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Sur Alvan, toutes les structures humaines sont construites de manière que les trouées — principales et secondaires — pointent vers le sud-sud-est, perpendiculairement aux turbulences des cycles d’activité des piliers de terraformation. Les ingénieurs ont dû faire preuve d’un grand savoir-faire pour qu’il en soit de même pour le spatioport, seule cavité artificielle des Gueules d’Orthos. L’entrée naturelle du dédale de galeries et de cavernes, située à trois cents mètres en contrebas, est exposée plein ouest ; impossible à protéger durablement en surface, elle est barricadée plus profondément d’un double sas blindé. Lorsqu’elle s’engouffre dans le tunnel ainsi condamné, la tempête prisonnière hurle de fureur et se fait entendre jusque dans les paliers inférieurs. Sur le sujet, nul besoin d’asticoter bien longtemps la brigade du vieux Moëm pour se faire raconter leur découverte du lieu. Avec moult détails et grand enthousiasme, ils entament leur récit alors que leur engin de maintenance est en souffrance, son panneau de la soute relevé, et que la tempête approche. Le récit est bien rôdé, et si chaque membre de la brigade l’enrichit à sa manière, c’est le vieux Moëm qui le raconte le mieux. Tous les enfants d’Alvan adorent cette histoire et connaissent la raison pour laquelle les Gueules d’Orthos sont ainsi nommées, et pourquoi le double sas de l’entrée primitive reste hermétiquement scellé.
La porte du spatioport est toujours grande ouverte. L’incendie semble avoir été maîtrisé, sans doute par les arroseurs de sécurité, ainsi que par les rebonds d’un bras de la tourmente engouffrée dans le canyon. Malgré cela, il s’échappe encore de la salle de contrôle au-dessus de l’entrée une fumée dense et blanchâtre qui se délite paresseusement dans le ciel uniforme.
Hiber défait son harnais à la hâte et saute du colosse en marche, atterrissant dans un flux d’air comprimé et de caillasses éconduites sur la piste d’approche mouchetée de débris. Le trajet sur le dos de la machine ne l’a aucunement soulagé. Il a même eu tout le loisir de se découvrir une migraine carabinée ainsi qu’une méchante fringale. Quand a-t-il avalé son dernier repas ? Les dernières heures semblent avoir duré des siècles. Il rejoint la machine qui s’est arrêtée quelques pas plus avant, jusqu’au seuil du spatioport disloqué.
— Nous y voilà, et maintenant ?
Brusquement et sans prévenir, la machine lève son organe préhensile droit à hauteur de tête de l’officier qui se recule de deux pas et met en joue son fusil.
— Non, non ! s’exclame la voix aimable émanant du colosse. Je ne te veux aucun mal. J’ai besoin que tu ouvres la trappe située sous mon avant-bras.
— Pour quoi faire ? Grogne Hiber, un œil collé à la lentille oculaire de sa lunette de visée.
— À l’intérieur, tu trouveras un disque serti dans son support dédié. Il s’agit d’une mémoire de masse ultra-dense, contenant la copie de tout ce qui me constitue en tant qu’intelligence artificielle ; système primaire, pilotes, programmes, données. La gamine a besoin de ce cœur central pour fonctionner.
— Et une fois ce truc retiré, que va-t-il se passer ?
— Harmonie et ses troupes retrouveront rapidement le contrôle de leurs fonctionnalités et la priorité de leurs directives.
— Minute, le robot ! Crache Hiber, que la gâchette démange soudain. Hors de question de t’aider si c’est pour que tes copains recommencent à nous tirer dessus !
— Hiber, la trêve ne peut être que temporaire. Harmonie a voyagé d’Héliopolis jusqu’au système de Barnard pour un seul dessein qu’il m’est impossible de contenir définitivement.
L’officier Hiber s’éloigne encore de la machine. Les gravillons de la piste crissent sous ses semelles tandis qu’il s’appuie sur sa jambe arrière, genoux fléchis, prêt à tirer.
