mots eux-mêmes, envahissant la salle. Les murs tremblèrent. L’air se chargea d’une tension électrique, comme si quelque chose de gigantesque s’éveillait.
Les premiers vers étaient incohérents, des bribes de phrases incompréhensibles, mais à mesure que je continuais à lire, l’ambiance devenait de plus en plus lourde. Mon corps était secoué par l’intensité de ce qui se passait. Je sentais le poids des regards converger vers moi, une pression palpable. C’était comme si tout autour de moi se cristallisait en une seule intention : réveiller quelque chose.
Je tournai la page et, à mesure que mes yeux se posaient sur les mots, quelque chose en moi se produisit. L'atmosphère devint plus dense, comme si les murs eux-mêmes étaient suspendus dans l'air, attendant de voir ce qui allait se passer. Les mots, qui semblaient incohérents au départ, se transformaient peu à peu en une sorte de chant incantatoire. Leur puissance m’enveloppait, m’aspirait dans un tourbillon de visions et de sensations. Mon corps frémissait, pris dans un jeu d’échos qui traversait la salle et semblait se répercuter dans les murs. Chaque syllabe que je prononçais était comme une porte qui s’ouvrait sur un autre monde, une réalité plus grande, plus ancienne, bien au-delà de ce que je pouvais comprendre.
Les pages révélaient des images de ténèbres et de lumière, des scènes où des voix se levaient pour invoquer des forces inconnues, des paroles qui appelaient Beloth, l'entité sombre, un dieu ancien, dans le monde des vivants. Mais alors que je récitais les vers, quelque chose de plus précis se dessina, quelque chose qui me fit soudainement frissonner. Les lettres précisaient avec une clarté glaciale le lieu exact où cette résurrection devait se produire : un autel noir dans une immense église de pierre, un endroit où la magie et la prière se mêleraient pour faire revenir l’ancien Dieu. L’obscurité et la lumière se mêlaient dans une danse macabre, et le livre semblait m'indiquer le chemin pour que cela devienne réalité.
Puis, au milieu de cette lecture, un nom apparut, un nom que je n’avais pas vu venir. L’adolescent qui sera la renaissance de Beloth à travers le Verbe, écrivait le livre. Mon gorge se serra. Un froid glacial m'envahit alors que je réalisais ce que cela signifiait. Ce garçon, celui qui allait faire revenir Beloth… c’était moi. Tout à coup, chaque regard de la salle, chaque silence pesant, chaque souffle suspendu avait un sens. Ils savaient. Ils m'avaient vu avant même que je n’aie compris. Le poids de ces mots m’écrasa.
Je levai les yeux, et à cet instant, je ressentis les regards des mages converger vers moi. Leurs yeux sombres étaient pleins d’attente, de calcul, et de mystère. Il n’y avait pas de réconfort dans leur regard, seulement une dure réalité que je n’étais pas prêt à affronter. Mon cœur s’emballa, battant la chamade dans ma poitrine. Un vertige me saisit, non pas à cause du lieu ou de la situation, mais à cause de ce que j’étais en train de découvrir : ce livre, ces mots, ces verbes, cette prophétie, tout semblait m’avoir conduit ici, à ce moment précis, pour accomplir quelque chose de plus grand que tout ce que je pouvais imaginer. Une mission. Une destinée.
Je reculais d’un pas, le poids des regards maintenant plus lourd que tout ce que j’avais pu éprouver jusque-là. Il m’était difficile de respirer, comme si l’air dans la pièce s’était fait plus épais, plus difficile à absorber. Je compris, dans une fraction de seconde, que la lecture que je venais de faire n’était pas juste une révélation pour moi. C’était un catalyseur, un signal qui allait mettre en marche un processus irréversible. Chaque mot que j'avais prononcé avait libéré une énergie que personne dans cette salle ne pouvait ignorer. Une onde de choc invisible traversa l’espace, secouant les colonnes et faisant trembler les pierres du sol au plafond.
Le silence qui suivit était d’une lourdeur absolue, comme si le monde entier avait retenu son souffle. Les mages restaient immobiles, figés dans un moment suspendu, eux aussi imprégnés par ce que les paroles avaient déclenché. Le temps sembla s'étirer. Mais je savais que quelque chose d'important s’était produit, que le livre lvenait d’accomplir sa fonction. Il avait lancé un fil invisible entre le passé et l’avenir, une ligne qui me reliait désormais à Beloth, à ce dieu ancien qui, à travers moi, allait revenir dans ce monde.
Je baissai les yeux, les pages du livre toujours ouvertes devant moi, et le monde autour de moi sembla se dissoudre, comme si je m’étais retrouvé à l’épicentre d’un cataclysme. Ce n’était plus seulement un livre, ce n’était plus seulement une prophétie lointaine. C'était une vérité qui frappait maintenant à la porte de mon âme, une vérité que je devais accepter. Mais était-ce ma volonté, ou était-ce un destin bien plus grand que tout ce que je pouvais contrôler ?
Une brise glacée souffla dans la salle, faisant frémir l’air autour de moi, et je compris que ce moment marquait le début de quelque chose d’inévitable.
