Rachel
Musique énervée. Rires alcoolisés. Visages rouges, danses désarticulées. Odeurs de sueur, de cocktails et de fumée. Empilements de bouteilles vides, de manteaux dans les vestiaires et de gens ivres sur les canapés. Comme tous les jeudis soir, la même jeune et jolie demoiselle épuisait les hormones des vigoureux mâles en se déhanchant sur les rythmes endiablés que crachaient les enceintes.
Seule au milieu de la piste, Rachel dansait.
Les nouveaux, les habitués, les timides, les don Juan, les célibataires, les mariés, les petits, les grands, tous bavaient devant ses fabuleuses formes féminines qui murmuraient de puissantes paroles à leurs plus bas instincts.
Seule au milieu de la piste, Rachel dansait.Les commentaires fusaient.
Sublime ! Si elle était ma copine, je ne sortirais plus de chez moi…
Quelle allumeuse ! Regarde comment tous les mecs la dévorent du regard.
Sa mère la meuf elle est trop bonne ! Faut que j’chope son 06.
Seule au milieu de la piste, Rachel dansait.
La jeunette ne s’occupait pas des jalouses et des crétins. Elle venait seulement pour se détendre, s’enivrer et s’amuser jusqu’au bout de la nuit.
Un téméraire entra soudain dans son champ de vision. Le torse bombé et le ventre rentré, son ténébreux regard croisa les yeux de Rachel avant de se perdre dans son décolleté.
Je sais que tu en as envie aussi, viens on va chez moi.
Rachel répondit à l’invitation par l’ignorance et s’éloigna du candidat recalé. Cette volupté aimantait la ferraille masculine. Bien qu’elle appréciât l’intérêt porté par les hommes, Rachel ne cédait pas à leurs avances et rentrait chaque fois chez elle seule, mais satisfaite.
La journée, Rachel menait une existence solitaire et monotone, mais le soir venu, sa vie devenait excitante. La jeune femme endossait le costume de reine de la nuit, jouant avec le cœur de ses prétendants. Tantôt elle les manipulait en usant de ses charmes pour obtenir des verres gratuits, tantôt elle les repoussait avec violence pour le seul plaisir de les déchirer.
Mais la lolita aspirait à de plus nobles sentiments.
Trouve-toi quelqu’un qui t’accepte comme tu es.
Ses amis le lui rabâchaient constamment. Ils ignoraient que le cœur de Rachel vibrait déjà pour quelqu’un.
Une femme. Une collègue.
La situation était compliquée, d’autant plus que son amoureuse, qui ne soupçonnait pas le petit secret de Rachel, attirait les hommes au bureau.
Alors qu’elle songeait à sa compagne de travail, Elle fit son apparition.
Au milieu des corps ruisselants de sueur, l’amour secret de Rachel s’avançait. Resplendissante.
Elle semblait plus belle encore que la journée. Sa robe épousait à la perfection sa délicieuse silhouette, son sourire illuminait l’âme de Rachel et ses yeux l’hypnotisaient.
Que fait-elle là ? Elle ne doit pas me voir !
Rachel paniquait. Elle se cacha. Accroupie au milieu de la foule, elle se fraya un chemin jusqu’aux toilettes à l’autre bout de la salle. C’est à deux pas de son refuge que ressurgit la phrase sempiternelle.
Trouve-toi quelqu’un qui t’accepte comme tu es.
Les paroles de ses amis ? Le pouvoir de l’amour ? L’éthanol qui ruisselait dans ses veines ? La raison semblait confuse, mais pas la conséquence.
Rachel fit demi-tour et se présenta à sa bien-aimée.
Face à face.
La jeune femme considéra Rachel et écarquilla les yeux d’étonnement.
Abasourdie, le visage écarlate et le regard fuyant, elle se racla plusieurs fois la gorge avant de balbutier une phrase incompréhensible. Elle força un sourire trahissant sa gêne.
Elle l’avait reconnue.
Entre les deux collègues du jour et inconnues de la nuit, un long et désagréable silence s’imposa et dompta le vacarme qui régnait.
Les sentiments et les idées s’emmêlaient dans l’esprit de Rachel.
Comment lui avouer ce que je ressens ?
Rachel saisit son poignet et le caressa avec délicatesse.
La femme désirée retira sa main en grimaçant.
Leurs yeux se croisèrent. Le regard de Rachel brûlait de la flamme du désir.
Pas de marche arrière possible, elle devait déballer ses sentiments, faire quelque chose d’unique, fort, maintenant, ou rester immobile et se taire à jamais, laisser son cœur s’effondrer sur lui-même par le poids de cette passion dévorante, éviter l’objet de son désir la journée et passer ses nuits à l’oublier.
Hors de question !
Elle embrassa la jeune femme.
La réaction fut douloureuse, la joue de Rachel vira au rouge.
Son amour tourna les talons et se dirigea vers la sortie. Avant de quitter la boîte, elle lança un dernier regard à Rachel.
Ultime déception ou lueur d’espoir ?
Rachel rentra seule. Arrivée dans son appartement, elle s’écroula sur son lit, écrasée par les émotions de la soirée.
Elle s’endormit en un instant.
Le réveil cria. Le cadran affichait sept heures du matin. La nuit s’était évaporée emportant sa reine avec elle. Seules les idées et les interrogations demeuraient de cette soirée agitée.
Les cernes violets et l’haleine fétide, les restes de Rachel s’extirpèrent du lit avec l’aisance d’un lendemain de beuverie.
Direction : la salle de bain pour une douche rédemptrice.
Pendant le petit-déjeuner, le téléphone sonna.
Un message de Sandra.
Elle paraissait ébranlée par la soirée. Elle souhaitait parler.
Trop fatigué pour s’interroger, le fantôme de la tentatrice saisit son attaché-case et fila au bureau.
La journée commençait.
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