Le rassemblement eut lieu dans l’église de Sance au petit matin. Linus dont la parole fut portée garante par Alexandre, révéla la vérité sur l’existence de la calamité. Il s’engagea ensuite dans un discours survivaliste pénétré de fierté et d’arrogance. Des paroles qui manquaient de ressemblance à l’homme qui les exclamait devant une assemblée indécise. Il aurait été plus juste d’y ajouter la haine incommensurable de celui-ci pour le voyageur. Car pour Linus, il s’agissait bien de prendre enfin le dessus sur Kayn. Ce petit con l’avait pris de haut trop souvent. Et c’était sa faute s’il avait failli mourir. Et que dire de la chance que cela lui offrait de devenir le héros de l’humanité ? Sans doute serait-il acclamé et reconnu comme tel ? Ces pensées mises de côté, Linus se concentra sur son objectif : convaincre Sance de se battre. Immédiatement il raconta son périple du jour où il avait connu le voyageur, insistant sur le fait que Kayn avait longtemps été un spectateur secret des atrocités que subissait l’humanité.

Au premier rang, Camille écoutait, le visage fermé, se remémorant sa conversation avec le voyageur. Elle se rappela sa méfiance et son scepticisme au départ mais aussi son intérêt pour Sance et ses habitants. Un intérêt qu’il n’avait pas feint, elle en était certaine. Et s’il était bien d'une autre espèce, cela le rendait plus légitime à ses yeux pour les juger.

Tandis que Linus déclamait encore tous ses espoirs de voir Kayn disparaître, elle fit un pas en avant et l’affronta du regard. Voyant visiblement qu’elle voulait s’exprimer, l’ancien soldat se tût, la mine grincheuse.

« Cela ne fait que confirmer ce que nous savons déjà, la calamité est ici pour nous éprouver, commença-t-elle en se tournant vers l’assemblée, se battre contre elle, c’est renier tout ce en quoi nous avons cru jusqu’ici. Nous devons croire en elle jusqu’au bout. »

• Se battre, reprit Linus en dirigeant son regard sur l’assemblée, c’est nous assurer un avenir ! La créature n’est qu’un outil. Si nous tuons le voyageur ou peu importe ce qu’il est, nous pourrons enfin vivre sans avoir peur. Que voulez-vous ? Vivre libre de faire ce qu’il vous plaît ou devoir justifier votre existence à un être qui n’est même pas de cette planète ? En supposant qu’il vous en laisse le temps.
• Si vous décidez de vous battre, ce sera la fin pour tous. Tuer Kayn ne changera pas notre destin, il ne fera que le ralentir. En tant qu’être conscient, nous nous devons d’agir pour le bien de cette planète qui nous abrite. Respecter la vie c’est nous assurer un avenir.

Camille jeta un regard de défi à Linus qui secouait négativement la tête puis ajouta d’une voix compatissante :

• Kayn est aussi un être vivant.
• Un être qui a provoqué la mort de milliards de personne. Des femmes, des enfants, des mères, des pères, des frères, des sœurs. Pour ma part, c’est suffisant pour vouloir en finir avec lui. En finir avant qu’il n’en finisse avec nous, fit Linus dont le regard balaya la salle à la recherche de soutien.

Camille fit de même, rapidement trahie par ses traits tendus indiquant qu’elle n’était pas certaine du soutien des habitants ; parmi les Sanciens, il y avait ceux qui croyaient dur comme fer en la calamité, mais il y avait les autres, ceux qui étaient restés avec leurs familles et pour les avantages qu’offrait la ville. Eux, nul ne douta qu’ils suivraient Linus. Peut-être qu’à présent, le doute s’était installé et que certains fidèles de la créature choisiraient de ne plus la suivre. Et c’était bien normal, après tout ce qu’elle leur avait arraché. Mais la foi ne consiste-t-elle pas à croire à l’incroyable ? Croire sans preuve, croire au plus profond de son être que quelque chose est possible. Et même si la calamité n’était finalement qu’un instrument et Kayn son artisan, alors il fallait croire en Kayn.

Il s’en suivit un long brouhaha où tout le monde donna son avis, espérant convaincre l’autre de ses convictions. Tous décidèrent à l'unanimité de se plier à la majorité et le débat dura plusieurs heures. On voulait être sûrs de la réponse finale donnée à Kayn. Une réponse que tout Sance devrait crier à l’unisson pour se faire entendre du voyageur. Une réponse qui allait décider du sort de l’humanité.