Je reculais encore, ma tête noyée dans les pensées qui tournaient à une vitesse folle. Le poids des regards, la présence de ces mages, la puissance de la lecture... tout semblait m’étouffer. Soudain, un bruit sourd, profond, brisa le silence de la salle. Un tremblement se fit sentir sous mes pieds, comme si le sol lui-même s'était révolté. Les colonnes massives se mirent à vibrer, et je vis les murs autour de moi se fissurer sous la force de l’énergie qui venait de naître dans la pièce. Une onde de choc invisible parcourut la salle, secouant les pierres, faisant trembler le dôme au-dessus de nous. Des morceaux de pierre se détachèrent, tombant bruyamment sur le sol.
Les mages se redressèrent brusquement, leurs visages pâles, leurs yeux remplis de peur et de confusion. Ils regardaient autour d’eux, comme si ce qu’ils venaient de libérer échappait désormais à leur contrôle. Un vent glacé soufflait, frappant les visages, et des éclats de lumière, comme des éclairs, jaillissaient dans les ombres. Une panique indescriptible commença à se répandre parmi eux. Certains se levèrent précipitamment, fuyant la scène, tandis que d’autres, se tordaient de douleur, frappés par des vagues de chaleur et d’énergie provenant du centre de la salle.
Je sentis la tour trembler avec une telle violence que je dus m’accrocher au pupitre pour ne pas perdre l’équilibre. Mais au fond de moi, je savais que ce n’était pas un simple tremblement. C’était l’énergie du Verbe qui se déchaînait. Les mages s’étaient tous figés, mais leur regard se tourna alors vers moi, la terreur désormais écrite sur leurs visages. Ils comprenaient. Ils savaient maintenant que ce qui venait d’être libéré ne pouvait être maîtrisé.
Un mage hurlà.
— Il faut l'arrêter ! Il est l'instrument de sa résurrection !
Sa voix tremblait de peur, et une lueur de folie brûlait dans ses yeux. Les autres hochèrent la tête, et une tension meurtrière s’installa soudainement dans l’air. Leurs mains se levèrent, des incantations rapides fusant dans l’air. Les mots résonnaient dans la salle comme des décharges électriques, mais leur pouvoir était faible face à l’énergie que j’avais invoquée. Je pouvais sentir leur magie se heurter à un mur invisible, une barrière que je ne comprenais pas encore totalement. Mais leur intention était claire. Ils voulaient m'arrêter. Ils voulaient me tuer.
Un mage, s’élança vers moi, brandissant un artefact magique. Le bruit de ses incantations résonna, et je vis des éclats de lumière jaillir de son bâton. Je fis un bond en arrière, esquivant de justesse l’attaque, et la magie frappa le pupitre, réduisant une partie du bois en cendres. Les pierres autour de moi vibrèrent avec plus de force, mais l’onde qui se propageait ne venait pas de moi. Elle venait de là-bas, du cœur de la salle, comme si le Verbe lui-même était devenu une entité consciente.
Le ciel à l’extérieur s’assombrissait, et je compris que si je ne partais pas immédiatement, tout ici serait détruit. La peur s’empara de moi, mais c'était une peur différente, une peur qui ne venait pas de la magie, mais de ce que je venais de libérer. Je n’étais plus qu’un spectateur, comme si mon propre corps m'échappait, happé par la force du Verbe.
Je pris une décision instantanée, dictée par un instinct de survie. Je devais m’enfuir. Je n’avais plus le temps de comprendre ce qui se passait. Le sol tremblait de plus en plus, et les tours autour de moi commençaient à se fissurer. Une partie du plafond s’effondra dans un fracas de pierres, et les mages hurlèrent de terreur. Les colonnes vacillèrent sous l’intensité de l’énergie dégagée, et je vis une partie du mur se désintégrer sous une explosion de lumière.
Sans réfléchir davantage, je pris le livre et mes jambes à mon cou. Je courus à toute vitesse à travers la salle, évitant les débris qui tombaient des murs, entendant les cris des mages derrière moi. Certains tentaient de lancer des sorts pour me retenir, mais chaque incantation se heurtait à l'énergie brute que j'avais libérée. Leur magie était bien trop faible maintenant. Je perçus un éclair d’un sortilège, me frôlant la peau, mais je ne m’arrêtais pas. La seule chose qui comptait était de sortir de ce lieu, de m’échapper avant que tout ne s'effondre.
La sortie se rapprochait, mais je savais que je n’étais pas en sécurité. Les tours tremblaient, leurs fondations s'effritaient sous la pression. Je jetai un dernier regard à l’intérieur de la salle, et je vis les mages se battre contre la force que j’avais provoquée. Leur magie se déployait comme un bouclier, mais tout était en train de s’effondrer, et je savais que si je restais plus longtemps, je serai pris dans l'effondrement total du lieu.
Je m’élançai vers la sortie, un frisson parcourant mon échine, et au moment où je franchis le seuil, un dernier éclat d'énergie éclata derrière moi. Le son de la destruction résonna dans l’air, et je ne pus m’empêcher de ressentir la terreur du monde entier qui, d'une certaine manière, venait de commencer à basculer.
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