— Comment ai-je pu être aussi con de croire que tu pourrais nous aider ? Pourquoi ai-je écouté les inepties d’Elego, celle descendue des étoiles et tout le tremblement ?
— Je ne détecte aucun tremblement.
Hiber quitte un instant le viseur de son arme. Une fois encore, une violente dissonance frappe ses pensées et ses croyances. Cette énorme mécatronique, s’exprimant à l’aide d’une synthèse vocale emmiellée, est-elle en train de faire preuve d’ignorance, voire de naïveté ? D’humour ? Une goutte de sueur perle depuis sa tempe, glisse sur sa joue et s’abîme dans sa barbe fournie.
— Je te le demande pour la dernière fois : sommes-nous en guerre ?
— Oui et non, s’obstine la machine. Le vaisseau Harmonie est chargé d’annuler le programme de colonisation du système de Barnard. Cependant, il existe plusieurs moyens d’enrayer la fatalité, mais chacun d’entre eux demande que je réintègre mon véritable véhicule. Dès que je serai en pleine possession de mes moyens, je promets d’étudier avec ta colonie chacune de ces possibilités. La seule chose dont je serai incapable, c’est d’interférer à nouveau avec la volonté du programme Harmonie. En quittant le véhicule actuel, je ne serai plus connectée à son réseau.
— C’est ça, un mensonge par omission, Koni.
— J’en suis désolée, Hiber, mais je suis heureuse que tu m’appelles pour la première fois par mon prénom.
L’officier grogne et se maudit, puis baisse son arme lentement.
— Ai-je un autre choix ?
— Je crains que ce ne soit pas le cas.
La machine est immobile, au milieu de la piste d’approche, sa dextre levée. Le revêtement de sa cuirasse, bien que brossée par le sable, reflète les pâles rayons de Barny qui trône à présent au-dessus de leurs têtes.
— Et puis merde ! Ronchonne Hiber en retournant auprès du colosse.
La trappe est maintenue par de simples vis plates. Il examine un instant la prothèse assistant son bras puis commande le déploiement des outils.
— J’ai demandé à Anija de faire le plus rudimentaire possible, ne sachant pas, à l’époque, comment tu serais équipé au moment de notre rencontre. Mais je remarque que ton EX-05, même s’il conserve ses fonctions primaires, a été modifié.
— Anija ? La techos extravéhiculaire ?
— Tu la connais ?
— Pas personnellement, mais elle était imbattable lors des courses de vitesse dans le boyau gravitationnel de la station. Une forte tête, volontaire et douée. Elle devait partir avec nous, mais les émeutes en ont décidé autrement. Qu’est-elle devenue ?
— La mère d’un jeune homme de vingt ans, si rien de fâcheux ne s’est passé depuis mon départ de la station.
D’une dernière impulsion de visseuse, Hiber retire la plaque qui tinte en heurtant le sol jonché de cailloux. Dans la cavité découverte, un disque pas plus gros que le poing est encastré à plat dans son support. Hiber s’en saisit, fonce les sourcils, suspend son geste.
— Combien de temps avant qu’Harmonie et ses sbires ne reprennent leurs esprits ?
— L’effet sera immédiat.
Hiber tourne la tête et scrute le bout de la piste, puis l’autre versant du canyon, où les fantassins mécatroniques avaient tiré leur salve de missiles.
— Immédiat ?
— Tu auras le temps de rejoindre le visionnaire Elego.
Hiber hésite encore un instant, puis retire d’une main ferme le disque anthracite. Il reste figé, dans l’attente d’un quelconque incident ; un mouvement soudain, un son inhabituel. Sur sa visière, le nuage de points simule quelques grains de poussière emportés par le vent.
— D’accord, et maintenant ? (Le colosse, dextre toujours levée, reste parfaitement silencieux.) Koni ? (Loin vers le sud, dans la plaine septentrionale, résonne une formidable explosion.) Bordel de merde !
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