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Des coups de feu retentirent près d'elle, l'extirpant de ses rêveries nocturnes. Elle savait ce que cela signifiait. Elle n'avait plus beaucoup de temps pour fuir. La nuit, les forces impériales faisaient le ménage, tuant sur leur passage quiconque se promenait dans la rue, afin d'éliminer les potentielles menaces contre le palais ou les pauvres mendiants qui salissaient les trottoirs. Personne ne se rebellait contre ces attentats gouvernementaux. La politique de l'Empereur permettait d'enlever la culpabilité des avares passant devant les besogneux. Leur hypocrisie les rendait, d'un côté, complices de ces meurtres intéressés. Sayuri se mit à courir à grandes enjambées dans une direction prise au hasard. Avec un peu de chance, elle tomberait sur sa rue, quelque part dans le bosquet de tours qu'elle pénétra. Cette cité avait été conçue pour que les gens se fassent leurrer, de toute évidence. Les quartiers trop bien alignés perdaient plus d'un promeneur, la nuit.
La jeune femme voyait défiler les lumières oranges dans le coin de ses yeux. Les grandes tours méconnaissables lui grimaçaient amèrement. Elle tenta de reconnaitre, au passage, l'une d'entre les rues : de l'avenue Lovana Lundrel au boulevard de la Marquise de Marguellise, tous ces noms étrangers semblaient vouloir la perdre. Quelle ironie ! Elle qui était si dévouée à ses études journalistiques, prête à servir l'Empire, allait se faire tuer par cette même organisation ! Elle repensa aux dernières paroles de sa mère : "Ma chérie, tu dois vivre, devenir la femme que tu mérites d'être, épouser un homme doux qui te rendra heureuse. Quand je serai là-haut, je ne pourrai plus te conseiller, mais n'oublie jamais que je t'aime de tout mon cœur.". Un pincement lui titillait la poitrine de l'intérieur. Elle avait de si grands projets à accomplir, rêvait de devenir la plus grande rédactrice de chroniques fictives, et devancer Viviana, cette fille talentueuse aux cheveux rouges qui lui volait toujours la vedette. Ce n'était certes pas un projet digne de tenir à la vie, mais pour Sayuri, il signifiait beaucoup. Elle devait rendre hommage à sa mère en devenant la femme qu'elle rêvait d'être. Malheureusement, la plupart du temps, seuls les quelques meilleurs étudiants de l'école de journalisme voyaient leurs talents porter leurs fruits.
Le vent froid lui râclait la peau et la retenait de penser. Toujours, ce géant polaire reprenait le dessus sur ses divagations, glaçant ses veines et pinçant ses nerfs, prêts à la lâcher. Son instinct, dernier conseiller, lui dictait de tourner à gauche au prochain carrefour. Ce qu'elle fit, avant de découvrir une rangée de robots armés. Ils lui faisaient face, incontournables. C'était donc cela, les fameuses machines meurtrières dont parlait sans cesse son camarade de classe ? La jeune femme n'en avait jamais croisé auparavant. Ils étaient de taille et de forme humaine, une ressemblance par ailleurs très angoissante. Ajoutée à celle-ci leur aspect métallique, ils devenaient la copie parfaite des monstres hantant les cauchemars des enfants de l'Empire. On n'avait point employé d'humains pour effectuer cette tâche, les trouvant trop vulnérables et facilement attendris. Les pièces de métal dirigées par des circuits électroniques, quant à eux, n'avaient aucune pitié, puisqu'ils étaient formatés pour exécuter le processus sans le remettre en question.
Comme si un film dramatique passait devant ses yeux, la jeune fille imaginait toutes les situation horrifiantes qui pouvaient survenir à cet instant précis, en l'occurrence, être percutée à la poitrine par l'un de ces rayons lasers qui étaient déjà pointés dans sa direction, crouler sous la douleur et être tirée par les pieds jusqu'à la déchetterie.
Elle fit volte-face, prête à déguerpir dans la direction opposée. Trop tard.
Sayuri déplia involontairement ses doigts et relâcha ses bras, prise d'une douleur vive entre les poumons, ce genre de douleur invivable qui nous fait regretter d'être fait de chair et de nerfs. Ses pupilles se dilatèrent et sa bouche s'entrouvrit, laissant s'échapper un dernier souffle haletant. La sensation de froid qui l'enveloppait s'évada, ainsi que la douleur aigue dans ses entrailles. Sa vue, brouillée, eut à peine le temps de voir les humanoïdes l'attraper par les chevilles, avant de sombrer dans le néant.
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